Qu’est-ce qui pousse un ou des individus -seuls ou en groupe- à sortir des carcans que représentent les normes ? Cela peut venir des circonstances, d’expériences de vie variées, de la volonté de s’élever pour faire entendre un message singulier, … ou simplement d’un environnement dans lequel il existe une certaine « culture » de l’anticonformisme. Même si l’opinion publique peine souvent à prendre bien mesure de la tâche accomplie par ces pionniers, elle peut finir par faire sienne le changement opéré et ériger ces nouvelles directions en voies à suivre de façon impérieuse. En matière d’alimentation le chemin à parcourir pour que ce soit le cas semble encore important, mais les progrès réalisés sont sensibles : les porteurs de démarches plus naturelles, respectueuses de la terre et du vivant, ont jadis été regardés de haut avant d’être maintenant rejoints par la masse des gros producteurs et distributeurs.
On prête souvent aux Bretons le fait de vouloir clamer haut et fort leur indépendance, et ainsi d’agir selon leurs propres règles et idées. Si c’est à cela que l’on tient l’ouverture d’une boulangerie artisanale en plein coeur de la gare de Rennes, les voyageurs ne pourront que remercier cet état d’esprit. En effet, c’est au début du mois de juillet qu’a pris place Ty Vorn dans ce lieu en pleine transformation. Le chantier mené par la SNCF et sa filiale Gares et Connexions n’est pas encore achevé, tout comme cette imposante boutique aux contours bleutés (une terrasse et un espace de consommation sur place sont encore en installation), mais le projet semble parti sur de bons… rails.
Au lieu d’installer l’un des marques reconnues de la restauration rapide, que l’on retrouve habituellement dans ces espaces de transit, le gestionnaire de la gare a choisi de faire appel à un entrepreneur déjà présent dans les lieux (avec notamment le récent Bagel Corner et autres commerces), en la personne de Martin Cavelier. Il gère également les « Boutiques de Joseph » -un concept d’épicerie fine, caviste, snack et boulangerie, situé face à la gare- en plus d’autres restaurants et hôtel.
Accompagné par le boulanger franc-comtois Nicolas Vauchier -déjà en charge depuis 2016 de la Boulangerie de Joseph, située à deux pas-, il a créé la marque Ty Vorn, « le fournil » en breton. L’endroit rompt nettement avec les codes habituels des points chauds installés en gare, et on ne saurait s’en plaindre : la hauteur imposante de la boutique met en valeur sa décoration soignée, qui associe élégamment bois et dorures dans un style rétro-chic. Les différentes faces segmentent plusieurs espaces et permettent de répartir les flux entre la vente « boulangerie » et la section restauration / caféterie à consommer au comptoir, à emporter ou prochainement sur place.
Au delà du décor, qu’il est aujourd’hui facile de réaliser à l’aide d’agenceurs compétents, le plus différenciant se situe du côté de l’offre : en effet, les produits sont réalisés sur place, au sein du fournil vitré et donc visible de la clientèle. L’entreprise met en avant cet élément au travers de plusieurs écriteaux, en omettant cependant de préciser que certaines références de viennoiserie ne sont pas (encore ?) fabriquées artisanalement et ne sont donc que cuites ici. C’est d’autant plus surprenant que la Boulangerie de Joseph, située à quelques mètres, vend, quant à elle, des croissants et pains au chocolat faits maison…
Cela ne devrait pas pour autant nous empêcher de profiter du reste de la gamme, dont la qualité est à saluer. Le crédo de Ty Vorn était de mettre en valeur le patrimoine culinaire breton, ce qui se concrétise notamment par l’utilisation du sarrasin dans plusieurs préparations. Commençons par le pain (réalisés à base des farines Axiane Meunerie, donc la fameuse farine de sarrasin Treblec – on passera pour le sourcing local), où les propositions sont resserrées mais efficaces : de la baguette de Tradition (1,2€ les 250g, honnête pour une gare !) à la mie fraiche et relevée d’une pointe de levain à sa consoeur au sarrasin en passant par les pavés nature ou aux noix et quelques grosses pièces, les produits sont déjà bien en place et bénéficient d’une hydratation très correcte.
Côté sucré, là non plus pas de folies : les classiques bretons (gâteau ou far breton, kouign-amann indiqué mais absent ?) sont accompagnés de quelques pâtisseries boulangères (flan, tartes aux fruits…) et gâteaux de voyage, à l’image des cookies, financiers et muffins.
Le snacking est une activité beaucoup plus développée et cela se traduit par la surface de linéaire qui lui est dédiée : les sandwiches, salades, fougasses et autres focaccias garnies occupent une vitrine entière. Le sarrasin y est présent en base de pain baguette, qui apporte une note sympathique aux garnitures proposées, mais aussi au sein d’un cake salé sarrasin-emmental-lardons.
Les mardis, jeudis et vendredis, une offre de galettes (complète, galette saucisse ou garniture du jour) et crêpes vient compléter ces options.
On ne s’arrêtera pas sur le sujet du service, qui se résume aux standards impersonnels développés dans les lieux de transit : difficile de créer une relation de vente personnalisée quand on voit défiler des milliers de personnes chaque jour.
L’un des points forts du projet devait être l’utilisation de produits uniquement bretons, comme indiqué sur le site internet. Force est de constater que les artisans se sont arrêtés en cours de route sur ce point, car même si la farine Axiane est sans doute moulue dans l’unité de production bretonne du groupe, on repassera sur le caractère foncièrement local de l’entreprise. Dès lors, on peut légitimement se poser la question sur les autres matières premières. Une meilleure transparence sur le sujet serait bienvenue.
Peu de vraies boulangeries artisanales sont installées dans les gares françaises : Eric Kayser y a installé quelques fournils (à Lille et Avignon TGV), sans être particulièrement suivi par d’autres acteurs du secteur. Thierry Marx s’est essayé à la chose avec un succès plus que relatif en Gare du Nord. Ty Vorn propose une approche différente en associant production sur place et identité singulière, valorisant le savoir-faire local. Cette initiative doit être saluée et, je l’espère, dupliquée, même s’il faut pour cela trouver des entrepreneurs prêts à se lancer dans une telle aventure… et ils ne seront sans doute pas légion, car les obstacles sont nombreux : investissement important, larges amplitudes horaires, équipe nombreuse (ici plus de 25 personnes !) contraintes liées à l’emplacement, etc. Il me parait difficile que des artisans indépendants puissent prétendre à élaborer de tels projets, et on voit bien dans le cas présent que le chef d’entreprise a derrière lui une assise financière importante.
Si les sarrasins ont essayé de conquérir nos terres il y a bien longtemps, c’est cette fois avec grand plaisir que nous laissons le sarrasin proposé par Ty Vorn envahir la gare de Rennes… et ainsi régaler les papilles des voyageurs.
Infos pratiques
Gare SNCF de Rennes, Espace Commercial / tél : 02 99 66 04 29
ouvert du lundi au jeudi de 5h15 à 21h, le vendredi jusqu’à 21h30, le samedi jusqu’à 20h et le dimanche de 7h à 21h30.