Je dois bien l’avouer, je cède parfois à la peur, je reviens littéralement terrorisé de mes parcours painrisiens. Oh, non pas à cause du courroux de certains artisans vis à vis de mes propos parfois tranchants, ou bien parce que la situation de la boulangerie artisanale demeure préoccupante, même dans la capitale. Vraiment rien de tout ça. Ce sont tout simplement les produits qui m’effraient, et le fait que les consommateurs continuent à se presser devant les portes de certains établissements dont la production alterne entre le juste « moyen » et le carrément catastrophique.
Il n’y a pas que les baguettes blanches, les difformes sont tout aussi nombreuses, de même que les grignes déchirées, les mies serrées… au final, c’est ma gorge qui finit par l’être, serrée. Pourtant, je n’ai pas l’habitude de me promener en cravate.
Cependant, je tente d’affronter ce sentiment. Tout comme Paul Atréides, héros du fameux roman futuriste Dune (vous noterez la qualité de mes références culturelles). « Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »
Certains boulangers m’aident dans cette lutte de longue haleine. Jean-Paul Mathon est de ceux-ci, mais il semblerait que lui aussi voudrait nous faire peur… à l’occasion d’Halloween. Au lieu de creuser des citrouilles comme le font si bien de nombreuses familles, le talentueux artisan de l’avenue Gambetta les a découpées… pour les incorporer dans un pain. En définitive, cette création au Potiron et Graine de Courge n’a rien d’effrayant, bien au contraire. Façonné en petit bâtard, avec une grigne unique bien ouverte, ce pain suscite la gourmandise par son visuel : légèrement orangé, parsemé de généreux cubes de légume et de graines, la curiosité est piquée au vif. Au nez, ce sont des notes sucrées et épicées qui s’expriment, comme une promesse de douceur et de réconfort pour l’automne.
N’ayons pas peur de rompre la croûte – fine et craquante par ailleurs -, aucun mauvais sort ne nous attend. On découvre ainsi une mie toujours bien alvéolée, très hydratée. C’est d’ailleurs sur ce point que la grande maîtrise de ce boulanger s’exprime le mieux, car il parvient à incorporer des fruits ou des légumes frais (ici le potiron, mais il travaille aussi la pomme le vendredi) en obtenant un produit de bonne tenue.
La texture de mie est ainsi légère, fondante, sensation renforcée par la douceur humide du cucurbitacée. Les saveurs s’enchainent, se mélangent et se distinguent au fil de la dégustation : vanille, noisette, sucré, salé, on voyage rapidement à la frontière entre plusieurs univers et on ne saurait, en définitive, trop dire si l’on a goûté un pain ou une véritable gourmandise. Laissons le délicieux doute subsister et continuons de faire craquer les délicieuses graines, qui constituent autant de points de contraste -de par des notes grillées, très chaudes- avec le potiron.
Pour profiter au mieux de l’expérience, mieux vaut sans doute déguster ce pain seul. Il accompagne néanmoins des plats salés avec beaucoup d’élégance : viandes blanches, poêlées de champignons, carottes … autant de déclinaisons automnales, et ce n’est sans doute pas un hasard au vu de la couleur orangée du produit, qui n’est pas sans rappeler celle des feuilles disposées le long de nos chemins. Comme souvent, la note lactique d’une noix de beurre est également agréable, et soutient la douceur du mélange.
Jean-Paul Mathon semble décidément inspiré ces derniers temps, et c’est pour notre plus grand plaisir. Peu de boulangers développent une telle dynamique, à plus forte raison sur le pain, qui est généralement l’enfant pauvre de la création. Pourtant, le champ est large pour inventer de nouveaux produits, dès lors que l’on s’affranchit de la peur de ne pas trouver l’adhésion de la clientèle… Je ne sais pas si cela était une expérimentation et si le produit intégrera la gamme de façon plus durable, je l’espère en tout cas.
Pain au Potiron et Graines de Courge, La Gambette à Pain – Paris 20è, vendu le mardi 29 octobre 2013, 2,80€ la pièce de 250g.