J’ai sans doute eu l’occasion de le souligner précédemment, mais nos artisans boulangers sont aujourd’hui – encore plus qu’hier – de véritables chefs d’entreprise sur lesquels portent des enjeux et des contraintes lourdes, qui nécessitent de développer un large éventail de compétences. Pour moi, la base reste bien entendu la compétence dans leur métier, la boulangerie. Maîtrise des fermentations, des cuissons, des différentes céréales… Les éléments sont variés et suffiraient sans doute à la plupart des travailleurs. Pourtant, ils doivent enfiler d’autres casquettes : chargé de ressources humaines (et c’est une chose bien compliquée, du fait de la pénibilité du travail, le personnel est particulière volatile !), gestionnaire de coûts, … mais aussi agent de marketing.
Oui, l’entreprise de boulangerie artisanale du 21è siècle ne saurait s’extirper du monde dans lequel elle évolue : en 2012, et toujours plus en 2013, les nouveaux médias, l’omniprésence de la communication et l’importance croissante de « l’image » oblige l’artisan à tenir un discours cohérent avec ses aspirations pour que la clientèle le suive.
Cela se concrétise de plusieurs façons. Le client qui fait l' »effort » de se tourner vers un boulanger artisanal commence à avoir des exigences, des attentes, à commencer par celle de l’honnêteté : évitons donc les produits industriels et mettons en avant le travail artisanal réalisé au sein du laboratoire. De plus en plus de meuniers planchent sur le sujet et développent des dispositifs de communication autour des points souvent reprochés à la profession (viennoiserie surgelée, notamment). Ensuite, certains choisissent de se décharger du travail autour de leur identité et s’affilient à des réseaux boulangers tels que Banette, Festival ou encore Ronde des Pains. Dès lors, son nom et son image ont tendance à être confondus avec ceux de la marque et ils se retrouvent dilués dans la masse. Sa clientèle recherche souvent des repères, des éléments rassurants offerts justement par ce type d’enseigne.
Pour les autres, il faut commencer par l’agencement de la boutique : orienté vers la modernité pour certains, vers la tradition pour d’autres, cela imprime dès le premier regard l’idée que l’on se fait de l’entreprise. Il est donc important de réaliser les bons choix, que ce soit avec un agenceur spécialisé, un architecte, ou par soi-même pour les plus créatifs. Mieux vaut ne pas chercher à en mettre plein la vue, au risque de se priver d’une partie de sa clientèle potentielle : la cohérence est importante. Justement, cela doit s’accompagner au quotidien par un service correspondant à ce que l’on attend d’une entreprise de boulangerie artisanale. Sans être désinvolte, il ne doit pas non plus tomber dans un caractère maniéré et précieux… A moins de vouloir d’élever en « boulangerie de luxe ».
Ces deux éléments vont être déterminants pour le reste : quels tarifs l’artisan peut-il alors pratiquer, quels produits peut-il proposer ? Si le public a l’image d’un lieu plutôt « entrée de gamme », il ne sera pas forcément prêt à mettre un peu plus d’argent dans les produits, et n’aura certainement pas tendance à se tourner vers lui pour des occasions un peu plus exceptionnelles, comme par exemple les fêtes de fin d’année. Egalement, il ne cherchera sans doute pas des créations ou des pains « plaisir », en plus des gourmandises habituelles.
J’en discutais récemment avec Loic Bret, l’artisan à l’origine de Nature de Pain, dans le 17è arrondissement. Ce dernier cherche à monter en gamme en terme de pâtisserie, et à développer de nouveaux pains aromatiques. Il se heurte à une clientèle « habituée » à venir chercher chez lui des en-cas et des produits simples, et cherche ainsi à faire évoluer son entreprise pour donner l’image d’une boulangerie plus recherchée. Au travers d’un travail sur des « détails » (tenue du personnel, couleurs dans la boutique, éclairage, …), il mène un véritable travail d’évolution.
C’est dans ce genre de cas que l’on comprend les avantages de la médiatisation : dans la même rue, Arnaud Delmontel justifie – en apparence – ses tarifs grâce à ses titres obtenus lors des concours professionnels et à une communication bien rodée. Pour d’autres, comme par exemple Gontran Cherrier, la communication et l’existence d’une véritable marque autour du boulanger permet d’attirer une clientèle plus aisée et ouverte à des propositions originales : qui d’autre que lui pourrait proposer des pains à l’encre de Seiche ou aux épices Zaatar, comme il sait le faire ?
Au delà du fournil, l’image est donc très importante pour parvenir à faire ce que l’on veut… et ce que l’on aime ! Il serait bien dommage pour un artisan d’être « contraint » par ce genre de questions…