La vie est triste sans amour ou passion. Je n’envie pas beaucoup les gens qui vont tous les jours travailler en sachant qu’ils ne feront pas ce qu’ils aiment, qu’ils ne seront de simples exécutants de tâches pour lesquelles ils n’éprouvent pas d’envie particulière. L’amour éclaire une vie et elle manque de saveur sans lui. C’est vrai aussi bien avec les personnes qu’avec les activités humaines.
Le pain, c’est avant tout une histoire d’amour. S’il est réalisé sans sentiments, dans la plus grande indifférence, il n’exprimera pas tous les arômes particuliers qui seraient les siens s’il avait reçu cette étincelle créatrice de sens. Le problème, c’est que de nos jours, la boulangerie constitue avant tout une voie choisie pour avoir une certaine assurance de trouver un emploi. Pas de vocation, pas de passion, juste un choix rationnel. On ne peut pas blâmer ce comportement, pour autant, c’est ainsi que les mélanges de farine développés par les meuniers prennent une place toujours plus importante au sein des boulangeries. Faciliter le travail de « l’artisan », ou plutôt de l’assembleur d’ingrédients.
Heureusement, à côté de cela, il existe toujours de vrais passionnés. On me parlait récemment d’un certain « farinoman fou », installé à Aix-en-Provence. J’en avais déjà eu quelques échos à travers divers articles de journaux, sans que je puisse vraiment approfondir la question. En lisant son site internet (http://www.fradettefarinomanfou.net/), j’ai pris toute la mesure de l’engagement de cet homme dans son travail, de son regard sur ce métier auquel il donne de belles lettres de noblesse. Il suffit de regarder la carte de ses pains pour être surpris, pour se dire qu’avec amour les choses sont différentes. Certainement plus folles, plus tourmentées, mais elles prennent du sens, au moins.
En lisant tout cela et en y réfléchissant, je me dis qu’il y a beaucoup à faire pour porter cet amour du pain, pour partager ces notes bien réconfortantes dans un monde où subsistent peu de repères. Tout cela est vrai, tangible, sûr. Ce sont des valeurs sur lesquelles on peut compter, au moins.
Certains ont déjà commencé, comme Steven Kaplan, malgré son caractère un peu anecdotique et sur-démonstratif parfois. J’ai peur que ça ne soit pas suffisant tant la tâche est vaste. Je me pose aussi la question de savoir s’il est réellement possible d’y parvenir sans être soi même dans un fournil jour après jour. Au final, ma tâche est un peu facile : je regarde et apprécie le travail des autres, je ne le fais pas moi même. Cela m’inciterait presque à mettre « la main à la pâte », à apprendre ce formidable métier manuel. Peut-être à l’avenir…
Dans l’immédiat, je sens que ce que je fais peut être créateur de sens, que cela peut contribuer – très très modestement, certes – à « changer le monde », car c’est bien là mon rêve… et ma seule passion. Le reste n’est qu’éphémère…