J’aurais pu me contenter d’être un blogueur parcourant les rues de Paris pour goûter du pain et partager mes découvertes. Seulement, ce n’est pas tout à fait ma vision de l’engagement que je peux avoir vis à vis de mes lecteurs, et plus généralement du sujet que j’ai choisi de traiter. Le pain n’est certainement pas un produit comme les autres, et il mérite une attention toute particulière pour en saisir tous les aspects et enjeux.
C’est pourquoi je vais plus loin, pourquoi je prends de mon temps pour participer aux événements qui ponctuent la vie de la profession. Dans cette optique, j’avais sollicité la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française afin de participer au congrès Univers Boulangerie 2012, qui se tenait les 14 et 15 octobre au Palais des Congrès du Futuroscope, près de Poitiers. L’organisme n’a pas rechigné à m’inviter, et je les en remercie.
Ainsi, j’ai pu prendre la température dans cette institution qui se veut fédératrice des artisans boulangers français, tout en portant l’évolution des pratiques du secteur. De « grands thèmes » ont été évoqués au cours de ces deux jours :
- Le « snacking » – restauration rapide en français – et la place que les boulangers peuvent y prendre, avec notamment l’intervention du chef étoilé Thierry Marx ;
- Les évolutions de la relation client, avec Gérard Baillard, Directeur de Mercuri International Business Partners ;
- Les mutations de l' »entreprise boulangerie », avec une attention portée sur la proximité, le Rural et l’Urbain et l’intervention de Sylvia Pinel, Ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme ;
- Les sources de croissances pour demain, au travers d’un débat animé par le fameux Franz-Olivier Giesbert.
Je reviendrai plus en détails sur ces différents sujets au cours des prochains jours, mais l’objet de ce billet était avant toute chose de faire un bilan global de l’événement et de sa teneur. Si j’ai parlé de « Grand Messe » en titre, ce n’est certainement pas par hasard. Univers Boulangerie avait tous les attributs d’un grand show, avec en vedette le président Crouzet. Un animateur, une mise en scène, de la musique pour ponctuer les entrées des intervenants, … en bref, une organisation sans faille, seulement il ne faudrait pas oublier le contenu.
L’intitulé de la manifestation était « La boulangerie autrement, une nouvelle donne ». Cela met bien en valeur le fait que la profession est au fait des enjeux auxquels elle doit faire face, avec notamment une montée progressive de la moyenne et grande distribution dans la consommation de pain. Seulement, il ne suffit pas d’être au fait des problèmes, il faut aussi y répondre de façon pertinente. Ici, on semblait convaincus que la solution était de se tourner toujours plus vers la restauration rapide, génératrice de marges élevées et porteuse d’une certaine valeur ajoutée. Cette tendance a été adoptée depuis bien longtemps par les boulangers parisiens, mais je ne suis pas certain que ce soit l’élément à mettre en valeur avant tous les autres.
En effet, au cours des débats et échanges, j’ai très peu entendu parler de qualité… et de pain, en définitive. Il ne semble pas être à l’ordre du jour de chercher à soigner le savoir-faire de base de l’artisan, en commençant par réaliser des pains savoureux, dépourvus d’additifs et ne faisant pas appel à des pré-mixes douteux. Pour cela, il serait aussi intéressant de se pencher sur la matière première, à savoir la farine… A Univers Boulangerie, ces sujets semblaient faire partie du passé : la boulangerie de demain devra se faire traiteur et développer sa capacité à entretenir une relation forte avec sa clientèle pour exister.
Je ne remets aucunement en question ce dernier point, et il y a du bon sens là dedans : nos artisans boulangers doivent communiquer et devenir visibles, sortir de leurs fournils, pour exister face à de grandes enseignes et mettre en valeur leur savoir-faire unique. Le rapport entretenu avec le client doit se faire plus « intense » et ponctué de moments forts afin de susciter l’envie et le plaisir de se rendre chez son artisan boulanger. Egalement, la dimension de conseil est importante, et je pense qu’elle demeure encore trop souvent négligée.
Pour autant, je ne suis pas certain que l’on aille vraiment dans la bonne direction. Des détails ne trompent pas, comme la remise à chaque participant d’une charmante sacoche à l’effigie de la mutuelle MAPA, remplie de documents mettant en valeur la fameuse enseigne développée par la confédération (et facturée à un prix loin d’être modique, d’ailleurs), les prestations de banques et assurances ou encore des bienfaits de la levure… On comprend rapidement qui tient les cordes des bourses de la filière, ce qui est plutôt fatigant à la longue.
Si un mot m’a bien marqué, c’est sans doute celui de « fierté », accompagné d’un couvert d' »humanisme » que revêtirait la filière. Je ne sais pas si tout cela est bien approprié alors que 80% des boulangers mettent en oeuvre dans leur fournil des viennoiseries industrielles (un sujet rapidement évoqué mais plutôt éludé, pensez-vous, on était à Poitiers pour parler de la boulangerie de demain, pas de celle d’aujourd’hui et de tous ses travers !) ou que la plupart des artisans ne manquent pas une seule occasion de mettre en avant leurs problèmes de personnel… Où sont les raisons d’être fier ? Où est l’humain ?
Je finirai en évoquant rapidement le profil des personnes présentes à cet événement : je n’ai pas vu beaucoup de jeunes artisans, au contraire, les têtes étaient plutôt grisonnantes et les attentions portées autour des somptueux repas qui ponctuaient les débats. Cela représente pour moi le signe que cette confédération ne parvient pas à représenter nos boulangers d’aujourd’hui et surtout de demain… pas plus que beaucoup d’acteurs engagés de la filière dont j’ai pu vous parler au cours des derniers mois, qui avaient fait le choix d’être absents d’Univers Boulangerie. Assez compréhensible, me direz-vous.
Et pourtant, la relève est bien là, plusieurs projets vont voir le jour en Ile de France où certains boulangers vont cultiver eux même leur blé, ou seraient ce des fils ou filles de céréaliers qui ont pris conscience de l’intérêt d’une filière entièrement suivie; l’intégration du travail du blé en farine et son utilisation en pain démontre une volonté de couper court aux intermédiaires et s’approprier sa matière première. Évidement, ce modèle n’est pas forcément unique mais c’est un juste retour des choses face à l’impossibilité de trouver un équivalent qualitatif sur le marcher, ou la volonté de s’émanciper de la toute puissance de la meunerie. Ces projets sont souvent l’œuvre de passionnés, d’agronomes souhaitant faire du pain de qualité, des générations qui veulent faire bouger l’agriculture. derrière ces bonnes volontés il ne faut pas oublier l’aspect économique, les risques, les contraintes d’une telle entreprise. A voir et à soutenir, pour faire exemple.
j’en parle un peu ici, sur mon blog 😉 http://www.cavatrancher.com/article-produire-son-ble-et-son-pain-110808578.html