Notre sens du goût est défini culturellement : c’est un élément acquis et non pas inné. Dès lors, il n’y a pas de contrainte physique qui pourrait nous empêcher d’apprécier l’ensemble des saveurs et produits mis à notre disposition. Bâtir sa liberté culinaire, c’est abattre les frontières du « j’aime » et « je n’aime pas », remettre en question nos idées pré-conçues et toujours chercher à découvrir. J’ai été beaucoup inspiré par le travail de Philippe Conticini sur cette voie : le célèbre chef pâtissier a cherché a remettre à plat son goût pour mieux se connaître et être en mesure de se définir pleinement, pour savoir ce qu’il voulait offrir aux autres. Une telle démarche met bien en valeur l’importance que l’on devrait donner à l’éducation sensorielle, et aux apprentissages qui devraient être réalisés dès le plus jeune âge autour de l’alimentation. L’enjeu est de taille : il faut parvenir à transmettre aux générations futures des valeurs, le goût du bon… en sachant aussi ce qui l’est moins.
Les traditions sont d’ailleurs un élément clé de notre culture culinaire. Selon qu’on soit né en France, en Amérique, en Asie, en Afrique… nos habitudes en terme de repas seront différentes. Cela s’explique par la disponibilité de certains produits localement, par un mode de vie particulier, par un climat… ou par des contraintes politiques établies à un moment donné.
En Toscane, le sel était particulièrement cher, ce qui a poussé les habitants à s’en passer le plus possible… et notamment dans le pain. Ainsi est né leur tradition d’un pain sans sel, qui s’est révélé idéal pour accompagner charcuteries et fromages, largement consommés dans ce territoire.
Aujourd’hui, dans notre vision du pain français, il nous paraîtrait bien difficile de se passer de sel : son taux avait par ailleurs explosé en même temps que les boulangers adoptaient des processus intensifiés. Pour « corriger » le caractère fade du produit et réguler la fermentation, on y allait par poignées dans les pétrins… souvent sans même le peser. Tout cela n’est pas bon pour la santé : le corps médical nous a alerté sur les méfaits d’une consommation excessive de sel, notamment pour la tension artérielle. Le pain fait partie de l’alimentation courante, et il doit participer à l’effort de réduction de la consommation. Le Plan National Nutrition Santé -PNNS- visait un objectif à 18g de sel par kilo de farine pour fin 2014… je pense que nous en sommes encore loin dans certaines boulangeries.
Patrick Cognard et Yvon Foricher ont découvert le pain Toscane lors d’un déplacement en Italie pour participer à la mise en place d’un partenariat avec un distributeur local. Si l’idée les a interpelés, ils ont aussi trouvé le produit fort décevant dans bien des cas. Piqué au vif, le fameux boulanger démonstrateur a multiplié les essais et les recherches de retour en France. C’est un travail de plusieurs années qui s’achève avec la présentation au salon Europain de la farine et du pain Toscane par Foricher les Moulins.
Nous sommes bien loin de l’idée que l’on se fait habituellement d’un pain sans sel : généralement, c’est un produit très pâle, sans saveur. En voyant ces belles tourtes à la croûte dorée, difficile d’imaginer leur secret.
Leur secret n’en est pas tout à fait un : pour parvenir à un tel résultat, il faut mener un travail sur le levain et la fermentation. C’est de cette façon que l’on développe les arômes, la croûte, … en bref, que l’on aboutit à un produit de qualité. Patrick Cognard et son équipe ont fait le choix d’utiliser une farine T80, moulue à partir de blés CRC.
Bien sûr, une fois en bouche, les sensations sont surprenantes : le sel stimule les papilles, il nous fait saliver et relance l’envie. Ici, rien de tout ça. On ressent des notes torréfiées, un goût de céréales pur et sans biais. La déclinaison aux noix de pécan n’est pas sans intérêt : le croquant des fruits secs apporte de la texture et leur saveur particulière. Comme en Italie, le pain Toscane est le compagnon idéal des plateaux de charcuterie et des fromages. Personnellement, je l’ai aussi beaucoup apprécié seul, ou avec un peu de beurre.
En laissant vieillir ce produit, son goût s’affirme, notre palais s’habitue au changement… après tout, pourquoi pas ? Il ne s’agira sans doute pas d’un produit de masse -j’en ai vu plus d’un rebuté par son caractère atypique !-, mais l’expérience a du sens si l’on prend un peu de recul.
Plutôt que de chercher à toujours ajouter des éléments extérieurs, des exhausteurs de goût, on revient aux fondamentaux, au savoir-faire du boulanger : la maîtrise de la fermentation et des levains. L’importance de la qualité de la matière première est aussi mise en avant : sans bonne farine, pas de saveur. Les écrits de Parmentier défendaient le fait que le levain devait être l’assaisonnement du pain. Nous sommes pleinement dans cet esprit, et sans aller jusqu’à 0g de sel, on peut tout à fait imaginer une réduction moins drastique du taux sans rogner sur le plaisir de dégustation. Aujourd’hui 18g, demain 10g ? Soyons réalistes, exigeons l’impossible !
Pain la Toscana, Foricher les Moulins, présenté en avant-première au salon Europain 2016. Prochainement disponible chez des artisans boulangers clients de ce meunier.