Je crois que je peux à présent le dire sans me tromper : les salons professionnels et moi, c’est une grande histoire d’amour. A chaque fois, cela représente une nouvelle occasion de me confronter à une réalité bien peu réjouissante : l’industrie possède une force de frappe impressionnante, et ne cesse de développer produits et process pour toujours asseoir sa puissance. Innovation, vous dites ? Je ne suis pas certain que l’on puisse parler ainsi, car elle sous-tend pour moi une notion de progrès, et j’avoue avoir bien du mal à en voir un quelconque ici.
Avant de m’aventurer dans les allées sinueuses du « TransGourmet Market », puisque c’est le doux nom que porte l’espace réunissant les acteurs de la restauration et du « food service », j’ai assisté à une conférence autour de la pâtisserie, animée par Philippe Conticini, Christophe Michalak et Akrame Benallal. Ainsi nous avons pu entendre parler de goût, en contraste avec les dégoûts de l’étage supérieur… car c’est bien là le centre de la démarche de notre « pâtisserie moderne », qui cherche à présent à répondre aux attentes des consommateurs. Le visuel, qui était jusqu’alors le centre des attentions, se met au service du travail réalisé par les chefs afin de proposer des produits plus équilibrés, moins sucrés mais non moins savoureux.
Cette évolution suit directement celle vécue par la cuisine depuis bien plus longtemps, et s’en approche par une recherche d’assaisonnement et de condimentation : chez Philippe Conticini, la fleur de sel est ainsi présente dans l’ensemble des créations pour créer de la longueur en bouche, parmi d’autres « effets » jouant sur les acides ou amers, en plus des textures habituellement présentes. En retour, la cuisine s’approprie justement ces textures, comme le soulignait Akrame Benallal.
Le problème demeurera toujours le fait qu’une pâtisserie proposée en boutique doit « vivre », et cela à plusieurs niveaux : tout d’abord, elle ne sera pas réalisée par le chef lui-même mais par l’un de ses assistants, ce qui modifiera quasi-inévitablement le goût, malgré tous les efforts mis en oeuvre pour « cadrer » la recette (pesées minutieuses, temps de cuissons précis…) et sélectionner les ingrédients. Ensuite, le temps passe et agit naturellement sur les pâtisseries, ce qui a pour effet d’en altérer le goût et la tenue. Le consommateur ne profite pas – ou bien dans de rares cas – d’un produit monté à la minute, et le prix des loyers parisiens n’arrange pas les choses : difficile d’avoir un laboratoire assez grand pour assurer la production de grandes maisons en plein coeur de la capitale. Les restaurateurs garderont toujours sur ce point une avance considérable, puisque leur discipline reste avant tout basée sur l’expression « dans l’instant ». Néanmoins, aucun des acteurs présents ne doutait des évolutions rapides de la pâtisserie et du sucré dans les années à venir.
Ces problématiques peuvent tout à fait être transposées au pain, qui subit les mêmes aléas liés au temps, à l’humain et à la difficulté d’être régulier. Je pense que les boulangers devraient s’inspirer du travail réalisé sur le goût et l’assaisonnement par les chefs pâtissiers, car il y a là de nombreuses opportunités à saisir pour donner à leurs pains une vraie dimension gastronomique et en faire un compagnon idéal de plats élaborés.
Justement, cela me donne l’occasion de monter de deux niveaux pour passer sur le stand Bridor, où étaient présentés des pains aromatiques, un peu trop colorés à mon goût d’ailleurs. Curry, menthe, citron-thym, … la marque s’est entourée du savoir-faire créatif de Lenôtre pour élaborer des gammes visant à proposer des assemblages festifs autour du pain. Sandwiches, burgers originaux, … en plus des pains plus traditionnels toujours présentés au catalogue. A cela s’ajoutent viennoiseries, parées d’AOC reconnues comme celle du Beurre de Charente-Poitou. Nous sommes là dans le « haut du panier » de l’industrie boulangère, marquant une certaine distance avec ce que nous pouvons retrouver chez beaucoup d’hôteliers, restaurateurs ou même boulangers, malheureusement.
Parmi les autres acteurs présents, on compte également Panavi – fournisseur du fameux pain à « McBaguette » – avec sa gamme de « pains Pérène » et bien d’autres pour de la pâtisserie surgelée : de Saint-Michel à Pasquier en passant par Ancel, Boncolac et autres… les visiteurs n’ont que l’embarras du choix.
La force de ces entreprises est de savoir mettre en scène et en valeur leurs produits : ainsi, des espaces de démonstration thématiques sont déployés en marge des stands, avec réalisation de sandwiches, desserts, soupes, planchas ou woks… pour le plus grand plaisir de nos narines, puisque l’environnement olfactif ne manque pas d’être chargé. Vous comprendrez aisément pourquoi je parlais de dégoûts.
Ce qui demeure assez frappant, c’est la quantité de références présentes au catalogue de ces marques : du simple caramel aux sauces, en passant par les fruits cuisinés ou même bruts, des fonds de tarte… il n’y a qu’à assembler – et c’est presque là le « meilleur » des cas – ou décongeler. En comparant les prix catalogues et ceux pratiqués en bout de chaine pour le consommateur, on comprend vite que les marges sont confortables, et c’est sans doute ce qui entretient ce système.
L’écart entre la démarche décrite au sein de la conférence dédiée à la pâtisserie et ce « TransGourmet Market » ne peut laisser indifférent. Il y aurait donc un goût « haut de gamme », laissant derrière une consommation plus quotidienne, tolérant l’incursion massive de l’industrie ? J’ose espérer que l’on peut encore faire du bon, honnête et accessible… mais peut-être suis-je idéaliste !