En regardant le paysage du secteur de la restauration ou de la boulangerie-pâtisserie, on a souvent l’impression que les entrepreneurs choisissent les éléments de leurs projets sur catalogue, en choisissant pour la plupart de coller au mieux aux tendances vantées par les grands « spécialistes » et consultants. Il faut mettre en avant des farines issues de filières « vertueuses » ? Allons-y. Il faut des places assises, développer le snacking ? D’accord. Mélanger les genres, faire de la commande en ligne, proposer la livraison à dos de licorne… ah non ça pas encore. Cet enchevêtrement finit par n’avoir aucune cohérence, car il n’y a pas de colonne vertébrale : cette dernière ne s’acquiert pas, elle se construit par le parcours, l’expérience, les convictions et le savoir-faire qui en découlent.
A l’inverse, certains entrepreneurs nous prouvent qu’on peut faire de la boulangerie de façon atypique, développer un projet à la fois respectueux des traditions tout en apportant une vision nouvelle du métier… même si leur parcours s’apparente parfois à un chemin de croix.
Ludovic Olivier-Cambianica aurait pu faire comme de nombreux autres avant lui, céder à la facilité et aboutir à une boutique sans âme, voire à s’affilier à un réseau de franchise, se contentant ainsi d’écrire une écrire sur laquelle il n’aurait eu pas ou peu de prise. De par son parcours, il connait bien les travers de telles démarches, puisqu’il a notamment oeuvré au sein de l’enseigne Moulin de Païou pour tenter de redynamiser la marque à une époque où les wagons commençaient déjà à se décrocher. Le profil de ce chef d’entreprise est atypique : après avoir longtemps travaillé dans la restauration, et notamment dans d’importants centres de profits, il s’est tourné vers la boulangerie en se formant au sein de l’Ecole Internationale de Boulangerie puis par le biais de stages dans des fournils variés, à Paris ou chez d’anciens élèves de l’institut. Si j’insiste sur le caractère singulier de sa démarche et de sa vision, c’est qu’il y a chez lui une forte culture du service, notamment inspirée de ses expériences outre Atlantique. Non content d’en ramener une compagne (d’origine mexicaine), Ludovic y a bâti une vision précise de l’importance de fournir aux clients une prestation irréprochable quelque soit les conditions, et de s’adapter en permanence à leurs besoins.
Ainsi est née en septembre 2017 la Maison Deschamps, qui a avait été un temps pressentie pour se nommer « Brio », une boulangerie-café de 240m2 située dans le quartier Lyonnais de Vaise. L’importante superficie et l’emplacement rendent le challenge particulièrement riche : en effet, la zone draine un public étudiant et de bureaux, sans caractère résidentiel marqué. Dès lors, difficile de vendre beaucoup de pain.
L’activité restauration représente une part importante du chiffre d’affaires, tout en nécessitant beaucoup de main d’oeuvre : l’équipe compte aujourd’hui 8 personnes.
Pas question pour autant de revenir sur le postulat initial : nourrir le public avec des produits sains, sélectionnés avec soin, dans un cadre agréable et favorisant les échanges. Cela se concrétise bien sûr par le choix des farines (toutes Biologiques, livrées en partie par le moulin local Marion et par Stéphane Pichard, partenaire historique de l’EIDB) et l’utilisation de fruits et légumes de saison, aussi locaux et naturels que possible. On trouve ainsi une offre de restauration bien pensée, où le pain a toute sa place, décliné en tartines et sandwiches et accompagné par des pizzas ou salades. Côté sucré, les brioches et gâteaux de voyage (roulés, cookies, cakes, rochers coco, …) sont à l’honneur. Les boissons n’ont pas été négligées : ici, pas de coca mais du jus Bio de la ferme Margerie, des bières Grihète brassées dans la Drôme, du café Bio Dagobert torréfié dans l’Ain…
Pour faire fonctionner l’entreprise de manière durable, l’enjeu est aujourd’hui de développer son activité boulangère, vecteur de rentabilité. Il serait bien difficile de mettre en défaut la qualité des produits, dont une grande partie reprend les recettes et méthodes développées par Thomas Teffri-Chambelland et son équipe. Campagne, méteil, petit épeautre ou même pain sans gluten (le Libanais, avec une très agréable touche de farine de pois chiche)… sont autant de pains savoureux, réalisés avec soin chaque jour par l’équipe (dont une partie a été formée à l’EIDB, à l’image de Pascaline, présente depuis l’ouverture).
La gamme commence à séduire les professionnels, revendeurs (deux Biocoop pour le moment) entreprises et restaurateurs, et l’activité de livraison permet de trouver un débouché de taille pour la production.
Cependant, Ludovic peine encore à faire entrer de nouveaux clients dans sa boutique et souhaite aujourd’hui proposer une baguette, habilement nommée « la Belle des Champs », qui lui permettrait d’y parvenir. L’entreprise fait ainsi appel à la solidarité de sa communauté, au travers d’une collecte Kisskissbankbank, afin de financer les investissements nécessaires.
Il faut dire que les premiers mois d’activité n’auront pas été de tout repos sur le plan actionnarial : le projet était porté par 4 associés, dont la plupart étaient non-opérationnels. Les divergences de vision ont conduit à des changements dans la structure, et notamment le départ de la famille Deschamps (dont un Didier, mais pas le fameux sélectionneur !), à laquelle on devait le nom chantant de la boutique. C’est ainsi que la structure Bread-france, portée par Thomas Teffri-Chambelland, est entrée au capital. Cet accompagnement permet de pérenniser la structure et de bénéficier de l’expertise de professionnels bien implantés dans la filière.
Je suis généralement assez perplexe vis à vis des concepts associant boulangerie et restauration : cela aboutit souvent à ses situations où le pain est complètement écrasé par le reste de l’offre, en plus d’être réalisé sans conviction. Le cas de Maison Deschamps nous montre qu’il est possible d’associer ces activités harmonieusement, en créant un lieu en marge des standards tout en répondant aux besoins de notre époque. Voilà qui nous invite à, nous aussi, prendre la clé… des champs.
Infos pratiques
26 Rue Sergent Michel Berthet – 69009 Lyon (Metro ligne D, station Vaise) / tél : 04 72 59 74 62
ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 19h30, le samedi de 8h à 18h.
BRAVO !
Le Bonheur est toujours dans le pré DESCHAMPS 👍😎
Chris
PS : En guise d’échange, un jour, je vous ferai goûter ma brioche maison aux pralines Pralus (je suis originaire de Roanne 😉), à la levure de boulanger, suivant une vieille recette de ma Mammon !
À bientôt