Dès notre plus jeune âge, notre expérience de consommateur est orientée autour du prix. On nous apprend ainsi à reconnaître ce qui est cher, et ce qui le serait moins. Seulement, un simple tarif ne dit que peu de choses d’un produit, et dès lors on ne peut juger aussi rapidement de la justesse de la somme demandée pour l’acquérir. J’ai tendance à penser qu’un produit de mauvaise qualité, fabriqué avec peu d’éthique et de respect des ressources humaines et naturelles sera toujours trop cher, quand bien même ce dernier est bradé. Le coût que l’on n’assume pas lors de l’achat finit par s’imposer, que ce soit par la dégradation continue de notre environnement, de notre santé ou tout simplement l’épuisement de notre planète… et de nous-mêmes, en définitive. Cette société du « je consomme, donc je suis » est perverse et détruit bien plus de valeur qu’elle n’en crée.
J’ai toujours beaucoup cru en la nécessité de maintenir le rôle d’un Etat protecteur, bien au delà des dimensions régaliennes auxquelles on aimerait le cantonner dans une société libérale. Plus le temps passe et plus je mesure le fait que mon propos devient ici politique, mais c’était sans doute couru d’avance : le pain et la boulangerie ont une portée dans la chose publique, et son évolution en dit long sur notre façon de la concevoir.
L’alimentation est un sujet majeur de notre quotidien, et en cela on ne peut que se réjouir quand le sujet est considéré à la hauteur de son importance par le législateur. La Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, issue des débats entretenus au cours des Etats Généraux de l’Alimentation (d’où son appellation commune « loi EGalim« ), est en application depuis le 1er novembre 2018. Elle intègre un ensemble de mesures visant à assurer un meilleur revenu pour les producteurs, renforcer le bien-être animal, réduire l’utilisation du plastique ou encore améliorer les conditions sanitaires et environnementales de production.
Un des actes concrets est l’encadrement des promotions des produits alimentaires : fini le « un acheté, un offert », la remise maximale autorisée par la loi est de 34%… d’où la présence abondante de ce nombre dans les catalogues des distributeurs.
Il ne faudrait pas oublier que cette réglementation s’applique également au secteur de la boulangerie. Dès lors, autant les artisans que les chaines se doivent de rester dans les clous… ce qui ne semble pas vraiment être du goût de certains, pour qui la promotion est un des arguments majeurs.
Ainsi, l’enseigne Ange a souhaité fêter la rentrée en offrant 3 baguettes pour 3 achetées au niveau national. D’autres offres sont mises en place plus localement, comme une opération proposant deux tartes offertes pour trois achetées. Dans ce dernier cas, le taux de réduction est de 40%, pour les baguettes on atteint les 50%. Autant dire que la législation est piétinée, sans que personne ne s’en émeuve. Les services de l’état ne disposent certainement pas des effectifs suffisants pour sanctionner ces pratiques, qui peuvent alors proliférer.
Au delà de cet exemple, l’objet de mon propos est tout simplement de rappeler que la nourriture gratuite n’existe pas. Il y a un juste prix à payer pour rémunérer correctement les agriculteurs de leur travail, et pour faire en sorte de respecter les sols et les ressources par des pratiques vertueuses. Au delà des considérations portées sur la matière première, le travail de transformation et le savoir-faire qui y est associé ont une valeur. La brader, que ce soit de façon temporaire ou permanente, c’est la dégrader durablement aux yeux des consommateurs. Tout le monde en pâtit à long terme, puisque les repères qui existaient jusqu’alors volent en éclats. Même si la tentation d’adopter les mêmes pratiques peut être forte pour tenter de « contrer » une concurrence locale, les artisans ont le devoir et la responsabilité (car c’en est une, réellement !) de relever la tête par l’optimisation de leur prestation, que ce soit en terme de service, de produit ou d’aménagement du point de vente. Dès lors, ne suivons jamais ceux qui se disent grands partenaires et défenseurs de l’artisanat, tels que certains meuniers, qui accompagnent et encouragent sa dérive en proposant des programmes promotionnels. L’interventionnisme meunier, qui confine à adopter la position de baron voire de parrain avec une certaine dose de cynisme, doit avoir ses limites. Si les règles sont les mêmes pour tous, nous avons encore le pouvoir d’en fixer certaines.