Il y a des billets que je mets plus de temps à écrire que d’autres. A cela plusieurs raisons, différentes dans chaque cas. Parfois parce que je considère que cela n’a pas grand intérêt, parfois parce que j’ai d’autres choses à dire sur le moment… mais aussi, et surtout en fait, parce que certaines appréciations laissent à penser qu’elles doivent s’affiner sur la durée pour prétendre à un espoir de justesse.
C’est précisément le cas ici, pour la boulangerie Bonneau, dans le 16è arrondissement. Installé ici avec son épouse Sylvie et ses cinq enfants depuis 1992, et fêtant donc cette année ses 20 ans d’ancienneté dans le quartier, l’engagement de cet artisan dans le secteur ne date vraiment pas d’hier. Ce normand, Compagnon Boulanger du Devoir, a débuté sa carrière à seulement 16 ans, lui permettant ainsi d’appréhender différentes méthodes de travail au sein d’établissements dispersés sur le territoire. Tours, Bordeaux, Biscarosse, Verdun… Tout cela pour revenir là où il avait commencé, à Paris, en s’installant dans le 14è arrondissement en 1988.
En parallèle, notre artisan a également fondé en 1997 le site Boulangerie.net, l’un des principaux sites d’actualité et de partage de la profession, où se retrouvent quotidiennement des dizaines de boulangers pour échanger sur des sujets divers. C’est notamment dans ce cadre qu’il a développé, parmi les premiers, des actions de défense de la viennoiserie maison (« je suis artisan, je fais mes croissants »), ainsi que d’autres orientées autant sur le prix du pain, le travail au levain naturel ou encore la baguette de tradition.
Une spécificité amusante : même si le fournil n’est pas visible directement depuis la boutique, une télévision permet de voir les boulangers travailler… des images visibles également sur le site http://www.bonneau.fr !
Seulement, il est difficile d’être présent sur tous les fronts, et c’est certainement celui de sa propre boulangerie qui en a pâti. On n’oubliera pas de citer le fait que Laurent Bonneau est parvenu à se classer 2ième au concours de la meilleure baguette de Paris en 1996, 8ième en 1997 et 8ième en 2004… avec depuis une certaine forme d’endormissement. Routine, volonté de développer ses autres projets ? C’est un peu le sentiment que j’ai eu la première fois que je me suis rendu dans les lieux, fin 2011. A l’époque, les pains étaient réalisés avec une farine des Grands Moulins de Paris, ces derniers ayant financé en partie l’installation de l’artisan dans le 16è arrondissement.
Au fil des mois, c’est un réveil, un véritablement changement de fond que j’ai pu suivre, et je ne vous cache pas que ce sont des évolutions qui me donnent espoir dans le fait que la profession n’est pas perdue, et que des « brebis égarées » peuvent encore reprendre le chemin de la qualité en y étant sensibilisées. Sensibilisé, c’est bien le mot. Tout cela fait suite à des rencontres, et à un voyage. A Cucugnan, il découvre le travail de Roland Feuillas et le pain qu’il en ramène ne manque pas de faire sensation, dès son trajet de retour d’ailleurs. L’odeur n’a en effet pas laissé indifférent ses compagnons de voyage, et cela n’a fait que conforter son sentiment : il y avait là matière à opérer un changement, à tenter quelque chose de nouveau dans son fournil.
Depuis deux semaines, Laurent Bonneau travaille également un pain pur Engrain (Petit Epeautre) le dimanche. La céréale et son parfum très puissant y sont bien mis à l’honneur.
Cela a commencé avec des sacs de farine des Maîtres de mon Moulin, livrés quelques semaines après. De cette matière première est née du pain, le fameux « pain de Cucugnan » que l’on retrouve à présent du mercredi au dimanche dans les présentoirs du 75 rue d’Auteuil. Rome ne s’est pas faite en un jour, et il aura fallu de la pratique pour parvenir à un résultat convainquant tel que celui que peuvent apprécier les clients aujourd’hui. Certes, ici, le pain est réalisé à partir d’un levain liquide et l’on pourrait reprocher le fait que cela a, de fait, moins de caractère que les produits issus du fournil du Moulin… mais ne soyons pas intégristes. Apprécions simplement le fait de voir des habitués demander tout naturellement un « Cucugnan » en boutique, signe que la qualité et le goût ne laissent pas indifférents, peu importe le lieu.
Le lieu est important, car même si la clientèle du 16è arrondissement est plutôt aisée, elle n’en est pas moins difficile et pas forcément réceptive à des messages tels que ceux adressés par la démarche entamée par notre artisan. Peu importe, car le succès de ces pains n’est pas à remettre en question. A côté de cela, c’est l’ensemble de la gamme qui a repris des couleurs, avec un changement de meunier (la farine est aujourd’hui livrée par les moulins de Chars) et plus de soin : la baguette de Tradition retrouve ses lettres de noblesse, tout comme les tourtes de Seigle ou pains dits ‘de Campagne’.
Pour le reste, je ne vous cacherai pas que je ne serais pas client des viennoiseries, pâtisseries, gourmandises et produits traiteur proposés ici, mais ils ont au moins le bon goût d’être tous réalisés sur place, un fait suffisamment rare pour le signaler. L’ensemble des gammes se situent dans un domaine très traditionnel, sans relief particulier. Eclairs, entremets, tartes variées, spécialités feuilletées salées ou sucrées, rien ne manque.
Quant à l’accueil, on appréciera sa simplicité dans un arrondissement ayant plutôt tendance aux courbettes et figures de style fort inutiles. Même si le tout est parfois un peu expéditif, les jeunes filles qui oeuvrent ici tentent de servir la clientèle avec efficacité et courtoisie, qui n’est d’ailleurs pas toujours réciproque…
Infos pratiques
75 rue d’Auteuil – 75016 Paris (métro Michel Ange-Auteuil, ligne 9 & 10 ou Porte d’Auteuil, ligne 10) / tél : 01 46 51 12 25
ouvert du mercredi au dimanche de 6h30 à 20h30
Avis résumé
Pain ? Lors de ma première visite en décembre 2011, je dois dire que j’avais été plutôt désagréablement surpris, attendant mieux d’un compagnon, aussi impliqué dans des démarches tentant de valoriser l’artisanat boulanger. C’est par la suite que j’ai compris combien le temps et la routine pouvaient être des ennemis redoutables pour la qualité des produits et du pain en particulier. Réalisé alors à partir d’une farine des Grands Moulins de Paris, il n’offrait pas une qualité et des saveurs de bon niveau. Le temps a passé, et les rencontres qu’a pu faire Laurent Bonneau ces derniers mois ne sont sans doute pas étrangères au changement qui s’est opéré ici. Après un voyage dans les Corbières, l’artisan a en effet décidé de changer de meunier, en plus de travailler cette farine moulue par Roland Feuillas dans son moulin de Cucugnan. Aujourd’hui, les habitués peuvent retrouver un pain réalisé à partir de variétés de blés anciens du jeudi au dimanche, avec toutes les qualités nutritionnelles et gustatives que ces céréales peuvent avoir. En plus de cela, les pains « traditionnels » ont gagné en qualité de par l’utilisation de farines moulues par la famille Maurey à Chars. Ainsi, baguettes de Tradition, pains de campagne, tourtes de Seigle et autres spéciaux ont retrouvé « de la couleur », même s’il reste sans doute du chemin à parcourir.
Accueil ? Le service est d’une simplicité tout à fait appréciable dans ce quartier. On pourra lui reprocher son caractère parfois un peu sec, mais c’est un peu à l’image de la clientèle à laquelle les femmes qui oeuvrent ici sont confrontées. Néanmoins, elles demeurent de bonne volonté et servent les produits avec efficacité et rigueur.
Le reste ? Chez les Bonneau, les produits sont fait maison, et c’est un point important à l’heure actuelle, car c’est trop peu souvent le cas. Même si je ne vous cacherai pas que j’ai tendance à penser que les viennoiseries, pâtisseries, gourmandises et propositions salées manquent de finesse, elles semblent rencontrer leur clientèle et c’est sans doute ce qui importe.
Faut-il y aller ? Ne serait-ce que pour apprécier le pain réalisé à partir des farines de Cucugnan, oui, bien sûr : Laurent Bonneau peut se vanter d’être l’un des seuls artisans boulangers à avoir choisi de les travailler de façon pérenne, avec toutes les contraintes que cela peut présenter : dépourvues de « correction meunière », il faut à chaque livraison adapter sa façon de faire pour parvenir à un résultat de qualité. Nous sommes bien loin des produits standardisés développés par les GMP, auxquels notre artisan avait choisi de faire confiance. Le signe qu’une véritable « révolution boulangère » s’est produite ici, dans le fournil de ce boulanger qui a fêté hier ses 50 ans. Un demi-siècle, dont une grande partie aura été consacrée à la boulangerie, pour parvenir aujourd’hui à réveiller une endormie qui aura, je l’espère, encore de belles années devant elle.