J’aurai pris un peu de temps pour digérer mon séjour à Poitiers. Pendant deux jours, j’ai pu assister à un spectacle qui m’a enfermé dans une certaine tristesse et donné une bien sombre image d’une partie de la filière boulangère. Non pas que je découvrais cette façon de penser, mais s’y confronter directement demeure toujours difficile et peu agréable quand on porte une certaine idée du pain et de la boulangerie.
Bref, peu importe, ce qui nous intéresse, ce sont les réflexions autour de l’avenir de nos baguettes et autres pains. En prolongement des sujets déjà développés, il a été également question de la boulangerie au sein du territoire. Il faut y voir plusieurs dimensions : tout d’abord, un aspect agricole, puisque les céréales ne se produisent pas par une opération de l’esprit. L’occasion pour Jean-François Gleizes, président de Passion Céréales, d’intervenir et d’insister sur l’importance que le blé peut avoir en terme de développement local, avec un accent particulier mis sur la cohérence dans la gestion des ressources et la proximité. Cela a tout de même de quoi laisser songeur quand on voit la gestion plutôt court-termiste en la matière, avec un épuisement progressif des terres et l’utilisation de variétés à fort rendement mais de mauvaise qualité, que ce soit en terme d’intérêt nutritionnel, de panification ou même de durabilité. Ces points là n’ont pas été évoqués, pensez-vous, pas très glamour ni vendeur.
En parlant de glamour, justement, c’est le caractère que l’on souhaiterait donner à la profession de boulanger, en lui associant le nom d’entrepreneur. L’idée est de mettre en valeur les possibilités offertes par la profession, notamment en terme de revenu et de développement de l’affaire, en oubliant un peu le caractère pénible et peu épanouissant du métier, qui serait alors dévolu aux ouvriers… oui, vous savez, ceux sur qui les patrons passent leur temps à « cracher », parlant aussi souvent que possible des difficultés rencontrées avec leur personnel.
Du personnel, pourtant, il en faut, et ce n’est pas toujours facile d’en trouver pour travailler dans des zones reculées ou plutôt désertiques. Peu à peu, les boulangeries quittent les villages, faute de rencontrer une clientèle suffisante. Certains résistent en proposant des services tels que des « tournées » dans les secteurs proches de leur boulangerie… Je lisais d’ailleurs un article publié récemment dans le journal l’Union (visible ici : http://www.lunion.presse.fr/article/aisne/les-boulangers-souffrent-en-campagne), traitant de ce problème.
Il peut tout d’abord trouver une réponse politique, et le FISAC, Fonds d’Intervention pour le Commerce, peut participer à une volonté des élus de conserver de la vie dans leurs territoires. Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à un fort étalement urbain, lié notamment aux prix de l’immobilier dans les coeurs de ville. Afin d’empêcher la création de véritables « cités dortoir », il appartient aux politiques de créer les conditions pour rendre le territoire attractif, avec notamment des aides à l’installation, la mise à disposition de locaux adaptés à l’activité artisanale, …
Pour autant, je ne saurais considérer que c’est la seule façon de voir perdurer une activité boulangère en région ou en zone péri-urbaine. Si j’ai appris une seule chose sur le commerce, c’est que deux éléments principaux peuvent être facteur de réussite ou d’échec : l’emplacement et le produit. Vous avez le premier, tant mieux : même en étant un piètre artisan, vous parviendrez sans doute à assurer la pérennité de votre entreprise. Vous avez le second, le chemin sera peut-être plus sinueux, mais votre talent parviendra sans doute à attirer la clientèle là où elle ne se serait pas rendue d’ordinaire. C’est bien sur ce point que je veux insister : en proposant du pain de qualité, savoureux et bien réalisé (conservation, texture, cuisson…), je pense qu’il est possible de faire face à la concurrence de la grande distribution, en préservant ainsi l’artisanat. Seulement, il faut s’engager et ne pas céder à l’apparente facilité offerte par de grands réseaux boulangers, qui ne répondent en rien aux difficultés du quotidien par leur pré-mixes à la saveur uniforme.
Justement, l’intervention de Sylvia Pinel – ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme – sert tout à fait mes propos : elle a défendu le savoir-faire de l’artisanat boulanger français, avec son caractère non délocalisable tout en étant grandement exportable (il n’y a qu’à voir le succès de certains de nos boulangers à l’international !). Avec 12 millions de clients par jour, le poids économique de la boulangerie est non négligeable et il doit être défendu. Cela passe notamment par un intérêt tout particulier porté à l’avenir… et à la jeunesse, à qui il faut proposer des formations adaptées et valorisantes, tout en ouvrant la profession à des publics toujours plus larges (et notamment aux femmes qui doivent intégrer de plus en plus les fournils !). La Fête du Pain 2013 sera d’ailleurs organisée autour du thème des jeunes en boulangerie.
Toutes ces interventions, réflexions et paroles me laissent à penser que la Confédération et bon nombre d’acteurs de la filière ont conscience d’être confrontés à de multiples problèmes et à des enjeux de taille pour l’avenir de leurs métiers. Seulement, ils sont bien loin d’y apporter les réponses adéquates et préfèrent se concentrer sur des solutions à court terme, apportant revenu immédiat sans chercher à se tourner vers des évolutions structurelles qui porteraient, pour moi, beaucoup plus de sens. Je pense notamment à un vrai sursaut qualitatif dans les cultures et sur le produit offert au consommateur. Les deux chantiers se rejoignent inévitablement, puisque le goût ne peut s’en trouver qu’amélioré dès lors que la matière première est de qualité. Au champ, au moulin et au fournil, les acteurs de la filière doivent aujourd’hui s’impliquer pour se différencier clairement des industriels et de la grande distribution, si crainte et décriée. Espérons simplement que le réveil ne soit pas trop tardif.