Faire abstraction de ses préjugés, oublier un peu tout le chemin parcouru pour regarder la situation d’un oeil neuf. J’aimerais savoir le faire de façon plus entière, plus aboutie, car cela me permettrait sans doute d’éviter certains écueils. Comme la tentation d’aller trop vite, de catégoriser certains artisans sur leur appartenance à des réseaux de boulangeries, tels que Ronde des Pains, Festival des Pains ou… Banette. C’est précisément le cas du vainqueur du dernier Concours de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris, Ridha Khadher.
Installée rue Raymond Losserand, dans le 14è arrondissement, sa boulangerie « Au Paradis du Gourmand » affiche fièrement les couleurs du groupement : une devanture rouge vif, des lettres blanches, rien ne manque aux standards d’agencement. Même constat à l’intérieur, avec une boutique comme il en existe des centaines au travers de la France. Depuis quelques semaines, celle-ci a pourtant eu la particularité d’accueillir journalistes, équipes de télévisions et surtout gourmands venus de tous horizons. L’objet de leur convoitise n’était autre que la fameuse baguette de Tradition fabriquée et vendue ici, du fait de sa distinction récente. Ainsi, la production de l’artisan est passée de 300 à 800 unités par jour, l’amenant par la même occasion à embaucher un ouvrier supplémentaire.
Cet engouement soudain explique sans doute l’expérience que j’ai pu connaître lors de ma première dégustation : un pain très salé et sec, laissant un goût désagréable et difficilement définissable en fin de bouche. J’ai donc laissé un peu de temps passer pour que la calme revienne au Paradis… Bien m’en a pris, car la baguette de Tradition de cet artisan se révèle en définitive de bonne facture. Craquante, offrant une mâche fraiche et un parfum de froment bien prononcé, avec une excellente conservation, il n’y a pas grand chose à lui reprocher. Peut-être un très léger manque d’hydratation et toujours un peu trop de sel, des grignes manquant de « marquage » pour les plus pointilleux… mais rien de bien alarmant. Attention, je ne prétends pas que nous tenons ici une baguette au caractère marqué, se distinguant nettement de ce que j’ai pu goûter ailleurs. Non, mais ce n’est pas ce qu’on attend de ce produit. Le contrat est rempli, avec des cuissons bien menées.
Pour le reste, difficile de beaucoup s’attarder ici. Comme indiqué en introduction, le Paradis du Gourmand reste bien dans les standards Banette, avec une offre constituée en grande partie par les pré-mixes du groupement. Briare, Bûcheron, Viking, Moisson… Des noms bien connus, tout autant que leurs compositions à rallonge. On notera simplement la présence de quelques pains à la coupe ou de spécialités ethniques (brioches, galettes de semoule…), signes des origines étrangères de l’artisan. C’est d’ailleurs ce qui explique sans doute son succès médiatique, forcément, le fait qu’un tunisien parvienne à se distinguer sur un symbole bien français surprend… ou bien dérange, au choix. Pour moi, cela reste une belle preuve des progrès réalisés par ces artisans sur le plan de la qualité au cours de ces dernières années.
Restons encore un peu au Paradis, tout de même. Tout n’y est pas rose, avec des viennoiseries ou pâtisseries sans intérêt, et une gamme traiteur légèrement surabondante. Mieux vaudra donc se concentrer sur la fameuse demoiselle de Tradition… et sur l’accueil, vraiment dynamique et charmant, ainsi que sur le fait qu’on peut arriver à faire du pain très correct avec de la farine Axiane, « secrets d’artisan » (peut-être parce que l’on n’est jamais très fier de dire que l’on est client de ce meunier ?). Ces derniers ne se sont pas privés de mettre en avant leur « rôle » de fournisseur, en se flattant « d’être associés au talent humble et simple de Ridha Khadher » par le biais d’un communiqué de presse.
Bravo ! à bientôt , nous viendrons goûtter ! bon courage