Exercer un métier ne sous-entend pas qu’on le fera toujours de la même façon, que l’on s’inscrit dans une routine immuable. Au contraire, notre monde allant de plus en plus vite, il faut souvent se réinventer et donner un nouveau sens aux mots pour continuer à faire vivre son activité. C’est un challenge passionnant, sans doute risqué et parfois usant, mais il donne la possibilité aux plus agiles de se distinguer nettement et d’aller plus loin, d’écrire leur histoire singulière en marge de toute pré-détermination liée au passé. Cette liberté nouvelle doit s’apprivoiser, car les risques d’erreur sont grands et les conséquences nombreuses.
Gilles Matignon est issu d’une famille de meuniers, dont le patronyme n’est sans doute pas étranger aux fins connaisseurs du secteur. A une époque, il y avait en effet 5 moulins Matignon en Seine-et-Marne. Le plus connu reste celui situé à Malesherbes, dont l’implantation date de 1925. Il a pris un chemin très conventionnel en adhérant au groupement Banette et en livrant artisans boulangers, GMS et industriels.
Une voie dans laquelle le Moulin des Gauthiers, situé à Château-Landon (77) aurait bien eu du mal à s’engager : de par sa petite taille (avec notamment deux silos de 50t pour le stockage blé), l’outil de production limite forcément les possibilités… mais ce n’est pas toujours un mal, quand on voit ce que peuvent pousser à faire de grosses machines.
L’histoire commence ici, au bord du Fusain, il y a quelques siècles. Des photographies d’archive présentent le moulin historique et nous amènent à penser que des hommes ont, très tôt, cherché à apprivoiser la force hydraulique présente sur ce terrain pour écraser des céréales. Le bâtiment que l’on connaît aujourd’hui date de 1860. La famille Matignon prend possession des lieux en 1912. Le grand-père de Gilles, issu d’une fratrie de 4 meuniers, entreprend par la suite de transformer cet ancien moulin à meule (2 paires furent en activité sur le site) en outil moderne : il acquiert des engins à cylindre et les assemble lui-même. L’opération durera trois ans et lui permettra d’affirmer fièrement sa connaissance exhaustive de l’ensemble, ayant participé à l’installation de la moindre latte de plancher.
Ce travail de mécanisation a permis non seulement d’accroitre considérablement la capacité d’écrasement du moulin, mais aussi de permettre au meunier de mieux se concentrer sur la satisfaction de ses clients au travers d’un produit de qualité, servi par des approvisionnements en blé plus sélectifs et à une meilleure régularité. Auparavant, le temps accaparé par la gestion mécanique ne laissait que peu de latitude à la progression sur ces sujets.
L’histoire continue de s’écrire avec la reprise par la troisième génération : le père de Gilles reprend la tête de l’entreprise en 1963, après son retour de la guerre d’Algérie. Il entretiendra l’affaire et parviendra à la faire perdurer jusqu’à sa transmission en 2001. Pendant cette période, le secteur de la meunerie n’a eu de cesse de se concentrer, rendant la survie d’acteurs artisanaux particulièrement difficile. La guerre des prix menée par les grands acteurs contribue chaque jour à étouffer ces entreprises de petite taille, qui ont pourtant beaucoup à apporter à leurs clients : être meunier, c’est avant tout offrir du service et une relation humaine riche.
Gilles Matignon n’est pas issu du « sérail » de la meunerie : ayant suivi un cursus en BTS Action Commerciale, il est arrivé dans le métier avec un regard plus libre. C’est ainsi qu’il n’a pas hésité à prendre un véritable virage dans son activité depuis 2008.
En développant la vente directe aux particuliers avec de petits conditionnements, la fourniture des AMAP et en participant à plusieurs « Ruches », le meunier autodidacte s’est créé une nouvelle clientèle fidèle et prête à payer pour obtenir une farine de qualité. Pour les satisfaire, il a développé son offre Biologique et propose ainsi une large gamme de farines (maïs complet, seigle, sarrasin, petit épeautre, Kamut, blé T65, T80, pâtissière…) et de mélanges prêts à l’emploi, avec des propositions de recettes gourmandes. L’approvisionnement en grains est le fruit d’un travail minutieux. Le blé conventionnel est acheté auprès de la Coopérative de Château-Landon, tandis que le Bio est sélectionné directement chez les agriculteurs. Au delà d’une céréale, il s’agit de mettre un visage derrière le produit et de pouvoir valoriser cette démarche auprès du consommateur. Plusieurs des sacs de farine sortant du Moulin des Gauthiers indiquent ainsi le nom du producteur des grains utilisés pour la mouture.
En parallèle, les relations avec des boulangers à proximité ont été renforcées, tout en cherchant à livrer d’autres types de professionnels : pâtissiers (Gilles Marchal ne jure que par ses farines, notamment pour sa récente biscuiterie), pizzaïolos, restaurants, … En s’adaptant sans cesse à leurs besoins, cette petite minoterie a fédéré autour d’elle un noyau fidèle de clients. Cela lui a permis de grandir : Gilles Matignon était seul avec un livreur en 2001, cinq personnes travaillent ici aujourd’hui. Le chef d’entreprise s’occupe des approvisionnements en blé, du commercial et supervise la production. Il est secondé dans cette tâche par un employé meunerie. Sa femme, Séverine gère le magasin de détail de farines et des produits locaux ainsi que la production des sachets de farine. Sa mère officie au secrétariat et à la comptabilité.
Cette progression récompense un engagement et des convictions : il fallait croire en cette terre et en ce paysage tranquille pour parvenir à écrire l’avenir. Même si le Gâtinais a toujours été réputé pour la qualité de ses terres et sa capacité à fournir des blés et orges de qualité (d’ailleurs très réputés en malterie), notamment grâce à un sol argilo-calcaire, cela n’a pas empêché les artisans meuniers de disparaître. Ici, à Château-Landon, on résiste encore et on ne manque pas une occasion de rappeler qu’il faut donner un sens citoyen à ses actes d’achat : en faisant confiance à de petites entreprises, le consommateur développe un tissu économique local. Espérons que nous serons toujours plus nombreux à en prendre conscience.
Infos pratiques
Moulin des Gauthiers – 77570 Château Landon
ouvert du lundi au jeudi de 8h à 12h et de 13h30 à 19h00, le vendredi de 8h à 12h.
site internet : http://farines-77.fr
Je ne trouve plus de farine de votre moulin chez « Proximarché » à Saint-Pierre-lés-Nemours. S’agit-il d’une rupture momentanée des stocks ou bien est-ce définitif?
N’ayant pu me fournir chez Proximarché, je suis allée chez Point Vert. J’ai payé 13,50 pour un sachet de 2 kg de « mixe gâti-graines ». N’est ce pas abusif?
Merci de votre réponse
Dany Moreau