Je n’ai pas souvent l’occasion de vous parler d’histoires d’amitié. Parfois un peu d’amour, d’autres fois de raison, les couples d’artisans boulangers pouvant tenir plus qu’à ça qu’aux sentiments. Il faut dire que l’engagement n’est pas anodin : avoir confiance en l’autre, être prêt à partager avec lui une aventure entrepreneuriale engageant une bonne partie de sa temps et même de sa vie, autant de choses qui ne s’accordent pas à n’importe qui. Ainsi, la rencontre avec ce type d’aventure, où la confiance a su durer avec les année, doit être appréciée à sa juste valeur.
Erwan Blanche et Sébastien Bruno sont de ceux-là, des fidèles. Non content d’être amis, ils partagent également un métier, celui de pâtissier… et maintenant de boulanger. En effet, c’est depuis l’été 2014 que les deux associés déploient leur Utopie gourmande au 20 rue Jean-Pierre Timbaud, dans le 11è arrondissement parisien.
Cette boulangerie-pâtisserie est la concrétisation d’un projet mûri depuis 15 ans, au cours desquels ils ont chacun suivi des parcours professionnels riches et variés.
Pour Erwan, les voyages se seront enchainés avec des phases de travail intensives, suivies de périodes de découverte. Les cuisines, les plages, les restaurants gastronomiques… tout y passe. Du côté de Sébastien, après un apprentissage à Thiais et au sein de la maison Montziols à Saint-Maurice, il rejoint les équipes d’un traiteur sucré à Londres, puis celles de la Maison Ladurée où il officiera pendant près de 8 ans. Vient alors le temps de croiser les parcours, de se retrouver, et même de passer… un diplôme de plongée ensemble, en Malaisie. Une bonne façon de ne jamais se noyer… même en cas de voyage en eaux profondes.
Il faut dire que les deux associés auraient eu toutes les raisons de couler à pic en reprenant cette affaire d’angle, sérieusement défraichie. Que ce soit en boutique ou au laboratoire, la feu-boulangerie Charlot portait bien son nom tant elle semblait avoir été tenue depuis quelques années au dépit du bon sens. C’est au prix d’un lourd investissement humain, matériel et financier que les choses ont changé au fil des mois. De la peinture tout d’abord, beaucoup de nettoyage, un nouveau four, … puis des vitrines neuves à l’automne. Les produits ont connu eux aussi d’importants changements : plus de pré-mixes mais uniquement des pains réalisés sur levain naturel, des viennoiseries et pâtisseries 100% maison, une gamme traiteur moderne… l’exigence entretenue par Erwan et Sébastien s’exprime sur tous les postes.
Exigence mais pas pour autant tyrannie : il faut savoir placer le curseur et rester pragmatique quand c’est nécessaire. Un principe qui s’applique autant sur le choix des matières premières qu’en matière de management. Chez Utopie, l’essentiel est de prendre plaisir à participer à l’aventure, et que le travail ne soit pas ressenti comme une contrainte. Lors du recrutement, c’est la passion qui prime sur l’expérience. Chacun est ainsi impliqué dans le projet de l’entreprise, que ce soit en vente ou en production. Zohra, Gwladys, Lilian, Xavier, Valentin, Yaya … ont bien intégré ce mode de fonctionnement et c’est ainsi que l’on trouve ici une qualité régulière de service et de produit. Cet état d’esprit n’est pas vraiment monnaie courante dans la profession, et de nombreux artisans considèrent encore que la pression est le meilleur moyen pour maintenir la performance de leurs équipes. D’autres n’ont même pas le sens de la qualité. Les boulangers de l’ancienne équipe, pourtant reprise lors du changement de propriétaire, semblaient bien faire partie de ceux-là : ils ont quitté bien rapidement les lieux en constatant que leur quotidien allait être considérablement transformé.
Le travail du pain, le suivi de la fermentation, la sélection des farines… autant de sujets qui étaient bien nouveaux pour ces deux pâtissiers de métier. Leur curiosité naturelle et leur rigueur, accompagnés d’une absence d’à-priori négatif vis-à-vis du caractère besogneux de la boulangerie, leur ont permis de progresser rapidement et de mettre en place une gamme variée, associant goût et conservation. Près de 6 à 8 mois auront été nécessaires afin de parvenir à un résultat réellement satisfaisant à leurs yeux, et pour maitriser les différentes méthodes de fermentation que sont la poolish, le levain liquide et le levain dur. J’ai vu trop souvent des transfuges de l’univers sucré reprendre des boulangeries en négligeant complètement le fait que c’est le pain qui assure le bon fonctionnement de leur établissement, et le traitent comme un sujet négligeable… pour des résultats désastreux. Ce n’est pas le cas ici, et c’est à mon sens l’un des éléments clé du succès grandissant de leur entreprise.
Pourtant, bien peu de monde y croyait. Malgré leur expérience, peu d’acteurs de la profession ont cru en leur projet. Les prises de contact avec les meuniers se sont soldées par des échecs, sans doute du fait de la faiblesse apport personnel. Fort heureusement, une personne a cru en eux et les a accompagnés aussi bien pour trouver un fonds de commerce que pour les différentes démarches liées à leur installation. Philippe Sautereau, directeur commercial des Moulins de Chars, a ainsi fait la preuve que l’humain et la prise de risque aux côtés des entrepreneurs n’étaient pas tout à fait perdus dans cette filière où les artisans sont souvent laissés bien seuls. L’enjeu est justement de parvenir à intégrer du sang-neuf dans la profession, pour dynamiser l’offre et participer à son évolution qualitative. Dans cette démarche, les compétences et la motivation comptent bien plus que les données financières, et il s’agit de ne pas se tromper dans les profils sélectionnés.
En effet, on voit beaucoup de gens ayant beaucoup de choses à dire, mais peu d’histoires à raconter. Quand on n’a pas ou peu d’identité, la boulangerie et la pâtisserie sont tristes, car ces métiers sont l’expression directe d’une sensibilité et d’un goût. Le 20 rue Jean-Pierre Timbaud en est une excellente illustration : les matériaux -bois et métal- correspondent pleinement à l' »univers Utopie », avec une approche assez brute et directe. En vitrine, les gâteaux associent des saveurs d’ici et d’ailleurs. Une tarte au Kalamansi ? Un souvenir de Malaisie. Un pain au charbon végétal et aux graines de sésame torréfiées, un autre au thé vert Sencha et aux grains de riz soufflé, … La créativité des deux compères est sans limites.
La clientèle a évolué au fil du temps, pour attirer des personnes sensibles à ce type de produits. Les six premiers mois ont été très difficiles, car les critiques furent nombreuses… le changement n’est pas souvent bien vu, même dans une ville comme Paris. Dans un quartier en pleine évolution – le 11è arrondissement accueille une population de plus en plus aisée – une boulangerie comme Utopie a parfaitement sa place et participe même à la valorisation des logements.
Pour accompagner le changement, l’ouverture du fournil sur la boutique aura été un élément déterminant. En plus de créer de la transparence sur la production et de rassurer les clients, cela permet de passer avec fluidité en vente… ce que les associés font avec plaisir, créant ainsi une relation privilégiée avec leur clientèle. Plusieurs restaurateurs situés aux alentours ont fait le choix de rejoindre l’aventure, attirés par l’état d’esprit et la qualité des produits. A présent, Erwan et Sébastien cherchent à consolider leurs premiers acquis, notamment en parvenant à garantir la régularité – si difficile et pourtant essentielle en boulangerie artisanale. Plutôt que de courir après des objectifs inatteignables, de réaliser des projections, de se voir déjà à la tête d’une seconde affaire… ils avancent sereinement avec leur équipe et nous prouvent que l’on peut encore faire vivre des Utopies… concrètes.
Infos pratiques
20 rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris (métro Oberkampf, lignes 5 et 9) / tél : 09 82 50 74 48
ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h.
Merci pour ce long portrait qui donne envie d’aller voir et gouter de plus près.
J’apprécie le développement du côté humain (les chaînes,même de qualité la néglige et remplace la convivialité que l’on doit trouver dans une boulangerie par un aspect clinquant et pas chaleureux)de l’article.Par contre la description des produits est ,du moins pour moi,trop succincte.Qu’à cela ne tienne j’irai tester très bientôt.
De plus ils ont vraiment une bonne bouille qui ne fait pas du tout ex hec
Peut-être parce que les produits ne représentent pas le sujet principal ici à l’inverse des hommes ?…
Quel plaisir de lire un bel article sur ma boulang’ de quartier. On adore leurs produits et on en revient même à reprendre des baguettes (oui on est tous passés à la tradition) tellement elle est bonne. En fait, tout y est bon. J’ai hâte de gouter les dernières créations pour Noël !
Et puis du pain fait par des barbus pour des barbus, c’est SO onzième !
On ADORE !
Voilà un portrait d’Artisans qui aiment leur métier,
ainsi qu’un Rédacteur qui sait écouter et ne pas inventer 🙂
Si vous passez prés de chez ces deux professionnels,
n’hésitez pas, vous y reviendrez ………….
Excellent place. Fresh fresh fresh.