Certains comportements m’étonneront toujours. Parmi eux, la capacité que peuvent avoir les gens à effectuer – de façon répétée – la même tâche au même moment, ce qui a pour effet de créer des phénomènes d’engorgement dès lors qu’il s’agit de lieux publics ou de boutiques. Le pire dans tout cela, c’est que malgré l’expérience (forcément peu agréable) que chacun peut en retirer, chacun réitère la chose avec la même façon de faire, sans se dire qu’il pourrait être intelligent d’agir différemment ou à un autre moment.

Parmi ces sources d’étonnement, ma préférée reste sans doute celle qui m’est donné d’observer tous les dimanches, quand les parisiens sortent de leur torpeur matinale… C’est tout un spectacle. La capitale, qui était alors complètement endormie, et ce jusqu’à près 10h, s’éveille brusquement dans les quartiers les plus commerçants. Un peu comme s’ils avaient complètement oublié de faire leurs courses le reste de la semaine, comme s’ils leurs placards, réfrigérateurs et… huches à pain étaient complètement vides, les habitants de cette fameuse ville lumière se précipitent dans les boutiques ouvertes le dimanche pour y remplir leurs sacs. S’en suivent de nombreuses minutes d’attente, des vendeurs exaspérés, et dans le cas des boulangeries ou pâtisseries… des présentoirs parfois bien vides. Difficile en effet de répondre à une telle demande en aussi peu de temps : façonner des baguettes, des pains, cela prend forcément du temps et même si nos amis artisans ont une certaine expérience de ces « flux » hebdomadaires, il demeure difficile de les prévoir précisément. Trop produire présente toujours le risque de perdre ou de proposer des produits à la fraicheur discutable… et quand on connaît la durée de vie d’une baguette, cela va vite.

En réalité, je regarde tout cela d’un air amusé autant qu’agacé. J’ai du mal à comprendre un tel empressement, car on ressent dans les files d’attente une certaine tension, mal dissimulée sous l’air faussement détendu que l’on aime prendre le dimanche. Ce jour devrait être dédié au repos, à l’apaisement, mais on ressent tout de même le besoin de continuer dans ce rythme effréné qui nous poursuit déjà le reste de la semaine… Alors qu’il serait tellement plus simple de profiter de moments de plaisir en famille, d’une matinée calme, en faisant ses achats un peu plus tôt dans la semaine. Quant au pain ? Même chose. C’est justement une très belle occasion de découvrir les qualités que peut avoir un pain dès lors qu’il a vieilli. Ainsi, il suffirait d’acheter la veille, voire l’avant-veille, un bon quart de tourte de seigle, de pain au levain chez un des très bons artisans que compte la capitale. Il ne reste plus qu’à le trancher le jour-dit, en l’occurrence le dimanche, le toaster légèrement selon les goûts, et voici la base d’un repas détendu, décliné autour des thèmes du plaisir et du partage… Quant aux pâtisseries que l’on voudrait aller acheter ? Là encore, je serais tenté d’inciter à ne pas céder à la ‘folie du dimanche matin’, et de simplement déguster un gâteau de voyage (cakes, financiers, …) ou une gourmandise toute simple que l’on aurait confectionné avec les siens, et qui aurait alors le goût de l’amour mis à l’intérieur.

Bien sûr, l’attrait des viennoiseries du dimanche matin demeure, mais elles sortiraient presque des cas que je décris, puisque ce plaisir matinal touche plus souvent une population de lève-tôt, qui se rendent alors dans les boulangeries à d’autres horaires, moins chargés, que la mi-journée.
Souvenons-nous aussi qu’à une époque pas si lointaine, les commerces n’ouvraient que très peu le dimanche, à peine le matin, et que nous vivions plutôt bien de cette façon. Certes, vous me répondrez que cela correspond à une demande, que tout le monde n’a pas le temps le reste de la semaine, que nous vivons une époque agitée et furieuse… justement. Arrêtons nous un peu, appuyons sur le bouton « stop/pause », et regardons juste passer le temps. Renonçons à cette folie du pain dominicale !

7 réflexions au sujet de « La folie du pain, le dimanche matin »

  1. les gens sont libres de vouloir un pain au chocolat le dimanche matin ainsi qu’une baguette pas trop cuite qu’ils mangeront bien chaude… vivons!

    • Ah mais oui oui complètement! Sauf que ce n’est généralement pas pour ce genre d’achat que les gens se précipitent dans les boulangeries, aux heures dont je parle (vers 12h), c’est un peu différent.

      • Ils ont sans doute envie, une fois dans leur semaine, de manger du pain frais. J’imagine que pas mal d’entre eux doivent se contenter de pain semi-industriel acheté en supermarchés pendant la semaine, faute de temps et/ou d’horaires de travail permissifs. Et comme tu dis, la durée de vie d’une baguette est très courte : on imagine mal un travailleur se lever à 6h un dimanche pour acheter du pain qui sera gâté à 13. Chacun son rythme… mais surtout, nombreux sont ceux qui ne le choisissent pas. Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait en plus les juger. Ou supposer qu’ils ont moins compris que toi la somme des désagréments qui fait le plus souvent leur vie.

  2. Votre idée existe depuis plusieurs millénaire : c’est le shabat.
    On passe un jour en famille, sans allumer le feu et en ne se déplaçant qu’à pied. Et on prépare les plats la veille.

    Notre société de consommation effrénée nous fait souvent oublié qu’il faut parfois, s’arrêter, se reposer.

    • Effectivement, la tradition juive a intégré depuis ce repos hebdomadaire… Dommage qu’il faille que ce soit codifié pour qu’il soit observé 😉

  3. Aaaaah, le dimanche matin… Ouvrir un oeil fripé sur la rue et sentir un soleil de printemps pétiller au creux de sa nuque. Prendre son temps pour descendre jusqu’au Père-Lachaise en savourant d’avance le feuilleté des croissants qui fera chanter l’amertume du café… Moment magique où l’on est enfin à son rythme dans la ville ralentie. Les cheveux ébouriffés et la chemise froissée font partie du plaisir : ces matins-là, on fait ce qu’on veut, au rythme où l’on veut. Dans un petit moment, on rejoindra celle ou celui qu’on aime. On fera fleurir son sourire en ouvrant le sachet gonflé de viennoiseries. Avec un peu de chance, il en sortira un soupir encore chaud et sucré, un parfum beurré. Mais, à l’instant précis où l’on passe le seuil de la boutique, c’est seul qu’on savoure cet éclat de joie. Alors tant pis s’il faut attendre un peu et si la jeune fille de chez Landemaine fait la gueule : c’est une maigre dîme à payer en échange d’un plaisir qui n’a pas de prix, la liberté.

    Quant aux donneurs de leçons qui voudraient fermer les boulangeries le dimanche, méprisant au passage la majorité de Parisiens qui travaillent les autres jours et n’ont jamais le temps d’y pénétrer, je leur suggère une mesure qui ne mange pas de pain : qu’ils restent chez eux ce jour-là et qu’ils se contentent de la tourte de seigle desséchée et du cake rassis dont ils voulaient punir les autres. Ça allègera nos files d’attente et ça leur évitera de se répandre dans des billets contondants d’élitisme.

  4. Jugement, élitisme, doucement les amis ! Navré que mes propos aient été interprétés de cette façon, car cela n’avait pas été écrit dans cet esprit. Je réfléchissais juste à une façon de parvenir à des matins plus calmes, mais je me rends compte que je me trompe et que les gens recherchent effectivement un peu de plaisir avec une semaine souvent difficile. Vos commentaires font avancer la réflexion et je vous en remercie!

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