Les cours d’économie sont tous un peu les mêmes. On passe en revue de grandes théories sur le fonctionnement des marchés, on étudie et confronte tous ces dogmes établis par de grandes têtes pensantes. Je suis passé par là il y a quelques années. Ces grilles d’analyse ne me paraissent pas pertinentes dès lors qu’elles se concentrent sur la portée uniquement économique de nos actes. Nos choix ont des portées beaucoup plus larges, et l’enrichissement ne doit pas être vu comme une fin en soi. En son temps, Adam Smith parlait d’un mécanisme de « main invisible » selon lequel les actions individuelles, guidées uniquement par l’intérêt de chacun, parviendraient à réaliser le bien commun.
L’histoire nous a suffisamment montré que ce n’était pas le cas. Comme l’a si bien exprimé Emmanuel Faber, PDG de Danone, dans un discours tenu devant les jeunes diplômés d’HEC, cette main n’existe pas ou bien elle est cassée, handicapée. Nous n’avons que nos deux mains, toutes nos mains, pour changer les choses, pour les rendre meilleures.
Il faut alors mettre en place des structures destinées à tendre des mains, à les mettre au service de l’intérêt général. Dans le cadre du commerce, cela peut passer par des organismes dédiés à l’aménagement des quartiers et l’attribution des commerces, comme c’est le cas à Paris au travers de la Semaest. La diversité est particulièrement importante pour maintenir un équilibre entre les activités d’un quartier et éviter l’appropriation de ce dernier par un groupe d’individus. Cela avait été le cas par le passé, notamment dans le Sentier avec des activités textiles, mais également dans le 11è arrondissement, parmi d’autres exemples.
Un grand bâtiment de la Poste, situé entre les rues Bréguet et du Chemin-Vert devait être transformé pour réaliser des bureaux. La Semaest a pris en charge la commercialisation des boutiques en rez-de-chaussée, et m’avait d’ailleurs contacté il y a plusieurs mois afin de trouver un artisan boulanger prêt à s’installer ici. L’emplacement, les larges volumes, les contraintes liées au bâtiment et le coût du loyer avaient rebuté la plupart des professionnels.
Il fallait donc un projet atypique, une idée neuve, pour donner vie à cet espace. Alice Quillet et Anselme Blayney font partie de ces personnes qui utilisent leurs mains pour façonner le monde tel qu’ils l’aimeraient. Après avoir fait le bonheur des amateurs de cafés et gourmandises au sein de leur Ten Belles (et au sein du Bal Café jusqu’à peu) au 10è arrondissement, ils renouvellent le défi ici, au 17 rue Bréguet, Paris 11è. Deux lieux, deux ambiances très différentes : nous ne sommes pas dans le café cosy de la rue de la Grange aux Belles mais dans un univers moderne et brut où tout le monde peut se retrouver.
Le mot défi n’est pas galvaudé : ce projet en est un à plusieurs titres. Il faut parvenir à attirer une clientèle suffisante pour faire vivre le lieu, malgré le fait que la rue Bréguet soit encore en pleine mutation. Le groupe Publicis occupe aujourd’hui une grande partie du bâtiment et a imposé ses conditions : le passage et la cour qui devaient être publics se sont vus privatisés par la pose de grilles, ne permettant plus aux passants de joindre les deux rues comme prévu initialement. La situation devrait être rétablie prochainement, mais dans cette attente, beaucoup se demandent si Ten Belles Bread n’est pas simplement un lieu de restauration dédié au salariés du groupe de communication.
Or, c’est précisément tout sauf cela. Bien sûr, nous ne sommes pas dans une boulangerie classique. La gamme de pains est très courte et se concentre autour de moins de 5 références : un gros pain façon bâtard (8,50€ le kg), une baguette (1,20€), un pain de Seigle aux graines moulé (12€ le kg), une focaccia (6,50€ le kg) et une base de brioche utilisée pour certains sandwiches et douceurs sucrées ou salées.
Tous les produits incorporent du levain naturel. Alice avait pu développer ses compétences de boulangerie lors d’expériences passées en restauration, et souhaitait proposer un pain qu’elle prenne plaisir à manger, avec une vraie identité, une mie fondante et généreuse, une pointe d’acidité, de belles cuissons et de la croûte. Un contrat parfaitement rempli aujourd’hui, car c’est bien le produit qu’elle propose à la clientèle. La baguette s’est imposée comme produit d’appel, tout en respectant les mêmes fondamentaux.
Au delà des méthodes de panification, qui respectent les temps de fermentation et la vie de la pâte, les associés ont voulu affirmer leur totale liberté vis à vis de tout partenaire meunier : ils n’utilisent aucun mélange pré-élaboré et se fournissent chez trois moulins, avec des farines exclusivement issues de l’Agriculture Biologique (Bourgeois, Chantemerle et Seignelay-Famille Boisnard).
Le positionnement de Ten Belles a toujours été de proposer des gourmandises de qualité, à la hauteur du café (torréfié par la Brûlerie Belleville, dont Anselme est co-fondateur). L’installation rue Bréguet permettra de diversifier l’offre tout en fidélisant le personnel en charge de sa réalisation : en leur offrant des conditions de travail optimales – un laboratoire neuf, une localisation en plein coeur de Paris, au contact de la clientèle -, les membres de l’équipe pourront exprimer leur talent et s’épanouir.
On peut ainsi s’attabler à tout moment de la journée et faire une pause sucrée ou salée. Du roulé brioché pour le petit-déjeuner et son inspiration british aux pâtisseries variées en passant aux sandwiches travaillés et originaux du déjeuner, le choix ne manque pas, et même si les tarifs restent assez élevés, ils se justifient par une sélection attentive des matières premières, par la créativité et par la fraicheur des produits.
Vous savez combien je suis attaché à la boulangerie dite « traditionnelle », j’entends par cela des lieux dédiés au pain et à son univers, c’est à dire bien loin de ce que nous proposent la plupart des artisans aujourd’hui. Pour autant, je pense qu’il faut aussi développer de nouvelles formes de structures, comme nos amis anglo-saxons l’ont fait de plus longue date -les « micro fournils » associés à des offres de café-restauration y sont bien plus nombreux qu’ici-. La colonne vertébrale du projet doit toujours être le respect du produit et des hommes, l’engagement dans une démarche qualitative sincère et honnête.
Vient ensuite l’équation économique à réaliser pour faire vivre de telles structures. Chez Ten Belles Bread, l’adresse du 10è arrondissement sera bien sûr le premier client de l’entreprise, mais il faudra aussi développer les fournitures extérieures (B2B, événements, …) et naturellement la clientèle boutique. Entreprendre, c’est avoir une vision, y croire profondément mais aussi croire en l’avenir. C’est le cas d’Alice et Anselme. Souhaitons leur beaucoup de succès.
Infos pratiques
17/19 bis rue Bréguet, 75011 Paris (métro Bréguet-Sabin, ligne 5) / tél : 01 42 40 90 78
ouvert tous les jours.
A tes louanges il faut ajouter dans le cursus d’Alice et Anselme la délicieuse table du Bal qu’ils ont tenu pendant plusieurs années, à deux pas de la Place Clichy, elle délivrant une cuisine parfaite et lui un accueil très chaleureux. Ainsi leur culture du goût est aujourd’hui pour eux un acquis précieux. A titre d’exemple, leurs sandwichs délicatement toastés qu’ils proposent à midi sont révélateurs du véritable esprit qu’ils apportent à leur offre.
Bonne semaine à toi et tes lecteurs, François Dumoulin
C’est exact François, merci pour la précision, intégrée à présent dans l’article.
Bonne semaine également !
Rémi