S’il y a bien une chose à laquelle on ne prête pas forcément beaucoup d’attention, c’est la qualité de la relation entretenue entre une boulangerie et sa clientèle. Son caractère de commerce de proximité créé tout naturellement un lien entre l’artisan et ceux qui, chaque jour, viennent chercher leur pain ou leurs gourmandises. Pourtant, sous cette apparente simplicité se cachent des enjeux bien plus sérieux, car on voit de plus en plus de consommateurs se tourner vers des offres bien moins artisanales, telles que celles proposées par des enseignes de la Moyenne ou Grande Distribution, ainsi que vers divers « points chauds ».
A l’occasion d’Univers Boulangerie 2012, Gérard Baillard, directeur de Mercuri International Business Partners, une entreprise spécialisée dans le conseil en marketing opérationnel et l’efficacité commerciale a tenu une intervention au sujet de cette fameuse Relation Client. Un exposé bien ficelé pour un homme qui se décrit lui-même comme un « vendeur », malgré tous les titres qu’on a pu lui attribuer au cours de sa carrière. Un vendeur brillant et éloquent, néanmoins, malgré ses difficultés… En effet, ce dernier a pu nous parler de l’instance de divorce… commercial qu’il connaît depuis plusieurs années.
Gérard Baillard
Que ce soit en boulangerie ou dans d’autres métiers, les entreprises ont peu à peu perdu le contact, ou plutôt la compréhension, des clients qu’ils avaient en face d’eux. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été inactifs : ils ont développé nombre de stratégies visant à offrir au consommateur ce qu’il recherchait. Ainsi, en 1980, on écoutait le client afin de s’adapter au maximum, et certainement de façon excessive. Dans les années 90, on a cherché à donner des preuves d’amour, puis à partir de 95 à analyser le processus. Puis vint en 2000 l’âge des cadeaux, pour se mettre au service du client… ce qui a eu pour fâcheuse tendance de mettre en valeur des profils générant de gros volumes tout en étant en définitive peu fidèles.
Cela n’a pas répondu aux attentes du client, car une évolution individuelle était en train de se préparer sans que l’on s’y intéresse. Même si l’avis des pairs a pris une importance considérable (notamment avec les partages d’avis), de véritables « autonomistes » sont apparus et ont contribué à faire perdre à l’entreprise et à ses représentants le caractère reconnu et légitime de leurs discours ou conseils. Plutôt que de tenter de développer de nouvelles stratégies de Relation Client, il devient alors nécessaire de se différencier.
Cette différenciation se joue sur trois pôles : rationnel, relationnel et émotionnel. Pour un boulanger, il faut donc apporter un produit de qualité, mais aussi offrir des facilités telles que des horaires d’ouverture adaptés aux attentes de la clientèle, organiser ses fournées en fonction des « moments forts » de la journée…
Sur le plan relationnel, on doit apprendre à dépasser la supériorité naturelle que l’on reconnaît à l’artisan vis à vis des grandes enseignes. Certes, l’affectif a de l’importance, mais il ne créé pas de mémoire active et de reconnaissance comme savent si bien le faire les outils de Gestion de la Relation Client déployés par de grandes structures. Date de naissance, habitudes de consommation, … tout y passe, et c’est une excellente façon de créer des « occasions », comme offrir un pain ou une sucrerie à l’occasion de l’anniversaire de son client. Ajoutez à cela des dégustations, des fêtes, et vous obtenez un commerce vivant et ouvert sur sa clientèle.
Nos artisans boulangers doivent aussi mettre en avant leur savoir-faire, dépasser les évidences apparentes pour remettre un peu de « complexité » dans le discours : certes, les nouveaux médias et réseaux sociaux savent répondre à beaucoup de questions mais cela ne reste que très superficiel, bien loin de couvrir la palette de cas et de particularités que les pains et leur consommations peuvent présenter. L’expression « ça dépend » catalyse assez bien cette idée de savoir-faire auquel il faut ensuite associer du faire-savoir.
Au fil du temps, en apportant conseil et produits de qualité, le boulanger doit parvenir à se distinguer, à développer une identité et une signature propres. Cela lui permet de reprendre de l’importance dans le parcours d’achat du consommateur, puisqu’il est davantage visible et porte son pain en dehors de l’achat de commodité sur lequel il serait bien plus remplaçable, quasi-interchangeable. Bien sûr, certains clients ne seront pas sensibles à cette démarche et rechercheront avant tout de « l’excellence opérationnelle », tout au plus un sourire, un bonjour et un merci. Néanmoins, pour des occasions particulières, ils seront toujours en recherche d’un conseil et d’une écoute auxquels il faudra savoir répondre.
Justement, c’est là que les nouvelles technologies peuvent être employées de façon pertinente : tout d’abord en développant sa présence sur les différents moteurs de recherche et réseaux sociaux, puis en créant une véritable base de connaissance permettant d’améliorer la qualité du conseil fourni : aussi bien les allergènes, les associations mets-pain voire vins, les ingrédients… peuvent être référencés dans des catalogues virtuels qu’il est ensuite aisé de présenter au client, par internet ou même en boutique avec des outils simples et de plus en plus accessibles (tablettes tactiles, notamment).
C’est une nouvelle idée de la Relation Client qui se profile en boulangerie, l’artisan doit savoir y imposer ses choix et contraintes tout en restant attentif aux besoins de ses clients. Hors de question de fabriquer des tartes aux fraises en hiver « pour faire plaisir » ou bien de produire plus que l’on ne devrait pour assurer une qualité optimale : un échange basé sur la confiance et le respect doit s’instaurer avec le temps.
En plus de l’intervention de Gérard Baillard, différents boulangers ont pu s’exprimer sur la question, et c’est notamment le cas d’Eric Cagnot et Franck Pinaud, boulangers à Caussols dans les Alpes-Maritimes. Ces deux associés, dont le second est issu d’une reconversion professionnelle, ont fait le choix de s’installer à 1200m d’altitude, dans un village de 300 habitants, où les habitants ont apprécié d’avoir en face d’eux de vrais artisans, ce qui les a incités à venir toujours plus nombreux. Une véritable relation de confiance s’est instaurée, même s’il est important de savoir dire « non » et d’imposer des choix, notamment en terme de quantité de production, pour éviter les pertes et le gâchis.
Thierry Auvin, boulanger à Vouillé (Vienne), nous a quant à lui donné un exemple de la différence entre une adresse de Centre Ville et une autre en périphérie. En effet, dans le premier cas, il doit faire face à une importante demande en pain blanc, ce qui est beaucoup moins le cas en périphérie, où il a pu mettre en place un système Paneotrad (avec à la clé une production 100% Tradition, sans baguette de pain courant).
Dans l’ensemble, les conseils donnés me semblent plutôt intéressants pour nos artisans boulangers, qui doivent réellement chercher à se distinguer pour exister et faire face à la concurrence des grandes enseignes. Cependant, est-ce bien compatible avec l’uniformisation toujours plus marquée des gammes et recettes proposées en boutique ? Les « grands réseaux » tels que Baguépi, Ronde des Pains, Banette, Festival… sont appelés à se réinventer pour permettre cette montée en puissance de l’identité de chacun des artisans. Encore faut-il qu’ils y mettent du leur en exprimant une véritable volonté dans ce sens.
Sur le plan des nouvelles technologies et des outils de relation client, il faut parvenir à les rendre accessibles au plus grand nombre, et c’est loin d’être le cas aujourd’hui : là dessus, le painrisien devrait être en mesure d’apporter quelques réponses à l’avenir… à suivre !