Je n’ai jamais su fêter des anniversaire, je l’avoue. Il paraît qu’il faut organiser des fêtes, se retrouver en famille ou entre amis, simplement pour se dire que le moment a de l’importance, qu’il faut compter les années pour mesurer le chemin parcouru… Justement, le plus intéressant pour moi n’est pas tant de faire ces points d’étape, mais plutôt d’apprécier au quotidien en quoi l’expérience et le temps nous rendent plus forts et pertinents dans nos actes. Ainsi, plutôt que de se concentrer sur cette date figée, on devrait plutôt fêter nos « non-anniversaires », plonger librement dans le pays d’Alice et ses merveilles. Je m’égare.
Souhaitons tout de même un bon anniversaire à la baguette de Tradition et au décret pain. En effet, il y a tout juste 20 ans que ce dernier a été mis en application. Le 13 septembre 1993, nos pouvoirs publics s’engageaient pour tenter de faire revivre le « bon pain ». Il faut dire qu’il y avait du travail : entre baguettes bien blanches, pétrissages intensifs, additifs à ne plus savoir qu’en faire, nos boulangers avaient pris un bien sombre virage depuis les années 50, avec notamment une concurrence marquée de la grande distribution. Aujourd’hui, la bataille fait toujours rage entre industrie et artisanat, mais le niveau est globalement remonté.
Au début, ils n’étaient pas nombreux à y croire. Parmi les pionniers, la famille Viron et sa baguette Rétrodor sont arrivés avec la conviction qu’un pain de qualité pouvait séduire les consommateurs, rejoints par les moulins Foricher, Eric Kayser, Patrick Castagna (au sein de leur société de conseil Panis Victor) et bien d’autres par la suite. Grâce à tous ces acteurs engagés, nous avons pu faire du chemin dans l’idée de proposer un produit sans additif, constitué uniquement de farine, de sel, d’eau, de levure et/ou de levain.
Du chemin, oui, aussi bien dans le bon que dans le mauvais sens. L’idée de départ s’est avérée difficile à mettre en oeuvre : trop peu de boulangers étaient en mesure de réaliser un pain « sans filets », et c’est pourquoi des adaptations ont été « nécessaires » : le décret a été non seulement assoupli, mais les meuniers ont eu à coeur de développer des solutions permettant d’assurer régularité et facilité de mise en oeuvre à leurs clients. Aujourd’hui, les farines sont « corrigées » avant même d’arriver dans les fournils de nos artisans : chaque minoterie réalise ses maquettes – assemblages de blés de différentes origines et caractéristiques – et va tenter de compenser les variations naturelles de la céréale (taux de protéines plus ou moins important selon les années et les conditions météorologiques, …), notamment par des ajouts de gluten, qui contribuent à donner de la force à la farine.
De cette façon, en bout de chaine, le boulanger n’a plus trop de questions à se poser d’un arrivage à l’autre.
Rajouter de genre de produit à la farine constitue-t-il une incorporation d’additifs ? A mon sens, oui. Au sens de l’appellation Tradition française, non. Il y a un aspect santé que l’on néglige un peu trop : ces ajouts ne sont pas toujours bien tolérés par les organismes… preuve en est des intolérances et allergies qui se développent. Rassurons-nous, les céréaliers travaillent déjà pour rendre ces manipulations en aval inutiles. Avec des blés modifiés et performants, plus de problème. Du moins en apparence, n’est-ce pas, car nous n’avons pas de recul en terme d’impact sur le consommateur.
Malgré tout, les pratiques culturales ont tendance à être tirées vers le haut, avec notamment le développement du Bio, du Label Rouge et de la démarche CRC. Moins de pesticides, des terres plus respectées, la qualité du produit final ne peut être que meilleure. Il faut parvenir à faire passer le mot auprès des artisans, pas toujours très concernés par le sujet : rien qu’à voir le taux de sel présent dans les baguettes de certains d’entre eux, on peut se dire qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir.
20 ans, c’est une brindille à l’échelle de l’histoire du Pain. Notre « Tradition » n’a certainement pas grand chose à voir avec ce que fabriquaient nos ancètres. Nous avons encore beaucoup à ré-apprendre de notre passé… pour donner du goût et assurer un produit de bonne conservation. Au delà des aspects purement techniques, ce sont les éléments les plus importants pour le client final. La filière doit concentrer ses efforts sur la différenciation par le ressenti du consommateur, tout en gardant un oeil attentif sur l’accessibilité : le pain de qualité ne doit pas être un produit de luxe. Même si on l’agrémente de codes issus de cet univers, le prix ne doit pas suivre cette tendance : 1,30 euros les 250g, cela commence à devenir cher, trop cher. Les 1,10€ « psychologiques » mis en place depuis plusieurs années me paraît plus adapté. En effet, c’est avec un bon pain démocratique que nos artisans parviendront à fidéliser leur clientèle, laquelle viendra également chercher gourmandises quotidiennes et d’exception.
Quand une jeune fille nous mène à la baguette…!