Ma vraie vocation, dans la vie, ce serait éleveur de troupeau. Vous savez, les transhumances, les alpages, les grands espaces, cette solitude, perdu parmi ces bêtes. Se lever le matin et profiter du paysage. Laisser le temps filer, tout simplement. Chaque région a ses troupeaux. Ils prennent des formes différentes, sont plus ou moins agités et ont des caractères plus ou moins poétiques.
A Paris, ce sont les hommes, femmes, résidents ou touristes qui se rassemblent et forment un assemblage – certes disparate – plutôt agité, souvent bruyant, et très pressé sans être rapide. Comme si la « ville lumière » exerçait sur eux une pression et une force incroyables.
Au final, cela semble les porter à agir de façon relativement peu rationnelle, à se presser aux mêmes endroits aux mêmes moments… ce qui, en plus de renforcer cette impression de « troupeau », les conduit à attendre encore et encore, ce qui ne manque pas d’échauffer les esprits.
Tenez, un exemple concret : ce week-end, « the place to be », c’est certainement le « Carnaval Colette », organisé à l’occasion des 15 ans du fameux concept-store de la rue Saint-Honoré. Au programme, une belle brochette de marques toutes plus tendance les unes que les autres, quelques rendez-vous ponctuels au fil des deux jours… et surtout beaucoup de monde, de l’attente pour entrer, et des ballons bleus qui trainent un peu partout. Vu la foule, personne ne profite de rien, mais on pourra dire « j’y étais ». Voir – ou plutôt ne rien voir – et être vu. Le propre de la tendance parisienne.
Peu à peu, le goût des adresses authentiques se perd, il n’y a pas besoin de chercher puisque l’on nous dit où il faut être, ce qu’il faut consommer et de quelle façon. Dans ce jeu, c’est à qui aura la meilleure agence de Relations Publiques, puisque ce sont elles qui font et défont les tendances. Communiqués de presse, portages divers, organisation d’événements dédiés aux divers blogueurs, journalistes et influenceurs… Tout est bon pour parvenir à leurs fins. Après tout, quoi de plus normal, elles ne font que leur travail. Simplement, dans ce même travail, l’objectif est de mettre en avant des clients au détriment de ceux qui n’ont pas les moyens de déployer tout cet arsenal médiatique.
Le cas de la boulangerie est symptomatique : la plupart des artisans n’auront jamais la possibilité d’accéder à de telles prestations, et ils sont donc condamnés à demeurer « dans l’ombre » de quelques boulangers. Pourtant, leur travail est souvent de meilleure qualité, on se sent mieux dans leurs boutiques et on profite tellement mieux de l’ensemble. En réalité, on en profite vraiment, tout simplement. L’effet pervers de la tendance et de la mode, c’est que beaucoup se laissent porter par des avis positifs recueillis ici ou là, sans que l’on apprécie particulièrement le produit au final. C’est bon parce qu’on nous a dit que cela devait l’être. Dès lors, il faut s’extasier, chanter les louanges, déposer un peu de bave au sol, c’est le minimum que l’on puisse faire pour reconnaître le caractère exceptionnel de l’endroit. Parmi les derniers exemples en date, l’emballement autour des ‘burgers gourmet’, avec une pluie de restaurants ouverts les uns à la suite des autres. Blend, le Camion qui Fume, … Il fallait en être, au risque de paraître ringard, même si tout cela est un peu… lourd, à plusieurs points de vue.
Les guides et blogs participent allègrement à ce « mouvement », en tant que pourvoyeurs de bon goût. Sans vouloir me défendre d’agir de façon totalement différente, j’espère tout de même m’inscrire dans une autre démarche, en cherchant justement à « découvrir » et pas seulement à suivre et recopier les communiqués de presse sans forcément visiter les lieux-dits. Ca n’est pas toujours facile, puisqu’il faut réfléchir, essayer et parfois vivre quelques expériences plutôt désagréables… mais la vie n’est pas parcours pavé d’or, et c’est certainement en se trompant que l’on apprend à mieux apprécier lorsque l’on trouve un vrai bon produit, une vraie bonne adresse. Tout le monde ne peut pas se le permettre, faute de temps – et le temps est un luxe dans nos sociétés modernes -, pour autant il faudrait certainement que l’on se donne à nouveau la possibilité d’ouvrir un peu le champ de nos possibles, de nos envies, de nos sens… sans quoi l’on finira par vivre dans une cité complètement aseptisée, dominée et régie par le bon vouloir de quelques instances médiatiques et financières. Des créateurs de troupeaux, des éleveurs de mouton… Un programme bien peu réjouissant.
Pas bêêêêêête, cet article !
(Et dans le contexte, l’image de la bave est irrésistible 😀 )
Bonjour Remi,
Le phénomène que vous décrivez ne date malheureusement pas d’aujourd’hui. On aurait pu penser un temps qu’Internet et que certains blogueurs allaient pouvoir donner un autre point de vue. Malheureusement, il n’en est rien… chacun reprenant les adresses des uns et des autres, sans aucune originalité. Soit dit en passant, les Burgers de Blend ou du Camion qui fume sont totalement convaincants avec un excellent rapport qualité/prix. Ce qui n’empêche pas d’être un peu énervé de voir une pluie d’articles sur ces mêmes endroits, dans tous les magazines et en même temps… Dommage !
la nage à contre-courant est toujours plus éprouvante
Eprouvante, le mot est bien trouvé…
Comme c’est vrai ! et comme c’est dommage qu’internet ne serve pas davantage à la découverte de vraies adresses, de vraies informations, etc, qui sont noyées dans la masse.
Et encore une fois bravo pour ces articles remarquables tant sur la forme que sur le fond !
Merci Renaud. Je suis bien d’accord sur le fait qu’internet devrait permettre des découvertes et non aboutir à mettre en avant des adresses déjà reconnues.