Des symptômes. Les mots et les phrases sont les symptômes des maux qui rongent notre époque. Consommation aseptisée et jetable, volonté d’aller toujours plus vite, loin, moins cher, … performance, performance, avant toute chose. Je vous parlais la semaine dernière de ceux qui ne respectent pas la qualité des produits ou leur personnel, mais il faut bien savoir que de l’autre côté de la barrière – du mien, du vôtre, celui des consommateurs, tout n’est pas si rose. Si l’on peut se permettre de nous faire manger n’importe quoi, c’est peut-être parce que l’on ne sait plus vraiment faire la différence entre le « bon » et le « mauvais ».
Au delà de ça, beaucoup de gens ne vont plus découvrir un lieu, un savoir-faire, une histoire, non, ils « vont tester ». C’est leur réponse lorsqu’on leur parle d’une adresse. Comme si l’objectif était d’éprouver les équipes oeuvrant en son sein, comme s’il fallait toujours réaliser un comparatif, une analyse du fond et de la forme. Alors oui, ils testent. Ils prennent des photographies qu’ils vont partager de façon abondante sur les divers réseaux sociaux à leur portée. Tout le monde saura de cette façon qu’ils y étaient, que le lieu avait eu l' »honneur » de passer par le crible de leur bon goût…
Certes, la phrase peut paraître tout à fait anodine en elle-même et sans doute peu de personnes l’utilisant en mesurent la portée et les implications. Bien sûr, cela m’amène à me poser des questions sur ma propre démarche de painrisien, et sur ma façon d’aborder le travail des artisans : ne fais-je pas tout simplement fausse route en visitant toutes ces boulangeries ? Au fil du temps, ma démarche a changé, ainsi que mon appréciation des choses. Je suis ainsi passé d’une recherche des « meilleurs pains » à une volonté de mettre en avant ce qui peut se faire de bien dans la profession, tout en portant une certaine notion d’exigence… cette dernière prenant en compte le caractère profondément humain et aléatoire que peut revêtir une production boulangère.
En définitive, je voudrais juste appeler chacun d’entre nous à plus de « responsabilité » dans notre façon de consommer. Considérer le travail d’un artisan comme une chose presque jetable, comme c’est le cas lorsque l’on « teste », n’est certainement pas lui rendre hommage et l’inciter à se dépasser chaque jour pour sa clientèle. Au final, personne n’en sort gagnant et un certain fossé se creuse entre les deux parties, avec des incompréhensions mutuelles et un dialogue qui pourrait bien finir par se rompre. Evitons donc de zapper, d’être volages et toujours avides de la nouveauté devant l’éternel. Je suis certain que nous pourrions bien « tester » cette façon de faire, non ?
Déjà, merci pour cet article, je n’avais jamais mis le doigt sur l’intérêt de l’usage de ce vocable. Parce qu’en effet, zut, je l’utilise aussi. Donc après un long tête à tête avec mon mur et un thé, je te livre mes réflexions.
Je me suis rendu compte qu’effectivement, j’utilisais souvent « tester », surtout depuis que je suis à Paris, alors que des adresses à Strasbourg, Lyon ou certaines à Paris j’utilise plus « découvrir » ou « essayer »… Et j’en viens à la conclusion que cela dépend de la dose de média que j’ai ingéré au sujet d’un lieu/produit. je vais essayer d’être claire. Je « teste » les choses lorsque j’en ai beaucoup entendu parler (blogs; critiques pros ou passionnés, site, presse…). Par exemple, j’ai « testé » le Paris-Brest de Conticini. Parce que « testé » semble être devenu aujourd’hui le synonyme de « vérifier »/ »donner son avis » sur les lieux/produits sur-médiatisés à propos desquels il y a généralement un buzz et un jugement dominant (LE meilleur Paris-Brest, LE dernier jeune cuisinier, LE croissant de tel boulanger…). Alors que « découvrir », humblement, c’est se lancer à l’aveuglette par simple gourmandise et sans aucune idée de donner son avis en public; plus pour soi-même. Donc selon moi « tester » à émergé en corollaire avec la montée en puissance de la sphère médiatico-culinaire, c’est à dire avec la multiplication de gens donnant leur avis et voulant/disant avoir une expertise dans le domaine. C’est avec l’émergence de la cuisine comme mode (et tout ce que ça implique de recherche de nouveauté, de prestige, de luxe tout à la fois) relayé par de nombreux et divers médias que le « test » a supplanté la « découverte » (et le média a supplanté la gourmandise).
Effectivement, je te rejoins assez sur cette analyse et sur le lien avec la médiatisation de la cuisine ainsi que son caractère de « mode ». C’est tout à fait regrettable car l’approche que l’on peut avoir des choses demeure alors toute superficielle et ne met en valeur que ce qui est « tendance », alors qu’il reste en marge de toute cette agitation de vraies opportunités de plaisir… certainement bien plus grandes et authentiques.
C’est une vrai maladie ce « testing »..Aujourd’hui cette notion de « vérification » nui totalement à une dégustation. La renommé du lieu, du gâteau, ce que tel ou tel en a dit, avant même de l’avoir commencé, la personne aura déjâ une vision du gout, de la texture, des sensations qu’elle souhaite obtenir, ce qui perturbe et gâche toute l’appréciation d’un pain, d’une viennoiserie ou d’une pâtisserie que quelqu’un a peut être mis plusieurs années a élaborer pour toucher quelque chose qui ne sera jamais atteint.
A cause de ce syndrome recommander un produit que l’on à aimé et que l’on veut faire découvrir est difficile. Après il y a un an j’étais encore comme ça..
Je suis en train de lire « Plats du jour » de Bénédict beaugé; je te le recommande; un livre extrêmement intéressant sur l’évolution de la cuisine et surtout son entrée sur le terrain de la mode, de l’esthétique et le changement de statut du cuisinier.
Merci pour cette recommandation! Malheureusement j’écris plus que je ne lis… je n’ai jamais été un grand lecteur!
Hello Rémi,
Bien ce dernier papier ; c’est vrai que c’est beaucoup plus satisfaisant de te lire quand tu cherches à mettre en avant « ce qui peut se faire de bien dans la profession ». Certes il peut y avoir toujours des accueils ou des produits désastreux devant lesquels on ne peut faire silence, mais j’apprécie vraiment que ton approche soit plus positive, celle d’un dénicheur (c’est mieux que « testeur ») qui fait partager ses bonheurs, et non plus un censeur.
Continue comme ça ! Et sûrement à un jour prochain.
François Dumoulin
Bonjour Rémi,
Merci pour ce billet fort juste, et qui pointe du doigt l’un des effets pervers du sur-choix. Je pense que l’époque est propice à de nouvelles formes de relation (et d’engagement) entre les artisans – commerçants et leurs clients. Il faut juste un peu d’imagination des deux côtés, pour que l’on dépasse enfin la désolante tristesse de la carte de fidélité (au mieux), et que l’on revienne à l’action simple et belle de…commercer !