La gastronomie, c’est avant tout une affaire de parti-pris, de sensibilités. Difficile de bien savoir à quoi s’attendre lorsqu’on lit l’intitulé d’un plat ou d’une création, car d’une maison à une autre, le résultat sera bien différent. C’est pourquoi il peut être intéressant d’étudier les hommes avant leurs produits, ce qui nous permettrait ainsi de mieux cerner la volonté créative… et en définitive, le goût, avant même d’avoir dégusté quoi que ce soit.
En effet, il ne suffit pas de manger, il faut aussi comprendre. Comprendre le chemin et l’intégrer à ses sens. En parlant de chemin, celui que parcourent les épices pour arriver jusqu’à nous est bien souvent long et fut, par le passé, assez tortueux. Beaucoup d’explorateurs ont fait rêver nos assiettes, et on ne peut que les en remercier.
Du côté du pain, peu d’artisans cherchent vraiment à les intégrer dans leurs produits, certainement de peur de ne pas parvenir à les vendre par la suite. Pourtant, des acteurs bien connus du monde de la boulangerie les utilisent… dans leurs prémixes ! C’est le cas des Moulins de Chars, qui a intégré dans sa baguette aux céréales « l’Impatiente » des notes de curry et de cumin, pour susciter l’appétit du consommateur. En effet, les notes sucrées de ce mélange rendent la dégustation fort agréable. Le groupe Holder a tenté la même expérience plus récemment, avec sa gamme de « pains aromatiques » : curry-cumin, menthe et carvi… Des mélanges qui ne sont pas sans rappeler ceux de Gontran Cherrier, qui est certainement le plus créatif dans le domaine.
Justement, c’est pour cela que je parlais de parti-pris en introduction : chez cet artisan, les épices sont très présentes, et le pain devient alors plus un « support de saveurs » qu’autre chose. Ses parfums propres (froment, seigle, levain…) passent en arrière plan, un choix que l’on pourrait discuter longuement.
A l’inverse, chez les Pichard, hors de question de produire des pains qui n’en auraient pas le goût, à l’image de leur fameuse baguette et ses notes lactiques ou de leurs boules biologiques à la douce acidité, primées l’an passé. Ainsi, j’ai été plutôt surpris en découvrant dans leur boutique une nouveauté : le pain 4 épices.
Nous sommes bien loin du riche pain d’épices que l’on pourrait imaginer, il s’agit plutôt d’un pavé de tradition, bien classique de prime abord. On appréciera le décor amusant en damier, qui recouvre une croûte bien craquante. Au nez, les épices annoncées seraient difficilement perceptibles. Cannelle, gingembre, clou de girofle et noix de muscade, où êtes-vous ?
A l’intérieur, ou plutôt, au goût. En effet, on découvre au fil des bouchées les délicates notes épicées, qui accompagnent la saveur de froment bien marquée. Le résultat est très subtil, peut-être trop pourrait-on dire… Les épices apportent une belle longueur au bouche à ce produit, elles « montent » au fur et à mesure tout en restant mesurées. Cela s’accompagne d’une réalisation impeccable, comme d’habitude : mie bien alvéolée, fraiche et de couleur légèrement crème. Rien à redire non plus sur la conservation, au contraire : le pain garde bien sa consistance le lendemain, et ses saveurs n’en sont que plus développées.
Voilà donc une agréable surprise, un pain délicat et tout à fait à l’image des autres produits de la maison Pichard : respect de la tradition, qualité et savoir-faire. Cette note de fantaisie apportée par les épices est bien appréciable, et je suis heureux d’assister à de telles initiatives.
Pain 4 épices, Maison Pichard – Paris 15è, vendu à la pièce – 1,70€ les 250g