Partir découvrir des boulangeries en banlieue en plein été, une tâche un peu aventureuse. Il faut dire que le risque de trouver porte close est grand, le trajet et l’effort étant alors mis à néant. Bien sûr, il y a le téléphone, j’en use et j’en abuse. Sans lui, j’aurais sans doute me faire opérer du nez à plusieurs reprises, vous savez, à cause de la fameuse expression « se casser le nez ». Heureusement pour moi, malheureusement pour d’autres, mon odorat est toujours fonctionnel… à l’affut de pain, bon si possible.
La période rattachée à l’été est dite ‘estivale’. Dès lors, quoi de mieux que de se rendre chez… Raphaëlle Estival ? Cette boulangère n’est pas partie en vacances, du moins, ses deux boutiques – à Créteil et Joinville-le-Pont – continuent à accueillir les gourmands tout l’été. Issue d’une famille d’artisans, l’entrepreneuse a pris le relais de sa mère et a développé son emprise dans le Val-de-Marne au fil des années. Ainsi, on a pu la retrouver à la tête de nombreuses entreprises de boulangerie, comme à La Varenne Saint-Hilaire ou Saint-Maur-des-Fossés. Aujourd’hui, la voilure semble avoir été réduite et concentrée sur les deux points de vente à l’enseigne « Estaëlle », charmante contraction entre le prénom et le patronyme de la dite-femme.
Le « vaisseau amiral » est à Joinville, mais les deux boutiques reprennent des codes similaires : lignes assez sobres et modernes, et surtout, gammes de produit larges. A commencer par le pain, où la maison cultive une étonnante diversité, surtout en banlieue où les artisans sont souvent timides à proposer des spécialités créatives. Entre le parfumé et moelleux pain au miel, le gourmand pain vigneron, les brioches joufflues – à tête, feuilletées, kouglof … -, les ficelles aromatiques, le Brié, les baguettes Polka, Epi, Tradition, la flute de Créteil ou de Joinville, les campagnes au levain, la tourte Bio, entre autres déclinaisons au lin, céréales ou fruits secs… Vous aurez compris qu’il y a de quoi se perdre, tout autant pour la production que pour nous : les façonnages et cuissons finissent parfois par être assez approximatifs, un fait bien regrettable quand certains pains dépassent allègrement les 10 euros du kilogramme.
Néanmoins, cela ne gâche pas le plaisir de déguster la baguette de Tradition et ses croutons en pointe, avec ses douces notes de levain et son bel alvéolage. Les amateurs de croûte seront satisfaits, puisqu’elle s’affirme particulièrement à la dégustation… un fait bien agréable lorsque la cuisson est bien menée, ce qui est trop rarement le cas au vu des couleurs trop souvent absentes.
Reconnaissons tout de même les bonnes qualités de conservation des pains proposés dans les boutiques Estaëlle, ainsi que la maîtrise du levain, lequel sait demeurer discret. Les intolérants au gluten apprécieront également le pain de Riz, tandis que les autres publics se tourneront avec plaisir vers les propositions gourmandes.
Pour continuer dans ce rayon, l’éventail de douceurs proposé ici se décline dans le même registre de variété. Tartes, éclairs, entremets, petits-fours ou millefeuilles, rien n’échappe aux équipes de Raphaëlle Estival, pour des tarifs relativement accessibles. La boutique de Joinville se distingue par le soin plus poussé porté à la réalisation des produits, même si dans les deux cas les vitrines offrent des pâtisseries alléchantes.
Côté viennoiseries, les propositions feuilletées peinent à se sortir de la moyenne. Le Kouign-Amman, bien caramélisé, ne manquera cependant pas de séduire les amateurs de la spécialité bretonne.
Au traiteur, fours feuilletés, quiches, pizzas ou sandwiches s’alignent et se mélangent sans plus de relief, le reproche étant toujours le même : la trop grande variété ne permet pas à la clientèle de bien distinguer tous les produits, et en définitive d’assurer leur pleine fraicheur. C’est dommage, car il y a tout de même de bonnes idées.
A noter également le fait qu’Estaëlle s’est développée dans le secteur du chocolat, avec une partie de boutique dédiée à Joinville-le-Pont. On retrouve ainsi un large choix de confiseries, palets, tablettes, mendiants, pralinés ou ganaches parfumés. C’est aussi l’occasion pour l’entreprise de développer les gammes associées, s’inscrivant dans une démarche d' »art de la dégustation », à l’image du thé ou des confitures maison.
L’abondance ne se retrouve pas du côté de la chaleur humaine, qui se fait ici particulièrement rare. Certes, le service est assez efficace et professionnels, mais le ressenti demeure assez froid et les jeunes femmes qui s’affairent ici ne semblent pas le faire avec un plaisir particulier. Même si les produits sont maîtrisés, l’ambiance assez « survoltée », tendue, qui règne dans les deux boutiques a vite fait de devenir pesante, et de faire de ces boulangeries un lieu de passage plus qu’un lieu de vie.
Infos pratiques
Créteil : 40 avenue du Général Leclerc – 94000 Créteil (métro ligne 8, station Créteil – L’Echat) / tél : 01 42 07 22 44 – ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h, 18h le dimanche.
Joinville-le-Pont : 42 avenue Gallieni – 94340 Joinville le Pont (RER A, gare de Joinville-le-Pont) / tél : 01 45 11 89 22 – ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h.
Avis résumé
Pain ? Raphaëlle Estival n’est pas tombée dans la farine et la boulangerie par hasard : issue d’une famille d’artisans, elle a très tôt fait connaissance avec cet univers bien particulier. C’est peut-être ce qui explique la diversité des produits proposés dans ses boutiques : pain au miel, pain vigneron, brioches variées, ficelles aromatiques, Brié, baguettes Polka, Epi, Tradition, flute de Créteil ou de Joinville, campagnes au levain, tourte Bio, déclinaisons au lin, céréales ou fruits secs… Rien ne manque, sinon parfois des cuissons abouties et des façonnages élégants. Cela n’entache pas pour autant les notes de levain bien maîtrisées, que l’on retrouve notamment dans la baguette de Tradition, bien craquante et alvéolée. Les tarifs ont une fâcheuse tendance à l’envolée dès lors qu’il s’agit de pains « spéciaux », avec de nombreuses variétés proposées à plus de 10 euros/kg. A ce prix, la qualité de réalisation devrait être exemplaire, ce qui peine à être le cas.
Accueil ? Professionnel mais empressé et manquant cruellement de chaleur, le service ne laisse pas une impression très agréable dans ces boutiques aux lignes modernes, peu portées sur le caractère vivant d’une boulangerie mais plutôt sur son côté fonctionnel. Bref, il manque la douceur féminine que nous inspirerait ce fameux nom, Estaëlle…
Le reste ? A l’image de l’offre boulangère, les rayons viennoiserie, pâtisserie et traiteur sont en proie à la même tendance surabondante. Même si cette générosité peut être appréciable, elle a un effet direct sur les viennoiseries, où les croissants, pains au chocolat et autres chaussons aux pommes et escargots aux raisins ne se détachent pas de la moyenne. Le traiteur s’inscrit en prolongement, laissant de la place à des pâtisseries plus soignées et appréciables. De passage à Joinville, on pourra également faire un arrêt du côté de la section dédiée chocolats et confiseries, où ganaches, pralinés, pâtes de fruits, tablettes, mendiants… s’invitent à la fête en plus des thés et confitures.
Faut-il y aller ? Estaëlle et ses accents médiévaux laissent place, lorsqu’on s’y intéresse, à une entreprise moderne, avec ses qualités et ses défauts. Bien sûr, le choix qui est offert à la clientèle ne manque pas d’être séduisant, tout particulièrement en pain où les gammes sont souvent bien négligées. Pour autant, un tel choix a forcément ses revers, même si les boutiques de Raphaëlle Estival demeurent bien tenues. Après s’être impliquée dans de nombreuses affaires du Val-de-Marne, la boulangère semble avoir fait le choix de se recentrer sur Créteil et Joinville. Un virage qui, espérons-le, permettra de toujours mieux satisfaire sa clientèle.