Il y a des visites qui vous font faire des cauchemars la nuit, qui vous empêchent de dormir. En effet, c’est au cours de celles-ci que l’on peut toucher du doigt ce qui ne va vraiment pas dans notre alimentation et de quelle façon les industriels profitent de la passivité du consommateur pour lui proposer des produits de bien mauvaise qualité. L’artisanat disparaît complètement au profit de l’utilisation de la machine, ce qui rend le métier bien plus accessible à des personnes qui deviennent uniquement de simples investisseurs, des entrepreneurs préoccupés par la rentabilité de leur établissement et non pas par la saveur de ce qu’ils servent.
Au Sandwich & Snack Show, qui se tenait hier et aujourd’hui à Paris Expo Porte de Versailles, on avait un bel aperçu de ce qu’est l’univers de la restauration rapide aujourd’hui, et par extension de l’offre que développent en la matière nos artisans boulangers sur ce secteur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela suscite des vocations, aussi bien en matière d’exposants que de visiteurs. Avec un bon emplacement, l’affaire peut être extrêmement rentable, car il n’y a pas besoin de beaucoup de personnel ni de compétences pour se lancer dans la course. De plus, en faisant appel à l’une des sociétés produisant des produits traiteur surgelés, le prix de revient reste limité et les marges sont plutôt attractives.
Quelques tendances assez nettes se dégagent d’une visite sur ce salon : tout d’abord, pour les sandwiches et en-cas réalisés à partir de pain, les bagels et pains moelleux ont la côte, ils sont déclinés avec des couvertures différentes (graines, nature…) pour donner envie au consommateur. Egalement, on cherche à augmenter le ticket moyen en proposant des gammes de desserts complexes et diversifiés. Tartes, gourmandises étrangères (muffins, cheesecakes, …), yaourts, salades de fruits, viennoiseries variées…, tout y passe. Bien sûr, il y a différents niveaux de qualité et certains acteurs proposent des produits tout à fait convenables, bien qu’industriels. Tout est une affaire de volonté, et on ne saurait ranger l’ensemble de l’offre derrière un seul et unique drapeau, tant elle est vaste et diversifiée.
Si l’on s’intéresse plus particulièrement à la Boulangerie-Pâtisserie, on peut remarquer la présence assez marquée de Bridor, la division du groupe Le Duff (Brioche Dorée, Del Arte…) chargée de la vente aux professionnels et acteurs de la restauration. Cette entreprise a développé des partenariats avec Lenôtre et… Frédéric Lalos pour élaborer des recettes « premium » et de cette façon prouver qu’ils sont eux aussi capables de proposer autre chose que les pains bien blancs et peu savoureux que l’on s’imagine souvent. C’est un peu dommage qu’un professionnel tel que M. Lalos s’implique dans de tels projets, car il rend la frontière entre artisan et industriel un peu floue. Il développe avant tout sa marque et remplit son porte-feuille, en se souciant guère des effets que cela peut avoir auprès du consommateur.
Délifrance était également présent, mettant en avant son offre pour les sandwiches et les pâtisseries. Un des grands amis des artisans les moins concernés par la qualité de leurs produits répondait aussi présent, j’ai nommé Coup de Pâtes, qui proposait ses différentes gammes en insistant sur la flexibilité offerte par leurs solutions (on ne sort que ce dont on a besoin, ce qui limite la casse… de plus, les compétences nécessaires sont quasi-nulles).
D’autres entreprises plus discrètes avaient également installé leur stand. Au programme, des pains bien blancs pour certains, des pâtisseries sans vie ni âme pour d’autres… Rien de bien painrisien là dedans, au contraire. Ce qui est triste, c’est qu’en voyant toutes ces tartes, ces assemblages de farine, sucre, crème et autres ingrédients, j’ai reconnu les produits que l’on retrouve aujourd’hui chez de nombreux artisans boulangers. Certes, Paris est une ville difficile pour eux, car il faut bien arriver à payer le loyer et les salaires à la fin du mois, mais cela dénote tout de même d’une vraie dérive de la profession. A mon sens, c’est un jeu dangereux : à terme, les consommateurs risquent de ne plus faire la différence entre les chaines et les indépendants, du fait de la proximité des produits proposés. La conséquence ? La disparition progressive des seconds, ceux-ci perdant du terrain.
Si l’on laisse de côté tout cela, on peut tout de même se réjouir de voir quelques produits snacking assez qualitatifs, comme ceux distribués par des grossistes tels que Bergam’s. Rien à voir avec la boulangerie, mais on trouve des soupes, produits laitiers et boissons innovants, bien loin de l’image très traditionnelle et peu savoureuse que l’on peut avoir de ce type de produit. Pocket Garden Blendie, New Covent Garden, Marie Morin, Juicy Water… autant de marques qui montent et portent le snacking vers le haut. Certains boulangers les ont d’ailleurs adoptées pour compléter leur offre traditionnelle en salé et sucré, car la clientèle a parfois d’autres attentes que le sandwich, la tarte ou la pâtisserie. Le tout est d’être en phase avec son époque, sans perdre son âme.
Voilà donc un salon résumant bien le fourmillement qui existe autour de ce secteur, où chacun tente de tirer la couverture vers lui. Beaucoup y voient une véritable poule aux oeufs d’or, et notamment à Paris où les bouches à nourrir ne manquent pas. On pouvait ainsi croiser dans les allées de nombreux « entrepreneurs » en plein développement de projet, à la recherche de leurs premiers fournisseurs. Il faut tout de même savoir garder la tête froide, car tout le monde n’est pas Alain Cojean… et ne rencontrera pas le même succès. On compte beaucoup d’échecs et de fermetures au bout de la première année d’activité, ce qui représente un vrai échec personnel et professionnel pour les créateurs confrontés à de telles situations.
Pour en revenir à notre terrain painrisien, le prochain rendez-vous, cette fois pleinement centré autour de l’univers de la boulangerie-pâtisserie, sera le salon Europain, qui se tiendra à Paris-Nord Villepinte début Mars. On y retrouvera de nombreux acteurs de l’industrie, accompagnés par les différents équipementiers (fours, pétrins, …) qui permettent, eux, de réaliser un vrai travail artisanal. Encore une occasion de se faire quelques frayeurs en voyant l’imagination développée par les géants du secteur, toujours prêts à aller plus loin dans l’abattage du consommateur et du bon goût. Je me dis que le combat est perdu d’avance, parfois, tant ils possèdent un pouvoir financier important et en prenant en compte qu’au final, leurs « solutions » sont tellement attirantes pour des chefs d’entreprise peu sensibilisés à la qualité et à l’authenticité des produits… Ne soyons pas fatalistes, du moins, essayons.
Aujourd’hui précisément, le choc me gagnait en allant chercher le pain comme tous les jours… à 25 mn de vélo de chez moi. Ce trajet quotidien est parfois un peu pénible, mais je ne le fais pas pour avoir du pain meilleur : simplement pour avoir du pain correct. Mon quartier n’est peuplé que de ces fausses boulangeries qui décongèlent des viennoiseries/pâtisseries plus effrayantes les unes que les autres. Quant au pain, c’est réellement une intoxication : je préfère encore le poilâne tranché un peu rassis de la grande surface… Quelle absurdité, n’est-ce pas ?
petite rectification, Europain a lieu a Paris-Nord Villepinte… http://www.europain.com
Effectivement, merci Roger, c’est corrigé !
Bonjour Remi,
Je suis tout comme toi écoeuré par ces pratiques. La marge de manaoeuvre des artisans s’effrite au bénéfice de groupes industriels, et qui plus est, qui ont trouvé une solution remarquable, voir ironique pour estampiller leur production du sceau artisanal; en intégrant, tout simplement, dans leurs circuits de distribution les artisans boulangers eux mêmes (rappelons que 80 % des viennoiseries parisiennes sont d’origine industrielle).
Je suis tout aussi désarmé par ces mêmes artisans qui font ce choix. Je suis effondré quand cette frontiére est elle même franchie par les meuniers eux mêmes (les recettes de mon moulin par exemple…). Et par moment agréablement surpris comme dans les boulangeries de marie, qui bien qu’étant énormément decriée par la profession (car réussite exceptionnelle) mettent en place des process dits de fabrictaion maison pour toute leur production. Elément ironoque une fois de plus, c’est un entrepreneur en fruits et légumes qui a développer ce réseau de véritables boulangeries. Je reste confiant en l’avenir et crois déceler derriére beaucoup de tendances culinaires un véritable retour au source artisanal, dans ce qui il y a de plus noble. Mais en attendant, il faut que la profession communique, explique, décrypte les tenants et les aboutissants d’un savoir faire et savoir être artisanal. A la grande Epicerie de Paris, cette tendance est déjà enclenchée, un texte au dessus des vitrines de pains décrit les acteurs boulangers de ce magasin. La confiance est peut être la clé de réussite de beaucoup d’artisans…