Je crois que je peux à présent le dire sans me tromper : les salons professionnels et moi, c’est une grande histoire d’amour. A chaque fois, cela représente une nouvelle occasion de me confronter à une réalité bien peu réjouissante : l’industrie possède une force de frappe impressionnante, et ne cesse de développer produits et process pour toujours asseoir sa puissance. Innovation, vous dites ? Je ne suis pas certain que l’on puisse parler ainsi, car elle sous-tend pour moi une notion de progrès, et j’avoue avoir bien du mal à en voir un quelconque ici.

Philippe Conticini, Akrame Benallal & Christophe Michalak nous ont parlé d’une pâtisserie moderne… et de goût.

Avant de m’aventurer dans les allées sinueuses du « TransGourmet Market », puisque c’est le doux nom que porte l’espace réunissant les acteurs de la restauration et du « food service », j’ai assisté à une conférence autour de la pâtisserie, animée par Philippe Conticini, Christophe Michalak et Akrame Benallal. Ainsi nous avons pu entendre parler de goût, en contraste avec les dégoûts de l’étage supérieur… car c’est bien là le centre de la démarche de notre « pâtisserie moderne », qui cherche à présent à répondre aux attentes des consommateurs. Le visuel, qui était jusqu’alors le centre des attentions, se met au service du travail réalisé par les chefs afin de proposer des produits plus équilibrés, moins sucrés mais non moins savoureux.

Cette évolution suit directement celle vécue par la cuisine depuis bien plus longtemps, et s’en approche par une recherche d’assaisonnement et de condimentation : chez Philippe Conticini, la fleur de sel est ainsi présente dans l’ensemble des créations pour créer de la longueur en bouche, parmi d’autres « effets » jouant sur les acides ou amers, en plus des textures habituellement présentes. En retour, la cuisine s’approprie justement ces textures, comme le soulignait Akrame Benallal.

Le problème demeurera toujours le fait qu’une pâtisserie proposée en boutique doit « vivre », et cela à plusieurs niveaux : tout d’abord, elle ne sera pas réalisée par le chef lui-même mais par l’un de ses assistants, ce qui modifiera quasi-inévitablement le goût, malgré tous les efforts mis en oeuvre pour « cadrer » la recette (pesées minutieuses, temps de cuissons précis…) et sélectionner les ingrédients. Ensuite, le temps passe et agit naturellement sur les pâtisseries, ce qui a pour effet d’en altérer le goût et la tenue. Le consommateur ne profite pas – ou bien dans de rares cas – d’un produit monté à la minute, et le prix des loyers parisiens n’arrange pas les choses : difficile d’avoir un laboratoire assez grand pour assurer la production de grandes maisons en plein coeur de la capitale. Les restaurateurs garderont toujours sur ce point une avance considérable, puisque leur discipline reste avant tout basée sur l’expression « dans l’instant ». Néanmoins, aucun des acteurs présents ne doutait des évolutions rapides de la pâtisserie et du sucré dans les années à venir.

Ces problématiques peuvent tout à fait être transposées au pain, qui subit les mêmes aléas liés au temps, à l’humain et à la difficulté d’être régulier. Je pense que les boulangers devraient s’inspirer du travail réalisé sur le goût et l’assaisonnement par les chefs pâtissiers, car il y a là de nombreuses opportunités à saisir pour donner à leurs pains une vraie dimension gastronomique et en faire un compagnon idéal de plats élaborés.

TransGourmet, qui se veut « engagé aux côtés » de la profession, a déployé un large espace présentant les marques distribuées par son réseau. Un univers où l’industrie est omniprésente… ce qui explique le niveau parfois bien faible de la restauration proposée en hôtellerie.

Justement, cela me donne l’occasion de monter de deux niveaux pour passer sur le stand Bridor, où étaient présentés des pains aromatiques, un peu trop colorés à mon goût d’ailleurs. Curry, menthe, citron-thym, … la marque s’est entourée du savoir-faire créatif de Lenôtre pour élaborer des gammes visant à proposer des assemblages festifs autour du pain. Sandwiches, burgers originaux, … en plus des pains plus traditionnels toujours présentés au catalogue. A cela s’ajoutent viennoiseries, parées d’AOC reconnues comme celle du Beurre de Charente-Poitou. Nous sommes là dans le « haut du panier » de l’industrie boulangère, marquant une certaine distance avec ce que nous pouvons retrouver chez beaucoup d’hôteliers, restaurateurs ou même boulangers, malheureusement.

Chez Bridor, les pains aromatiques sont présentés sous la dénomination de gamme « Arc-en-Ciel »… que de poésie !

Parmi les autres acteurs présents, on compte également Panavi – fournisseur du fameux pain à « McBaguette » – avec sa gamme de « pains Pérène » et bien d’autres pour de la pâtisserie surgelée : de Saint-Michel à Pasquier en passant par Ancel, Boncolac et autres… les visiteurs n’ont que l’embarras du choix.
La force de ces entreprises est de savoir mettre en scène et en valeur leurs produits : ainsi, des espaces de démonstration thématiques sont déployés en marge des stands, avec réalisation de sandwiches, desserts, soupes, planchas ou woks… pour le plus grand plaisir de nos narines, puisque l’environnement olfactif ne manque pas d’être chargé. Vous comprendrez aisément pourquoi je parlais de dégoûts.

Tartes, verrines, entremets… rien ne manque dans la gamme des industriels. Vous reprendrez bien un peu de dessert ?

Ce qui demeure assez frappant, c’est la quantité de références présentes au catalogue de ces marques : du simple caramel aux sauces, en passant par les fruits cuisinés ou même bruts, des fonds de tarte… il n’y a qu’à assembler – et c’est presque là le « meilleur » des cas – ou décongeler. En comparant les prix catalogues et ceux pratiqués en bout de chaine pour le consommateur, on comprend vite que les marges sont confortables, et c’est sans doute ce qui entretient ce système.

Chez Panavi, on retrouve les Doony’s, vous savez, les Donut’s présents chez nombre d’artisans boulangers… accompagnés de viennoiseries et autres gourmandises.

L’écart entre la démarche décrite au sein de la conférence dédiée à la pâtisserie et ce « TransGourmet Market » ne peut laisser indifférent. Il y aurait donc un goût « haut de gamme », laissant derrière une consommation plus quotidienne, tolérant l’incursion massive de l’industrie ? J’ose espérer que l’on peut encore faire du bon, honnête et accessible… mais peut-être suis-je idéaliste !

Peu de boulangers peuvent prétendre faire le tour de la planète pour revenir à Paris, à plus forte raison de façon fréquente. Quelques uns de nos artisans les plus talentueux et en vue sont parvenus à s’exporter, notamment dans les pays asiatiques, où notre savoir-faire est tout particulièrement rayonnant. Rayonnant, certes, avec toutefois quelques adaptations nécessaires : les boulangeries deviennent systématiquement des salons de thé, et les pains ont une fâcheuse tendance à se faire petits et moelleux… Question d’habitude et de culture.

Gontran Cherrier fait partie de ces entrepreneurs de la boulangerie. On peut lui reprocher, comme beaucoup ne manquent pas de le faire dans la profession, de chercher à s’étendre trop rapidement, à développer son image plutôt que la qualité de ses produits… Même si, comme chez l’ensemble des artisans, il y a des jours avec et des jours sans, on ne peut mettre en doute l’engagement profond de l’entreprise dans la sélection de ses matières premières, ainsi que dans le développement d’une véritable démarche axée autour du goût. Un exemple ? Un déplacement en Bretagne en fin de semaine dernière, afin de chercher une farine de sarrasin plus parfumée que celle utilisée jusqu’alors. Certes, peu de boulangers peuvent se permettre ce genre de démarche, mais cela dénote d’un certain niveau d’engagement.

Le tableau noir annonce les dernières nouveautés… et notamment l’étonnant Méteil aux Graines de Coriandre !

Au cours de notre entretien, ce qui est sans doute le plus frappant, c’est que nous n’avons que peu parlé de boulangerie, mais plutôt de goût : c’est bien là le coeur de sa démarche. Cette fameuse farine de sarrasin demi-complète pourra peut-être servir à élaborer une brioche façon Fouace, avec de la crème fraîche… Une idée parmi tant d’autres dans l’esprit de ce créatif bouillonnant.
Au 22 rue Caulaincourt comme rue Juliette Lamber, le pain intègre réellement le repas ou se déguste comme une gourmandise. Pas question de proposer des produits aux olives dans des formats trop conséquents, par exemple. Il faut en effet garder une certaine cohérence, et c’est précisément ce que recherche Gontran Cherrier. Cohérence également avec les saisons : les pains aux épices Zaatar ou aux pignons de pin et romarin ont laissé leur place à de la semoule de maïs, ainsi qu’à un savoureux Méteil (mélange de farines de froment et de seigle à 50-50) aux graines de Coriandre.

Pain Méteil au Graines de Coriandre – un façonnage peu courant pour un pain chez Gontran Cherrier, puisque ce dernier est moulé.

L’élaboration des produits passe surtout par des souvenirs, que l’artisan partage avec sa clientèle. Dans le cas de cette dernière création, ce sont des références à des voyages en Russie, où ce type de pain est fréquemment dégusté. On y retrouve des saveurs marquées, le seigle jouant en sourdine sur la Coriandre, pour une expérience assez rare dans notre capitale. C’est précisément pour cela que l’on vient ici, et que cette boulangerie peut se permettre certaines libertés – notamment tarifaires, car certains pains sont loin d’être accessibles à tous.

Les pains à la semoule de maïs ont fait leur retour pour les mois froids à venir. On appréciera toujours autant cette texture granuleuse et ce parfum particulier… que l’artisan souhaiterait plus prononcé. Il réfléchit en effet à l’utilisation de farine de maïs pour toujours plus s’approcher du Broa portuguais qu’il apprécie tant. Le fait qu’ils soient à présent proposés en boules et non plus en grosses pièces à la coupe est bien vu.

Les mois passent et l' »aventure » grandit. Singapour, Tokyo, … Gontran Cherrier aura passé de nombreuses semaines à l’étranger ces derniers temps, mais il a bien fini par poser un peu ses valises en France pour cette fin d’année. Cela ne s’est pas fait sans raison, d’ailleurs, puisque nous assisterons début décembre à l’ouverture de sa troisième boutique dans l’hexagone… à Saint-Germain-en-Laye. Un nouveau challenge et une grande surface (plus de 200m2) pour dynamiser l’offre boulangère de cette cité, où certaines institutions sont déjà bien installées, comme j’avais pu le constater il y a quelques temps.
En parallèle, les adresses parisiennes ne seront pas oubliées, avec des nouveautés et produits hivernaux (retour des Saucissons Lyonnais briochés, de feuilletés variés, …).

Les plus gourmands auront remarqué le retour de la tarte pomme-raisins-fleur d’oranger

L’histoire s’écrit aussi hors boulangerie, puisque c’est sur TGV Est que les fameux buns multicolores développés par Gontran Cherrier embarqueront dès demain. En effet, dans le cadre d’un partenariat avec Newrest Wagons Lits, la boulangerie Thierry (en charge de la production) et notre créatif, des sandwiches ronds et moelleux intègrent la carte proposée aux voyageurs, ainsi que nous le décrit le site de la compagnie. Une initiative intéressante, aussi bien en terme de visibilité pour l’artisan, que pour les clients de TGV Est : nous n’avons que trop souvent l’occasion de critiquer l’offre de restauration proposée à bord des trains, et ce type de projet pourrait bien parvenir à la dynamiser. Espérons que Cremonini Restauration – en charge de l’approvisionnement des autres trains à grande vitesse de la SNCF – s’en inspire dans le futur.

Voici donc quelques nouvelles, mais je ne doute pas que les mois à venir nous donneront encore l’occasion d’en écrire d’autres…

 

S’il y a bien une chose à laquelle on ne prête pas forcément beaucoup d’attention, c’est la qualité de la relation entretenue entre une boulangerie et sa clientèle. Son caractère de commerce de proximité créé tout naturellement un lien entre l’artisan et ceux qui, chaque jour, viennent chercher leur pain ou leurs gourmandises. Pourtant, sous cette apparente simplicité se cachent des enjeux bien plus sérieux, car on voit de plus en plus de consommateurs se tourner vers des offres bien moins artisanales, telles que celles proposées par des enseignes de la Moyenne ou Grande Distribution, ainsi que vers divers « points chauds ».

A l’occasion d’Univers Boulangerie 2012, Gérard Baillard, directeur de Mercuri International Business Partners, une entreprise spécialisée dans le conseil en marketing opérationnel et l’efficacité commerciale a tenu une intervention au sujet de cette fameuse Relation Client. Un exposé bien ficelé pour un homme qui se décrit lui-même comme un « vendeur », malgré tous les titres qu’on a pu lui attribuer au cours de sa carrière. Un vendeur brillant et éloquent, néanmoins, malgré ses difficultés… En effet, ce dernier a pu nous parler de l’instance de divorce… commercial qu’il connaît depuis plusieurs années.

Gérard Baillard

Que ce soit en boulangerie ou dans d’autres métiers, les entreprises ont peu à peu perdu le contact, ou plutôt la compréhension, des clients qu’ils avaient en face d’eux. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été inactifs : ils ont développé nombre de stratégies visant à offrir au consommateur ce qu’il recherchait. Ainsi, en 1980, on écoutait le client afin de s’adapter au maximum, et certainement de façon excessive. Dans les années 90, on a cherché à donner des preuves d’amour, puis à partir de 95 à analyser le processus. Puis vint en 2000 l’âge des cadeaux, pour se mettre au service du client… ce qui a eu pour fâcheuse tendance de mettre en valeur des profils générant de gros volumes tout en étant en définitive peu fidèles.

Cela n’a pas répondu aux attentes du client, car une évolution individuelle était en train de se préparer sans que l’on s’y intéresse. Même si l’avis des pairs a pris une importance considérable (notamment avec les partages d’avis), de véritables « autonomistes » sont apparus et ont contribué à faire perdre à l’entreprise et à ses représentants le caractère reconnu et légitime de leurs discours ou conseils. Plutôt que de tenter de développer de nouvelles stratégies de Relation Client, il devient alors nécessaire de se différencier.

Cette différenciation se joue sur trois pôles : rationnel, relationnel et émotionnel. Pour un boulanger, il faut donc apporter un produit de qualité, mais aussi offrir des facilités telles que des horaires d’ouverture adaptés aux attentes de la clientèle, organiser ses fournées en fonction des « moments forts » de la journée…
Sur le plan relationnel, on doit apprendre à dépasser la supériorité naturelle que l’on reconnaît à l’artisan vis à vis des grandes enseignes. Certes, l’affectif a de l’importance, mais il ne créé pas de mémoire active et de reconnaissance comme savent si bien le faire les outils de Gestion de la Relation Client déployés par de grandes structures. Date de naissance, habitudes de consommation, … tout y passe, et c’est une excellente façon de créer des « occasions », comme offrir un pain ou une sucrerie à l’occasion de l’anniversaire de son client. Ajoutez à cela des dégustations, des fêtes, et vous obtenez un commerce vivant et ouvert sur sa clientèle.

Nos artisans boulangers doivent aussi mettre en avant leur savoir-faire, dépasser les évidences apparentes pour remettre un peu de « complexité » dans le discours : certes, les nouveaux médias et réseaux sociaux savent répondre à beaucoup de questions mais cela ne reste que très superficiel, bien loin de couvrir la palette de cas et de particularités que les pains et leur consommations peuvent présenter. L’expression « ça dépend » catalyse assez bien cette idée de savoir-faire auquel il faut ensuite associer du faire-savoir.

Au fil du temps, en apportant conseil et produits de qualité, le boulanger doit parvenir à se distinguer, à développer une identité et une signature propres. Cela lui permet de reprendre de l’importance dans le parcours d’achat du consommateur, puisqu’il est davantage visible et porte son pain en dehors de l’achat de commodité sur lequel il serait bien plus remplaçable, quasi-interchangeable. Bien sûr, certains clients ne seront pas sensibles à cette démarche et rechercheront avant tout de « l’excellence opérationnelle », tout au plus un sourire, un bonjour et un merci. Néanmoins, pour des occasions particulières, ils seront toujours en recherche d’un conseil et d’une écoute auxquels il faudra savoir répondre.

Justement, c’est là que les nouvelles technologies peuvent être employées de façon pertinente : tout d’abord en développant sa présence sur les différents moteurs de recherche et réseaux sociaux, puis en créant une véritable base de connaissance permettant d’améliorer la qualité du conseil fourni : aussi bien les allergènes, les associations mets-pain voire vins, les ingrédients… peuvent être référencés dans des catalogues virtuels qu’il est ensuite aisé de présenter au client, par internet ou même en boutique avec des outils simples et de plus en plus accessibles (tablettes tactiles, notamment).

C’est une nouvelle idée de la Relation Client qui se profile en boulangerie, l’artisan doit savoir y imposer ses choix et contraintes tout en restant attentif aux besoins de ses clients. Hors de question de fabriquer des tartes aux fraises en hiver « pour faire plaisir » ou bien de produire plus que l’on ne devrait pour assurer une qualité optimale : un échange basé sur la confiance et le respect doit s’instaurer avec le temps.

En plus de l’intervention de Gérard Baillard, différents boulangers ont pu s’exprimer sur la question, et c’est notamment le cas d’Eric Cagnot et Franck Pinaud, boulangers à Caussols dans les Alpes-Maritimes. Ces deux associés, dont le second est issu d’une reconversion professionnelle, ont fait le choix de s’installer à 1200m d’altitude, dans un village de 300 habitants, où les habitants ont apprécié d’avoir en face d’eux de vrais artisans, ce qui les a incités à venir toujours plus nombreux. Une véritable relation de confiance s’est instaurée, même s’il est important de savoir dire « non » et d’imposer des choix, notamment en terme de quantité de production, pour éviter les pertes et le gâchis.
Thierry Auvin, boulanger à Vouillé (Vienne), nous a quant à lui donné un exemple de la différence entre une adresse de Centre Ville et une autre en périphérie. En effet, dans le premier cas, il doit faire face à une importante demande en pain blanc, ce qui est beaucoup moins le cas en périphérie, où il a pu mettre en place un système Paneotrad (avec à la clé une production 100% Tradition, sans baguette de pain courant).

Dans l’ensemble, les conseils donnés me semblent plutôt intéressants pour nos artisans boulangers, qui doivent réellement chercher à se distinguer pour exister et faire face à la concurrence des grandes enseignes. Cependant, est-ce bien compatible avec l’uniformisation toujours plus marquée des gammes et recettes proposées en boutique ? Les « grands réseaux » tels que Baguépi, Ronde des Pains, Banette, Festival… sont appelés à se réinventer pour permettre cette montée en puissance de l’identité de chacun des artisans. Encore faut-il qu’ils y mettent du leur en exprimant une véritable volonté dans ce sens.
Sur le plan des nouvelles technologies et des outils de relation client, il faut parvenir à les rendre accessibles au plus grand nombre, et c’est loin d’être le cas aujourd’hui : là dessus, le painrisien devrait être en mesure d’apporter quelques réponses à l’avenir… à suivre !

Pour susciter l’intérêt des participants potentiels à une manifestation, les organisateurs ne lésinent généralement pas sur les moyens pour s’assurer un certain nombre de « têtes d’affiche » qui marqueront les esprits et créeront des moments forts. Rien de mal à cela, vu que ces personnalités sont généralement porteuses de messages et discours de qualité, riches en enseignements.

La Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française a bien compris le processus, puisqu’elle avait invité le chef étoilé Thierry Marx lors de son congrès Univers Boulangerie 2012. Non content d’oeuvrer au sein des cuisines du Mandarin Oriental Paris, le cuisinier travaille également sur des projets autour de la « cuisine de rue », qu’il tente d’imposer comme une alternative saine et responsable au fast-food et à la malbouffe proposés par de grandes chaines mondialisées. Il développe ainsi des programmes de formation destinés à des publics en difficulté, réfléchit à de nouvelles façons de consommer nos grands classiques de la gastronomie… tout en gardant un oeil attentif sur la viabilité économique de ces initiatives.

Thierry Marx, Joël Defives (Formateur INBP), Christina Colombier (boulangère en reconversion), Jean-Jacques Marie (boulanger à Agen) et Dominique Saibron sur scène, le dimanche 14 octobre, en introduction d’Univers Boulangerie 2012

La restauration rapide, le « snacking », ce sont des activités que nos artisans boulangers connaissent bien… de mieux en mieux, en réalité, puisqu’ils ont pris ce tournant de façon importante au cours des cinq dernières années. Nous sommes loin du jambon-beurre et de ses quelques déclinaisons qui ornaient les vitrines jusqu’alors. Sandwiches toujours plus élaborés, mais aussi salades, quiches, parfois plats chauds, … le traiteur est devenu un savoir-faire que la boulangerie s’est accaparé, pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Pour être efficaces et cohérents, soyez réguliers et ne cherchez pas à rogner sur les coûts. De par son expérience en restauration, Thierry Marx a pu comprendre l’importance de la régularité sur l’expérience client : en effet, rien de plus désagréable que de se sentir spolié un « mauvais jour », si le produit est de moins bonne qualité. La force des grandes enseignes est justement la capacité à développer des process, des recettes millimétrées dans lesquelles le hasard n’a pas ou peu de place : les ingrédients sont pesés de façon précise, et leur mise en oeuvre suit une méthode élaborée et éprouvée. Ainsi, le consommateur sait à quoi s’attendre : son casse croûte ne sera sans doute pas exceptionnel, mais il sera conforme à un certain « standard ».
Les boulangers devraient s’inspirer de ces méthodes, en sélectionnant des matières premières de qualité tout en gardant la maîtrise des coûts au travers d’un contrôle méticuleux des quantités. En plus de l’intérêt économique, cela permet de conserver l’équilibre de la recette : il ne faut pas chercher à trop en donner, ou pas assez. Egalement, pas question de préparer tout cela sur « un coin de table » : dès lors que l’on se lance dans cette activité, il est nécessaire d’être rigoureux et d’y consacrer les ressources nécessaires.

Ne pas oublier où est la valeur ajoutée du boulanger : dans son savoir-faire autour du pain. C’est sans doute l’un des points qui m’a le plus interpellé dans ce discours, car Thierry Marx est sans doute le seul à l’avoir abordé dès lors qu’il s’agissait du « snacking ». Originaire du quartier de Ménilmontant, il avait été fasciné dans son enfance par le travail réalisé par Bernard Ganachaud au sein de son fournil. Au cours de son intervention, le chef a donc insisté sur l’importance que pouvait avoir le travail du boulanger sur sa clientèle : en portant à leur vue les différentes tâches réalisées au sein du fournil, il « fait le show » en plus de réaliser son produit. Ce fameux produit, le pain, n’est pas à négliger : non content de servir de base pour les différents sandwiches, c’est avant toute chose le savoir-faire de base du boulanger. Si on choisit de le mettre de côté, en fabriquant uniquement du pain blanc, ou bien en utilisant des « prémixes » variés, plus rien ne peut distinguer à terme une boulangerie d’un autre acteur du secteur de la restauration rapide.
Au delà de la réalisation du pain en lui-même, le boulanger possède une compétence sur le plan de l’accord entre le contenu et le contenant, ce qui permet d’obtenir un résultat savoureux… Une gastronomie simple et accessible au plus grand nombre.

Développer une « boulangerie hors-les-murs » ? Thierry Marx incitait les boulangers à sortir de leurs échoppes pour développer des « kiosques », où ils pourraient proposer uniquement des produits de restauration rapide. Je ne suis pas certain que ce soit un axe de développement qui parvienne justement à développer la qualité du produit, et en particulier du pain. Une des intervenantes, Christina Colombier, en pleine reconversion professionnelle, souhaitait quant à elle développer une boulangerie « ambulante ». Ce principe pourrait permettre de redonner accès à un pain de qualité dans des zones rurales, souvent désertées par les artisans, faute de rentabilité. La mise en place de « fournils mobiles », qui réaliseraient la cuisson sur place, tout en assurant une certaine dimension théâtrale, a également été évoquée : certes, la transparence est assurée (et elle est importante dans une période où les produits industriels remplissent les fournils…) mais est-ce que toutes les conditions pour produire un pain de qualité sont réunies ? Pas convaincu.

La consommation sur place, un facteur de proximité avec son artisan boulanger. De plus en plus de boulangeries ont mué en de véritables « salons de thé » au cours des dernières années. En effet, il est bien différent pour le consommateur de prendre un petit déjeuner, une viennoiserie, chez son artisan ou dans un établissement de restauration. La relation entretenue avec le boulanger est bien plus forte et certains l’ont compris. Le consommateur peut alors profiter de l’ambiance spécifique au lieu… mais tout cela a un coût, les loyers sont toujours plus élevés et peu de commerçants peuvent s’offrir ce « luxe ». Cela laisse alors plus de place et de latitude aux grandes marques du secteur, dont la qualité est loin d’être aussi intéressante que celle proposée par un artisan.

Thierry Marx n’était pas seul sur scène, d’ailleurs, et c’est l’un des boulangers représentant sans doute le mieux cette « réussite » de la boulangerie-salon de thé, Dominique Saibron, que l’on a pu entendre. Aussi bien au Japon que dans le 14è arrondissement, la « reality-boulangerie » telle qu’il la nomme, avec son fournil visible et ses places assises créé de véritables lieux de vie.

Pour enfoncer le clou, les intervenants ont terminé le « débat » en réalisant une démonstration autour des produits de Thierry Marx. Croque Monsieur, sandwich au pastrami… l’idée était de démontrer qu’il était possible de concevoir une restauration rapide simple, de qualité, qui puisse être exécutée par les boulangers sans difficultés. Un peu laborieux et pas franchement convaincant en définitive, mais pourquoi pas. Notre chef, arborant fièrement ce soir là une veste « Badoit Express » (en référence à une opération de communication anecdotique, transformant une rame du RER C en restaurant gastronomique), a pu au moins assurer le show comme il sait si bien le faire…

Nous avons besoin de créer des événements pour nous souvenir de l’importance des choses simples qui façonnent notre quotidien. C’est triste mais c’est ainsi. Triste parce que beaucoup d’organismes commerciaux, plus ou moins bien intentionnés, en profitent pour s’accaparer ces instants et les détourner dans leur intérêt. Journée de la femme, fête des mères, des pères, de la gastronomie… Difficile de toutes les citer.

Nous sommes en plein dans la semaine du Goût. Enfin, en plein, elle s’achève. Comme chaque année, cet événement aura concentré les attentions de quelques entreprises de restauration scolaire, soudainement soucieuses de l’éducation culinaire de nos têtes blondes, d’industriels variés mais tout de même de quelques restaurateurs, qui ont fait l’effort de proposer une « table du Goût », avec une réduction de 50% sur leurs tarifs pour les étudiants. Pour d’autres, cela se concrétisait par des ateliers disséminés au fil des jours. Des initiatives un peu timides à mon sens, mais il faudrait savoir se contenter de peu en la matière.

Toujours est-il que certains en ont profité pour nos faire partager un peu de leur créativité, et c’est le cas des boulangers de la Conquête du Pain, à Montreuil. J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de cette boulangerie autogérée, porteuse d’un véritable projet social. Un exemple ? Le tarif « de crise » mis en place pour les personnes dans le besoin, dans l’esprit de toujours proposer du bon pain à ceux qui d’ordinaire ont du mal à se l’offrir.
En dehors de ces pratiques et de leur engagement, ces artisans ont également à coeur de faire bouger les papilles de leur clients, avec des pains éphémères (au boudin et aux pommes en octobre, au figues et aux noix en septembre…) mais aussi des gourmandises plus surprenantes.

C’est ainsi que j’ai pu découvrir une pomme bien particulière. Elle avait perdu son habit de peau pour en revêtir un autre, certes plus épais mais non moins élégant… Une croûte, en réalité… de brioche ! On la retrouvait ainsi comme déposée dans un cocon, fondante et presque confite. Les attentions portées à son égard ne s’arrêtaient pas là, puisque son coeur de pépins avait été remplacé par des fruits rouges, apportant quelques notes acidulées bien agréables. Le tout avait été nappé d’un miel aux épices, avec des parfums dominants de cannelle. La brioche qui entourait l’ensemble contribuait à nous transporter dans un doux univers, avec son caractère beurré et moelleux, bien que j’aurais tendance à la trouver un poil sèche.

Le plus beau dans tout cela était sans doute dans le caractère généreux du geste, puisque ces curiosités étaient offertes aux gourmands qui en faisaient la demande… Une bien jolie découverte, que j’espère retrouver en dehors de cette période particulière, ayant été séduit par l’idée.

Pomme en croûte de brioche (aux fruits rouges et son miel aux épices), La Conquête du Pain – Montreuil (93), produit proposé à l’occasion de la semaine du Goût, du 14 au 19 octobre 2012.

Les centres commerciaux sont loin d’offrir des perspectives particulièrement réjouissantes pour les painrisiens que nous sommes. Ils concentrent bien souvent de grandes enseignes de la restauration ou de la « boulangerie », proposant des produits standardisés et industriels. Les nouveaux centres auraient bien du mal à faire exception, même s’ils font des efforts considérables pour proposer une offre de services toujours plus qualitative.

Ce 18 octobre était un grand jour pour Unibail-Rodamco, puisque c’était aujourd’hui qu’ouvrait sa toute nouvelle vitrine en très proche bordure de Paris : en effet, c’est à Levallois-Perret, à quelques minutes du 17è arrondissement, que se situe So Ouest.

Le bailleur d’espaces commerciaux a mené au cours de ces dernières années une véritable politique d’élévation de la gamme de son parc, à l’image des centres comme Carré Sénart (Lieusaint – 77) ou le CNIT de la Défense, avec des espaces toujours plus lumineux et une attention particulière portée à l’expérience client : développement de programmes de fidélité avec le centre en plus de ceux proposés par les boutiques elles-mêmes, accompagnement lors de périodes d’affluence… Rien n’est laissé au hasard, au point même qu’à Lieusaint et à Levallois, on parle de shopping « 4 étoiles ».

Au delà du marketing, j’avais envie de découvrir la réalité sur le terrain, et en particulier du côté du magasin Marks & Spencer, qui se vantait d’être l’un des plus grands d’Europe, avec un rayon… boulangerie.
J’ai déambulé dans les allées, contemplé ce mélange hétéroclite de cuisines du monde, observé avec beaucoup de tristesse tous ces fruits et légumes vendus sous emballage, ai été surpris par le coin traiteur en « service assisté » avec confection sur place de pâtes fraiches… pour me retrouver face à ce fameux fournil.

Le caractère industriel de ces pains fait peu de doutes…

Fournil, vous dites ? Parlons plutôt d’un terminal de cuisson. Les employés qui y oeuvrent ne sont pas plus boulangers que vous et moi, malgré les charmants tabliers et chapeaux qu’ils sont contraints de porter. Leur rôle ? Assurer le show, puisque c’est bien le concept redoutable développé ici. Du pain chaud toute la journée, avec des cuissons en permanence. Le choix ne manque pas, entre baguettes, bagels, bâtards et autres pains aux ingrédients, accompagnés par des viennoiseries. De l’industrie, et des additifs, à l’image de l’acide ascorbique que l’on retrouve dans la composition des produits vendus sous emballage dans les étagères toutes proches.
On retrouve également quelques produits ethniques (naans, pains italiens…) à réchauffer, du côté des vitrines réfrigérées, ainsi qu’un espace Café au 2è étage.

J’avoue avoir du mal à comprendre l’enthousiasme que peut susciter l’enseigne, comme si les français avaient gardé vis à vis d’elle un rapport presque « affectif » depuis son départ de nos contrées il y a quelques années (l’affluence lors de l’ouverture sur les Champs-Elysées n’en est qu’une autre preuve !).

Un présentoir boulangerie-pâtisserie qui n’a rien à envier à celui développé dans nos boutiques artisanales

So Ouest, c’est aussi un hypermarché E. Leclerc, avec son inévitable rayon boulangerie-pâtisserie. Ce dernier a été très soigné, avec des présentoirs reprenant les codes de la boulangerie artisanale, et un service humain en plus des produits déjà emballés. On notera la présence d’une large gamme de petits pains, traditionnels ou aromatiques (à la moutardine, notamment), ainsi que d’une baguette de Tradition. Son prix est d’ailleurs loin d’être particulièrement attractif : certes, elle est proposée à 88 cts… les 200g ! Le prix au kilogramme est donc très proche de celui pratiqué par les artisans boulangers, pour un produit à peine médiocre.

Un petit tour au travers des allées de la galerie marchande nous laisse aussi l’occasion de découvrir la boutique Berko, dont l’expansion semble irrémédiable, ou encore du point de vente Paul, quasi-indéboulonable pour les centres commerciaux. On notera tout de même l’ouverture du 4è restaurant français de l’enseigne de restauration rapide haut de gamme Prêt à Manger (même si là encore, rien d’exceptionnel côté pain pour les sandwiches).

Vous l’aurez compris, So Ouest ne révolutionne pas le genre en boulangerie, ce qui est regrettable mais certainement pas surprenant.

J’aurais pu me contenter d’être un blogueur parcourant les rues de Paris pour goûter du pain et partager mes découvertes. Seulement, ce n’est pas tout à fait ma vision de l’engagement que je peux avoir vis à vis de mes lecteurs, et plus généralement du sujet que j’ai choisi de traiter. Le pain n’est certainement pas un produit comme les autres, et il mérite une attention toute particulière pour en saisir tous les aspects et enjeux.

C’est pourquoi je vais plus loin, pourquoi je prends de mon temps pour participer aux événements qui ponctuent la vie de la profession. Dans cette optique, j’avais sollicité la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française afin de participer au congrès Univers Boulangerie 2012, qui se tenait les 14 et 15 octobre au Palais des Congrès du Futuroscope, près de Poitiers. L’organisme n’a pas rechigné à m’inviter, et je les en remercie.

Ainsi, j’ai pu prendre la température dans cette institution qui se veut fédératrice des artisans boulangers français, tout en portant l’évolution des pratiques du secteur. De « grands thèmes » ont été évoqués au cours de ces deux jours :

  • Le « snacking » – restauration rapide en français – et la place que les boulangers peuvent y prendre, avec notamment l’intervention du chef étoilé Thierry Marx ;
  • Les évolutions de la relation client, avec Gérard Baillard, Directeur de Mercuri International Business Partners ;
  • Les mutations de l' »entreprise boulangerie », avec une attention portée sur la proximité, le Rural et l’Urbain et l’intervention de Sylvia Pinel, Ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme ;
  • Les sources de croissances pour demain, au travers d’un débat animé par le fameux Franz-Olivier Giesbert.

Je reviendrai plus en détails sur ces différents sujets au cours des prochains jours, mais l’objet de ce billet était avant toute chose de faire un bilan global de l’événement et de sa teneur. Si j’ai parlé de « Grand Messe » en titre, ce n’est certainement pas par hasard. Univers Boulangerie avait tous les attributs d’un grand show, avec en vedette le président Crouzet. Un animateur, une mise en scène, de la musique pour ponctuer les entrées des intervenants, … en bref, une organisation sans faille, seulement il ne faudrait pas oublier le contenu.

Magic-Crouzet est dans la place !

L’intitulé de la manifestation était « La boulangerie autrement, une nouvelle donne ». Cela met bien en valeur le fait que la profession est au fait des enjeux auxquels elle doit faire face, avec notamment une montée progressive de la moyenne et grande distribution dans la consommation de pain. Seulement, il ne suffit pas d’être au fait des problèmes, il faut aussi y répondre de façon pertinente. Ici, on semblait convaincus que la solution était de se tourner toujours plus vers la restauration rapide, génératrice de marges élevées et porteuse d’une certaine valeur ajoutée. Cette tendance a été adoptée depuis bien longtemps par les boulangers parisiens, mais je ne suis pas certain que ce soit l’élément à mettre en valeur avant tous les autres.

En effet, au cours des débats et échanges, j’ai très peu entendu parler de qualité… et de pain, en définitive. Il ne semble pas être à l’ordre du jour de chercher à soigner le savoir-faire de base de l’artisan, en commençant par réaliser des pains savoureux, dépourvus d’additifs et ne faisant pas appel à des pré-mixes douteux. Pour cela, il serait aussi intéressant de se pencher sur la matière première, à savoir la farine… A Univers Boulangerie, ces sujets semblaient faire partie du passé : la boulangerie de demain devra se faire traiteur et développer sa capacité à entretenir une relation forte avec sa clientèle pour exister.

Je ne remets aucunement en question ce dernier point, et il y a du bon sens là dedans : nos artisans boulangers doivent communiquer et devenir visibles, sortir de leurs fournils, pour exister face à de grandes enseignes et mettre en valeur leur savoir-faire unique. Le rapport entretenu avec le client doit se faire plus « intense » et ponctué de moments forts afin de susciter l’envie et le plaisir de se rendre chez son artisan boulanger. Egalement, la dimension de conseil est importante, et je pense qu’elle demeure encore trop souvent négligée.

Le contenu des sacoches remises aux participants

Pour autant, je ne suis pas certain que l’on aille vraiment dans la bonne direction. Des détails ne trompent pas, comme la remise à chaque participant d’une charmante sacoche à l’effigie de la mutuelle MAPA, remplie de documents mettant en valeur la fameuse enseigne développée par la confédération (et facturée à un prix loin d’être modique, d’ailleurs), les prestations de banques et assurances ou encore des bienfaits de la levure… On comprend rapidement qui tient les cordes des bourses de la filière, ce qui est plutôt fatigant à la longue.

Si un mot m’a bien marqué, c’est sans doute celui de « fierté », accompagné d’un couvert d' »humanisme » que revêtirait la filière. Je ne sais pas si tout cela est bien approprié alors que 80% des boulangers mettent en oeuvre dans leur fournil des viennoiseries industrielles (un sujet rapidement évoqué mais plutôt éludé, pensez-vous, on était à Poitiers pour parler de la boulangerie de demain, pas de celle d’aujourd’hui et de tous ses travers !) ou que la plupart des artisans ne manquent pas une seule occasion de mettre en avant leurs problèmes de personnel… Où sont les raisons d’être fier ? Où est l’humain ?

Je finirai en évoquant rapidement le profil des personnes présentes à cet événement : je n’ai pas vu beaucoup de jeunes artisans, au contraire, les têtes étaient plutôt grisonnantes et les attentions portées autour des somptueux repas qui ponctuaient les débats. Cela représente pour moi le signe que cette confédération ne parvient pas à représenter nos boulangers d’aujourd’hui et surtout de demain… pas plus que beaucoup d’acteurs engagés de la filière dont j’ai pu vous parler au cours des derniers mois, qui avaient fait le choix d’être absents d’Univers Boulangerie. Assez compréhensible, me direz-vous.

Paraît-il que le XVIIIè arrondissement est le secteur parisien concentrant le plus de « bonnes boulangeries ». Certains attribuent même cela à… l’eau. Certes, cela demeure un ingrédient important dans la réalisation d’un pain, puisque les pâtes sont très largement hydratées, mais je ne suis pas vraiment convaincu par cette explication. En réalité, j’aurais plutôt tendance à dire que c’est lié à une certaine culture du goût et à une tradition développée de longue date.

Au delà des boulangeries, il y a aussi les célèbres vignes de Montmartre. Chaque année, leurs vendanges sont fêtées début octobre au travers de diverses animations réparties sur plusieurs jours. Cette année, elles débutaient aujourd’hui, avec une attention toute particulière portée aux enfants.
En effet, en 2012, Montmartre fête les gourmandises et il est essentiel d’éduquer les plus jeunes au goût, de partager avec eux de bons produits. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, et beaucoup de travail reste à faire dans les établissements de restauration scolaire. D’ailleurs, le chocolat y sera mis à l’honneur demain, à l’occasion de la journée chocolat. Un repas développé autour du cacao sera servi aux écoliers du XVIIIè, en partenariat avec la si charmante SOGERES.

La chorale en prélude du goûter

Aujourd’hui, du côté de la Porte de Clignancourt, un goûter géant et multicolore avait été organisé pour les petits et les enfants. Au programme, de la musique, avec la fanfare théâtrale des Grooms, accompagnée de la chorale de jeunes du 18e Ado dièse dirigée par Claire Dagnicourt et des P’tits Poulbots de Montmartre.

Au moins, les viennoiseries étaient artisanales, ce qui n’est pas toujours le cas dans les goûters que l’on offre aux enfants ! Une belle occasion de les sensibiliser au goût unique des croissants & pains au chocolat « maison ».

Suite à cette introduction musicale, 50 étudiants du CFA de Belliard ont oeuvré derrière les buffets recouverts d’amusantes nappes multicolores. Sur 70 mètres de long, les gourmandises fournies par les meilleurs boulangers de l’arrondissement étaient offertes à l’appétit de nos gastronomes en culottes courtes.

De gauche à droite : Pascal Barillon, Jacky Fradin & Djibril Bodian

Pascal Barillon et Djibril Bodian avaient fait le déplacement, mais Anis Bouabsa, Gontran Cherrier, Arnaud Delmontel, Sébastien Mauvieux ont aussi contribué à l’événement en apportant chocolats, mini-viennoiseries, chouquettes multicolores et autres sucreries… De quoi éclairer l’après-midi de ces bambins, malgré un temps plutôt maussade.
On saluera également la présence de Jacky Fradin, président-adjoint de la Chambre Professionnelle de la Boulangerie-Pâtisserie d’Ile-de-France. Ce boulanger a longtemps proposé ses produits dans l’arrondissement, puisqu’il était précédemment installé… au 4 rue du Poteau, en lieu et place de Rodolphe Landemaine, tout fraichement arrivé dans les lieux !

Les financiers et autres gourmandises ont suscité l’enthousiasme des enfants.

C’est pour moi une belle illustration de la relation que doivent entretenir les artisans boulangers avec la communauté dans laquelle ils s’inscrivent : au delà d’échanges purement monétaires, ils participent à la vie des habitants du quartier et peuvent apporter bien plus que du pain… de la vie, du partage, tout simplement. Un fait qui les différencie nettement des grande enseignes et autres marques impersonnelles, qui se contentent de porter de l’intérêt à leurs profits.

Arnaud Larher avait contribué avec des chocolats multicolores

J’avais voté, mes trois autres compères également. Suite à cela, le classement s’était naturellement établi, mais le secret autour du nom des lauréats restait entier. 18 participants pour ce second concours du pain Bio d’Ile-de-France, et bien sûr… un seul vainqueur !

Le classement se déroule ainsi :

1 – Frédéric PICHARD – 88, rue Cambronne – 75015 PARIS
2 – Denis HECHT – 86, rue du Rocher – 75017 PARIS
3 – Mickaël FORCHER – 1, av. Poissy – 78260 ACHERES
4 – Anthony BOSSON – L’ESSENTIEL – 73, bld Auguste Blanqui – 75013 PARIS
5 – Jean Pierre CARTON – LE BOULANGER DE SAINT GERMAIN – 47ter, bld St Germain 75005 PARIS
6 – Stéphane HENRY – MON PERE ETAIT BOULANGER – 2bis, bld Morland – 75004 PARIS
7 – Philippe CONAN – AU PECHES NORMANDS BIO – 2, rue Yves Toudic 75010 PARIS
8 – Audrey TRABACH – AUX TROIS PETITS MITRONS – 2, bld Louis Boon – 94370 SUCY EN BRIE
9 – Anthony BOSSON – L’ESSENTIEL MOUFFETARD – 2, rue Mouffetard – 75005 PARIS
10 – Rudy REGNERY – FANTASIIIA – 35, rue d’Alésia – 75014 PARIS
11 – Olivier GESTIN – L’ATELIER DU PAIN – 35, place St Ferdinand – 75017 PARIS
12 – Claude AZAÏS – EN CAS DE CAMPAGNE – 11, Av. des Murs du Parc – 94300 VINCENNES
13 – Didier BALIGOUT – 79 rue de Sommeville – 77380 COMBS LA VILLE
14 – Alban GORGE – 69, rue Daguerre – 75014 PARIS
15 – J. Michel CARTON – CARTON GARE DU NORD – 6, Bld de Denain 75010 PARIS
16 – Franck THOMASSE LA PANETIERE – 29, rue Marcel Allégot – 92190 MEUDON
17 – Franck METAIREAU – LE FOURNIL DES FRANCK’S – 34, rue Robert Giraudineau – 94300 VINCENNES
18 – Daniel POUPHARY – 28, rue Monge – 75005 PARIS

Frédéric Pichard, arborant fièrement son prix, en compagnie de Jacques Mabille

Frédéric Pichard succède donc à Michel Fabre, qui ne pouvait concourir cette année du fait de son titre obtenu l’an passé. Cela ne fait qu’un titre supplémentaire pour cette maison, déjà récompensée pour ses croissants ou ses galettes par le passé.
Les autres nominés m’intéressent plus, en définitive, puisque l’on retrouve en seconde place la boulangerie de Denis Hecht, représenté par sa femme et l’un de ses ouvriers. Cette discrète adresse du 17è arrondissement ne manque en effet pas de valeur, et c’est une excellente chose qu’ils commencent à se faire connaître en dehors de leur clientèle « locale ».

On passera sur les secrets de polichinelle, comme le fait que beaucoup des produits présentés avaient été réalisés par des ouvriers et non par les patrons eux-mêmes, ou que ces remises de prix sont surtout l’occasion de déboucher quelques bouteilles de champagne…
L’important, en définitive, demeure de proposer la même qualité au consommateur, comme l’a justement rappelé Jacques Mabille, le président du syndicat. En ce qui concerne le pain Bio, l’honnêteté et la rigueur devraient également être au coeur de la démarche : l’acide ascorbique, sans doute utilisé par quelques-uns des artisans en compétition, devrait être exclu comme c’est le cas pour la baguette de Tradition.

Dans tous les cas, je ne peux qu’espérer que certains artisans tout aussi talentueux participeront l’an prochain, à l’image de Jean-Paul Mathon, car il est dommage de retrouver dans l’ensemble des concours les mêmes têtes…

J’aime voir des projets se concrétiser. On m’en parle parfois comme ça, négligemment, entre deux sujets, comme une douce ponctuation dans cet amas d’informations qui constitue nos journées. Ils me reviennent à l’esprit de temps à autre, et je me demande quel en est l’avancement… L’occasion parfois de le demander aux intéressés.

Dans d’autres, c’est le hasard qui me donne la réponse et ce fut le cas hier, étant de passage rue d’Odessa, dans le 14è arrondissement. En effet, au 19 de cette voie, la boulangerie a changé de propriétaire il y a tout juste trois jours. La devanture affiche encore « Aux Délices d’Odessa », mais à l’intérieur, c’est la gamme de… La Parisienne que l’on retrouve. En effet, Julien – le précédent boulanger oeuvrant pour le compte de Mickaël Reydellet sur le boulevard Saint-Germain – et son épouse se sont installés ici, comme le jeune artisan me l’avait annoncé il y a plusieurs mois.

Dans cette boulangerie un peu vieillotte, les produits étaient restés sur la même dynamique – ou plutôt, absence de dynamique. Une large gamme de pains, tous issus de prémixes fournis par le groupement Banette, peu de propositions à l’heure du déjeuner… Des faits qui font dors et déjà partie de l’histoire ancienne, puisque les recettes de la maison sont à présent appliquées, avec quelques suppléments puisqu’un pain Bio – en cours de certification – a fait son apparition. La baguette de Tradition aura encore besoin de changement, puisqu’elle demeure réalisée la méthode du prédécesseur pour ne pas trop perturber les habitués des lieux. L’artisan compte cependant proposer un large éventail de produits le week-end, sa boulangerie étant la seule ouverte dans le secteur. Baguettes aux figues, tradition feuilletée (une des spécialités que je vous avais présenté)… Le tout réalisé à partir d’une farine livrée par les Moulins de Chars.

Un travail sur l’aménagement des lieux sera sans doute à mener en parallèle, mais laissons les choses se mettre en place. Dans tous les cas, on peut déjà apprécier l’accueil charmant et les larges horaires d’ouverture (du mardi au dimanche, de 7h à 20h).

Côté pâtisserie, la gamme reprend les standards développés dans les deux autres adresses de l' »enseigne », avec des classiques et divers entremets simples et honnêtes.
La démarche de Mickaël Reydellet est en tout cas plus qu’appréciable : il donne en effet de l’indépendance à ses salariés, en les accompagnant dans leur installation, tout comme cela avait pu être le cas à ses débuts avec la famille Julien. Un bel état d’esprit que plus de patrons devraient développer, surtout que l’homme a su rester simple et à l’écoute malgré le succès de son entreprise.

La Parisienne applique donc l’adage « jamais deux sans trois », on ne va certainement pas s’en plaindre !

Infos pratiques

19 rue d’Odessa – 75014 Paris (métro Edgar Quinet, ligne 6 ou Montparnasse-Bienvenüe, lignes 4, 6, 12 et 13) / tél : 01.42.79.92.58
ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h.