Parfois, j’aimerais bien regarder le monde avec des yeux d’enfants, vous savez, avec cette certaine candeur et une bonne dose de douceur, d’innocence. Seulement voilà, la grisaille soutenue de ce monde d’adultes a progressivement épuisé les couleurs de ma palette, je suis devenu un bien triste peintre… mais je continue inlassablement mon oeuvre, dans l’espoir de finir par y retrouver ces fameuses teintes perdues.

Des peintres, des ouvriers, il en aura certainement fallu pour transformer cet ancien garage Renault de la rue de la Roquette. Au 40 de l’allée tortueuse du 11è arrondissement, les vapeurs d’essence ont été remplacées par d’autres, bien plus agréables. Quand les impressionnantes machines chargées de transformer le cacao en chocolat sont en route, il est en effet difficile de passer à côté des effluves grillées qui se dégagent de l’endroit.

Nicolas Berger devant son torréfacteur, Chocolat Alain Ducasse, Paris 11è

Alain Ducasse n’a pas lésiné sur les moyens pour se lancer dans le chocolat, lui qui a déjà si bien réussi dans la restauration. Toujours ambitieux, il a souhaité maîtriser l’ensemble de la « chaine » qui aboutit à la production de chocolat. Réception des fèves de cacao, tri et nettoyage, torréfaction, conchage… Bien peu en France continuent à être en possession de ce savoir-faire, d’autant plus au niveau artisanal comme c’est le cas ici. Pour relever le challenge, c’est un assemblage de machines d’horizons variés, aux histoires parfois atypiques et éloignées du cacao, qui a été construit ici. Des machines, oui, mais il fallait bien un chef d’orchestre pour les mettre en action. Ce dernier a été tout trouvé en la personne de Nicolas Berger, jusqu’alors chef pâtissier des maisons Ducasse. Artisan passionné, l’homme a toujours baigné dans un univers sucré, que ce soit dans son histoire familiale ou au travers de son parcours professionnel. Difficile de rester indifférent lorsqu’on l’entend parler avec amour et passion du projet qu’il a mené dans ces 320m2, et où oeuvrent aujourd’hui à ses côtés des ouvriers appliqués.

Bonbons de chocolat, Chocolat Alain Ducasse, Paris 11è

Je pourrais m’arrêter là, simplement contempler l’ampleur de la tâche, vous dire que cela aboutit à fabriquer des chocolats plutôt typés (avec une acidité assez présente, comme voulu par Alain Ducasse), des produits pouvant sembler expérimentaux (à l’image des tablettes de chocolat non conchées), un praliné bien maîtrisé et dans l’ensemble un dosage en sucre plutôt raisonnable. Oui, bien sûr. Seulement voilà, même si j’avais eu le plaisir d’être invité à une visite guidée en ce mardi 19 février, je n’ai pas pu manquer de trouver que tout cela faisait… trop. Un peu comme si un grand enfant s’était payé un magnifique jouet, pour asseoir sa présence dans l’univers de la gastronomie. Prouver, en quelque sorte, qu’il pouvait être un « touche à tout » couronné de succès dans l’ensemble de ses activités.

Clin d'oeil amusant : cette machine est de marque Bühler... un constructeur suisse très présent en meunerie !

Clin d’oeil amusant : cette machine est de marque Bühler… un constructeur suisse très présent en meunerie !

Les portes et présentoirs chinés à la Banque de France en jettent, c’est incontestable, mais n’aurait-il pas été possible de faire plus simple, plus accessible ? C’est bien ce qui me gêne ici : le plaisir est comme aseptisé, renfermé dans ces beaux présentoirs en verre et fer forgé, à l’étroit dans ces tablettes de 75g vendues 6 euros l’unité… Les tarifs sont élevés, trop à mon goût, même si cela doit dans un sens « récompenser » l’engagement et les investissements qui auront été nécessaires.
Difficile également de passer outre l’aspect humain, l’absence d’histoire et d’identité marqués : Alain Ducasse a signé des chèques, cassé sa tirelire… certes. Cela lui donne-t-il pour autant le droit d’être cet entrepreneur au caractère « docteur Jekyll et mister Hyde » si marqué, d’un côté tout sourire avec les convives et pour les photos, de l’autre tout à fait antipathique lorsqu’il s’agit de réclamer des plateaux de dégustation « achetés au Japon » (la précision est d’importance, n’est-ce pas) auprès de sa collaboratrice ?

Le praliné attend bien sagement de rejoindre bonbons et autres gourmandises.

Le praliné attend bien sagement de rejoindre bonbons et autres gourmandises.

Je ne sais pas. Toujours est-il que cela ne me fait pas beaucoup rêver, en définitive. Bien sûr, on pourra avoir l’impression que je me « paie » facilement une grande tête et qu’encore une fois je verse dans la critique facile. Sauf qu’en l’espèce, ce ne sont ni les chocolats, ni le travail de Nicolas Berger que je remets en cause – car il n’y a pas lieu de le faire. Non. J’aurais juste aimé être un enfant dans une chocolaterie. Vous savez, Charlie, Willy Wonka et leurs aventures… Qui sait, peut-être que le temps me donnera tort. C’est tout ce que je souhaite.

Des tarifs qui ne manqueront pas de faire tourner les têtes - parmi les plus élevés de la capitale.

Des tarifs qui ne manqueront pas de faire tourner les têtes – parmi les plus élevés de la capitale.

3 réflexions au sujet de « Le Chocolat Alain Ducasse, Paris 11è, un sacré tir rue de la Roquette »

  1. Merci pour votre article.
    C’est vrai, que pour ma part, je suis restée fascinée par le projet (et sa réalisation) : à la fois par le travail d’adaptation et l’inventivité des artisans sollicités pour les machines, et par la nécessité d’aller rechercher, auprès de retraités, un savoir faire en voie de disparition. Je suis forcément séduite par un projet qui contribue à valoriser les filières courtes et des compétences. Ceci dit, je suis d’accord avec vous, cette manufacture est un jouet de riche. Les 75gr à 6 euros suffiront-ils à la rentabiliser et au bout de combien de temps ? Mais se soucie-t-on de ce que coûte une danseuse, même très gourmande ?

  2. Rares sont les artisans chocolatiers à fabriquer eux-mêmes le chocolat à partir des fèves de cacao. Pouvoir le faire en plein Paris est un luxe qui se paye au prix fort pour le consommateur :
    de 120 € à 150 € le kilo de chocolat. Mon seuil psychologique (et financier) des 100 € est largement dépassé.
    D’autres artisans fabriquent également leurs chocolats (parfois même à partir des fèves issus de leur propres plantations). Citons notamment :
    – François Pralus : http://www.chocolats-pralus.com/fr/node/75
    – La chocolaterie de Beussent Lachelle : http://www.choco-france.com
    Leurs tarifs restent plus accessibles (mais les produits sont différents notamment pour la chocolaterie de Beussent Lachelle qui propose des produits moins « raffinés » : plaques de chocolat « au marteau », buches pralinés…).

    Une visite de l’atelier devrait être organisée le dimanche. Cela ferait peut-être passer les tarifs pratiqués (même si la fraicheur et la qualité des chocolats proposés doit être excellente).

  3. Oui un jouet.
    Toutefois ce qui me semble vraiment intéressant c’est le savoir faire que vont pouvoir accumuler les ouvriers, ce qu’ils pourront tester, expérimenter, élaborer, dans des conditions de travail tout à fait idéales; et surtout, surtout, ce qu’ils en feront après.

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