Des bulles. En définitive, malgré toute l’application que l’on peut mettre à avoir l’air sérieux, à s’employer à répéter des tâches avec rigueur, nous passons notre temps à faire… des bulles, comme les enfants. Oh, il n’est plus question de savon, non, les moyens sont tout autres : les grands bambins que nous sommes soufflent dans des cercles financiers, dans les activités économiques. Seulement, les enjeux sont loin d’être les mêmes, nos bulles ne font plus que s’envoler et éclater avec légèreté, non, il est question d’emplois, et par extensions de vies humaines. Cela ne semble pas beaucoup nous émouvoir, puisque nous soufflons, soufflons, et souvent cela explose… Souvenez-vous des années sombres de l’Internet, des crises financières, et bien d’autres petits plaisirs.
Ces dernières années, les bulles savent aussi toucher le secteur de la gastronomie. Il n’y a qu’à voir l’éclosion de toutes ces épiceries fines dans nos centres-ville, portées par la vague des émissions culinaires et du « fait maison ». Pas sûr qu’elles survivent toutes, d’ailleurs, j’aurais tendance à penser que la tendance a déjà bien commencé à se tarir.
En dehors des moments où l’on prend le temps de se retrouver autour d’une table, il y a bien sûr ces semaines de travail, avec des pauses toujours plus courtes… ce qui explique sans difficulté le développement exponentiel de la restauration rapide ces dernières années.
Au point qu’il fallait bien lui consacrer un salon. Chaque année, Porte de Versailles, le « snacking » et les sandwiches ont droit à leur grand messe, couplée à un événement similaire autour de la restauration italienne et des pizzas. Le Sandwich & Snack Show, puisque c’est son nom, se tenait cette semaine – les 20 et 21 mars. Impossible de passer à côté… rien qu’à l’odeur. Le plus frappant dans ce genre d’événement reste pour moi l’environnement olfactif particulièrement chargé qui s’y développe. L’estomac bien accroché, ce sont ainsi des centaines de visiteurs convaincus de tenir « la pépite ». En effet, ce que j’ai pu ressentir ici, à l’image de ce qui m’avait frappé à Univers Boulangerie en fin d’année dernière, c’est que la restauration rapide fait figure d’eldorado pour nombre d’entrepreneurs ou aspirants. Forcément, quand on voit le développement – et le succès, c’est vrai – de certaines franchises, il y a de quoi faire tourner les têtes.
Le problème, c’est que tout est bien loin d’être rose dans cet univers. A commencer par les échecs, car il y en a : combien de petites unités ont fermé leur portes rapidement à l’ouverture ? Même le « leader mondial » en terme de nombre de points de vente, Subway, a perdu nombre de franchisés dont l’implantation avait été mal étudiée. Constat similaire du côté des enseignes de bar à pâtes, entre autres, les indépendants n’étant pas épargnés par le « mouvement ». Des bulles, je vous disais.
Puisqu’il est question de Subway, je ne peux omettre de reprocher à ce secteur sa capacité à produire des repas de bien piètre qualité.
C’est sans doute ce qui frappe le plus dans ce salon, au delà du fait que sa taille avait augmenté de façon exponentielle par rapport à l’an passé. Des produits industriels à foison, des conserves, des surgelés (et même la fameuse entreprise Comigel, transformatrice de vraie-fausse viande de boeuf pour des lasagnes surprise)… Le lot commun des offres développées à destination de nos employés pressés. Ainsi on devrait considérer que consommation rapide implique également préparation rapide. Qu’il est normal de sortir des barquettes de salades déjà préparées, de mettre en oeuvre du pain fabriqué en industrie, de proposer des gourmandises juste décongelées sur le point de vente.
Bien sûr, en marge de ces pratiques, la profession tente de se donner une image bien plus respectable : pendant ces deux jours, les interventions de grands chefs n’ont pas manqué, ainsi que les démonstrations autour de recettes développées par de grandes références du secteur. Il faut dire que certaines d’entre elles ne manquent pas de créativité et proposent des associations de saveurs tout à fait dignes d’intérêt, à l’image de Bridor qui développe en partenariat avec Lenôtre une gamme inventive, dont nos artisans devraient parfois s’inspirer. Seulement voilà, on touche ici au « haut du panier », ces quelques arbres cachent une forêt où les loups se promènent en liberté…
Le plus triste dans tout cela, c’est sans doute que notre boulangerie-pâtisserie artisanale laisse entrer cet univers dans ses boutiques. Pour les excuser, on pourra dire que les appels du pied sont nombreux, les discours des commerciaux bien rodés, et la tentation des coûts peu élevés très forte. Coup de Pâtes, Fedipat, … il ne manquait personne, et les stands ressemblaient parfois à s’y méprendre aux vitrines que l’on retrouve aujourd’hui chez nos « artisans » d’hier. Le jeu était presque de trouver quel produit on avait repéré dans la boulangerie en bas de chez soi… avec, malheureusement, beaucoup de chances de gagner.
Gagner, gagner, non, au final, tout le monde est perdant : le savoir-faire se désagrège, les consommateurs perdent confiance et, dans une certaine mesure, le sens du goût : on ne leur propose que des saveurs uniformisées, standardisées. Plus de relief, juste la perspective de repas tristes.
Le « show » a été assuré, la messe est dite. La bulle grossit doucement, et sincèrement, j’en viendrais presque à espérer qu’elle éclate, et que les consommateurs se tournent à nouveau vers des offres plus saines et honnêtes. A noter que cela n’est pas impossible, certaines enseignes et artisans y parviennent très bien : à Paris, cojean a bien fondé son succès sur cet engagement de qualité, de goût et de fraicheur. Côté boulangers, de nombreux artisans proposent sandwiches et en-cas artisanaux et respectueux de leur promesse d’authenticité. Fort heureusement, tout n’est pas perdu.
Excellent article, Rémi. Ton analyse est affutée et (tristement) fort juste.
Pour mettre en valeur les boulangers qui préparent des sandwichs, pizzas, etc. de qualité, pourquoi ne pas créer ici une rubrique ou un tag dédié à la restauration rapide « faite maison » chez les artisans ? Ça permettrait de trouver facilement une bonne adresse pour déjeuner sur le pouce… (si ce n’est techniquement pas trop compliqué à réaliser)
Bon courage pour le CAP ! De tout coeur avec toi.
Pour la restauration rapide, ce n’est pas particulièrement ce que je cherche à mettre en valeur chez nos artisans. Généralement, cela va avec le reste : s’il s’applique sur le pain, je ne doute pas qu’il proposera au moins un jambon-beurre de qualité…
Pour le CAP, je pense que c’est à présent inutile d’y penser : je n’ai pas pu commencer un semblant de formation, même théorique. L’hiver a été très difficile et il a été plus question de survie de que vie…
Prends soin de toi, rien n’est plus important.
Amitiés.
Effectivement, votre constat n’a malheureusement rien de surprenant. Autant il y a des quartiers de Paris où l’on est presque certain d’acheter un sandwitch/ un pain ou une pâtisserie de bonne qualité fabriqués de façon artisanale, autant certains arrondissements sont à éviter. Ou alors il faut faire une recherche sur votre blog par arrondissement….
Ping : Le snacking côté industriel | Stylo & fourchette: chroniques gourmandes
Evidemment mais…
Il n’y pas de hasard,une boulangerie reste une entreprise commerciale,et pour elles l’environnement économique se dégrade d’année en année,l’inflation des charges(notamment immobilières!)et la baisse continue du pouvoir d’achat de beaucoup de Français pèsent.
En somme je suis persuadé que la « malbouffe » n’est pas un problème « générationnel » ou d’époque mais bien le résultat d’une politique économique désastreuse.