Dans une ville habituée aux changements et transformations, certains secteurs de Paris semblent se préserver de l’agitation ambiante grâce à éléments solides de leur paysage, ainsi qu’un certain état d’esprit. Seulement, il faut bien savoir que rien n’est éternel, et accueillir l’inconnu avec une certaine dose de curiosité et de bienveillance… au risque d’aller de tristesse en désillusions. Ce qui est plus rare, c’est d’observer au même moment une transformation complète du paysage local d’un métier, alors même que ses piliers semblaient tenir solidement depuis plusieurs dizaines d’années.
En boulangerie, il faut s’attendre à ce que ce type de mouvement brutal s’amplifie dans les prochaines années, avec la fin d’une génération d’artisans ayant connu les grandes heures de la boulangerie parisienne. Certains ont déjà commencé à céder leurs affaires « par appartement », alors même que l’on ne mesure pas encore les traces laissées par une longue crise sanitaire, laquelle n’a pas encore fini d’imposer son tempo aux entreprises.
Le 15è arrondissement a connu ces dernières années son lot de mutations de fonds de commerce, avec des affaires attirant souvent de nouveaux entrants sur le marché. Le caractère résidentiel du secteur a en effet de quoi être attractif, même si certains emplacements sont d’une qualité très discutable, avec une viabilité limitée à moyen terme.
Pourtant, il persistait dans ce que l’on pourrait nommer le « village Cambronne » une forme de duopole où co-existaient les familles Pichard et Dossemont. Chacun avait son lot d’habitués, leurs produits étant suffisamment différents pour cibler des clientèles distinctes. L’été 2021 aura mis un terme à cette situation, avec le départ simultané des deux dynasties boulangères… L’une étant maîtresse de son destin, à l’inverse de l’autre.
Les Dossemont ont en effet vendu leur affaire après 28 ans de bons et loyaux services. C’est la Maison Landemaine, laquelle continue à faire son étrange marché sur la place parisienne, qui prendra possession des lieux après d’importants travaux en cours dans la boutique… tout en ayant au préalable négligé l’accord passé avec leurs collègues de la rue Cambronne : ils se relayaient pendant les congés d’été, l’un fermant en juillet et le second en août. A l’heure actuelle, toutes les boulangeries de la zone sont fermées, mis à part le corner La P’tite Boulangerie au sein du MyAuchan situé à proximité immédiate. De quoi convaincre la clientèle du soin porté par les artisans boulangers à leur attention, s’il le fallait encore.
La famille Pichard aura tenu sa boutique du 88 rue Cambronne à peine deux ans de plus que ses anciens confrères : arrivés en 1991, ils n’étaient pourtant pas si pressés que cela de quitter les lieux. Les événements en auront décidé autrement, même si l’affaire était sur le marché de la vente depuis plusieurs années, après quelques transactions avortées. Suite aux accusations d’agressions sexuelles portées à leur encontre, les artisans ont fait le choix d’accélérer le processus de vente pour céder la boutique à « l’un des meilleurs artisans boulanger-pâtissier de sa génération »… autant dire que la pression reposant sur les épaules de ce (pas si)-mystérieux repreneur n’est pas faible. Je ne commenterai pas l’affaire et préfère simplement laisser la justice faire son travail, en espérant que toute la lumière soit faite sur cette sordide histoire.
Le défi sera de taille pour le nouvel arrivant, passant à la fois derrière une véritable institution du quartier (avec ses spécificités, dont son imposant four à bois, inutilisé depuis de nombreux mois) et devant s’en démarquer nettement pour se défaire du spectre de la rumeur, laquelle s’est naturellement répandue comme une trainée de poudre.
Cela pourrait-il laisser de la place à des nouveaux venus, installés plus récemment dans le secteur ? Installée au 76 rue Mademoiselle, soit bien à l’écart du passage, la Boulangerie des Enracinés aurait une vraie carte à jouer de par son positionnement sur le sujet d’un pain sain et naturel… Malheureusement, malgré la sincérité apparente du projet et l’approvisionnement local en farines (auprès du meunier Gilles Matignon), il y a encore du chemin à parcourir sur la qualité de produit. Même constat du côté de la boulangerie Au Levain au 85 rue Lecourbe, où le soin porté au décor et à l’apparence des produits masque mal une approche légère du métier… autant dire que les meilleurs emplacements devraient continuer, malgré les changements, d’attirer l’essentiel du flux, même si le succès de la Maison Landemaine à un tel emplacement me paraît loin d’être évident.
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