Peu de choses parviennent à se développer si on les partage, ce serait même plutôt le contraire. Si je partage ma baguette, il m’en restera forcément moins à consommer, mais pour autant l’acte n’est pas anodin et inintéressant : cela exprime une volonté d’aller vers l’autre, de dépasser un état purement égoïste qui pourrait subsister si l’homme n’était pas un animal social par nature… même si l’affirmation pourrait largement être remise en question aujourd’hui.
Dès lors que l’on entre dans le domaine de l’esprit et de la connaissance, l’acte de partage propose à l’inverse un enrichissement manifeste auquel nous devons attacher la plus grande importance.
En boulangerie, pâtisserie et gastronomie, il est essentiel de savoir transmettre des compétences, des tours de main, une certaine vision du métier. C’est en effet l’assurance de pouvoir faire perdurer l’artisanat : certes, les organismes de formation font leur travail et certains parviennent à réaliser de véritables miracles sur des élèves pas toujours chanceux, mais la pratique, le terrain et la passion sont des vecteurs d’enseignement particulièrement riches.
Ainsi, l’apprentissage s’est développé et on compte de nombreux aspirants boulangers ou pâtissiers dans les rangs des grandes, ou même des plus petites, maisons parisiennes… Une pratique qui a malheureusement tendance à dériver vers de l’exploitation pure et simple, ces entreprises appréciant particulièrement le faible coût de la main d’oeuvre mise à leur disposition sans pour autant porter une quelconque attention à leur avenir et à l’intérêt que peuvent avoir les travaux réalisés par les apprentis pour ces derniers. Il n’est plus question de transmission…
A l’inverse, on ressent chez certains artisans une véritable passion pour cette mission. Je l’ai notamment retrouvée chez Christophe Rouget, qui place les jeunes au coeur de sa démarche. Ce fut notamment le cas pour la mise en place du concours de la Meilleure Baguette du Val d’Oise, où il souhaitait que les apprentis soient bien mis en valeur dans leur catégorie. Le résultat parle de lui-même : plusieurs des membres de son équipe ont été primés, une belle récompense pour le boulanger et les professeurs du CFA de Villiers-le-Bel. Pas de mystère : des individus qui se sentent valorisés auront bien plus tendance à donner d’eux-mêmes.
D’autres portent la même vision, à l’image de Benoît Castel pour qui l’apprentissage est tout aussi capital.
Au delà de cette transmission « professionnelle », il y a aussi celle du goût, et elle n’est pas moins importante : en effet, c’est à partir de cette dernière que se construisent nos habitudes de consommateur. Malheureusement, ce savoir se perd : nos têtes blondes sont éduquées avec des produits industriels, consomment en restauration collective des mets aux saveurs discutables, ne sont tout simplement pas habitués à reconnaître un « bon produit ». Peu à peu ils perdent l’habitude d’aller chez un artisan pour acheter quelques douceurs ou un morceau de pain, ils préfèrent la facilité offerte par la grande distribution…
Je pense sincèrement que l’école a un rôle à jouer dans l’éducation au goût, et ce dernier commence à être pris en compte au travers d’initiations et d’événements ponctuels. Là encore, nos amis boulangers ont certainement leur rôle à jouer en fournissant les établissements scolaires et en participant aux manifestations qui ponctuent la vie d’une commune.
Il y a tout un savoir à transmettre : savoir-faire, savoir consommer, savoir être tout simplement… si l’on oublie tout cela et que l’on adopte une attitude égoïste, je ne donne pas cher de l’artisanat boulanger ou pâtissier dans les années à venir.