La normalité nous enferme beaucoup. Plutôt que d’essayer de créer des espaces de liberté, nous passons le plus clair de notre temps à distribuer des étiquettes, comme autant de jugements faciles et précipités. Il y a l’asocial, l’original, le fou créatif, le gentil-mais-un-peu-dérangeant, le carrément-glauque… et j’en passe. Se soucie-t-on vraiment de leurs histoires, de leurs aspirations ? Pas vraiment. Une fois que l’on a passé la barrière, que l’on se retrouve dans le camp de toutes ces personnes en marge, on finit par mesurer l’étendue du champ des possible. La limite ? Notre volonté et notre imagination. Cette dernière est indispensable pour voir de nouveaux lendemains dans des espaces où la vie a laissé place au triste silence de l’abandon, de la désaffection.

Les Grands Voisins, ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul

En parlant de vie, l’histoire des locaux dans lesquels Jean-Philippe vient d’installer sa boulangerie est plutôt inhabituelle. En effet, c’est au coeur des Grands Voisins -l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14è arrondissement- qu’il a choisi de fabriquer du pain au levain naturel.

La porte du fournil, au 2è étage du bâtiment Rapine. Si la nouvelle activité affiche ses couleurs, l’histoire reste présente.

Si la porte indique encore « sage-femme enseignante », c’est aujourd’hui une autre forme de vie qui est créée dans ce fournil fraichement installé… comme si l’endroit n’avait pas tout à fait changé d’orientation. Ici, la communauté est particulièrement riche et créative : un studio de musique, une exposition sur Haïti, un brasseur, entre autre projets artistiques ou solidaires, l’ensemble formé par ce projet atypique nous montre que l’on peut occuper autrement des bâtiments désaffectés. Cette atmosphère a séduit notre jeune artisan, et c’est pourquoi il a choisi de s’y installer jusqu’à la fermeture, prévue en décembre 2017.

Jean-Philippe devant son stand.

Jeune artisan, l’expression est bien choisie : Jean-Philippe vient tout juste de passer son CAP après une formation en reconversion professionnelle au sein de l’école Ferrandi. S’il a longtemps évolué dans le secteur du graphisme, la boulangerie l’a toujours attiré. Une expérience dans un fournil traditionnel l’a vite découragé, et ce ne sera que plusieurs années après qu’il trouvera un modèle lui convenant. En découvrant une communauté bretonne où un paysan boulanger officiait -ce dernier avait une vision assez poussée de la démarche, n’utilisant aucune électricité, y compris pour peser, et cuisant au feu de bois-, il comprend vers quelle direction s’orienter. Par la suite, les méthodes de travail du Fournil Ephémère l’ont beaucoup inspiré, de même que celles de Maxime Bussy au Bricheton, chez qui il fera d’ailleurs un stage. Il a également oeuvré au sein d’une entreprise plus traditionnelle, la Boulangerie bo dans le 12è arrondissement. La bienveillance d’Olivier et son ouverture d’esprit ont détonné vis à vis du scepticisme, voire des moqueries, recueillies dans d’autres entreprises ou au centre de formation.

Sur son stand en extérieur, Jean-Philippe vend ses pains. Sa boulangerie est ainsi plutôt bohème, mais cela correspond bien à l’environnement des Grands Voisins.

Cette bienveillance, on la retrouve également aux Grands Voisins : les encouragements étaient nombreux pour le « nouveau boulanger », en cette première journée du 21 juin 2017. Sur son petit stand, Jean-Philippe présentait ses pains, tous vendus au tarif unique de 8€ euros le kilogramme. Mélange de 17 blés de population (réalisé avec l’association Graines de Noé), Seigle blanc, Sarrasin, Grand Epeautre… toutes les variétés n’étaient pas encore au meilleur de leur forme -la chaleur n’aidant pas- mais elles expriment bien les saveurs de leur terroir et la passion du paysan-meunier fournissant la Boulangerie Chardon. Fabrice Clerc est installé en Haute-Marne, à Dommarien. Il cultive et écrase sur moulin Astrié des céréales anciennes, dans le respect des cahiers des charges Biologique et Nature & Progrès. Un levain doux exalte les parfums délicats de ses produits, portés par un pétrissage délicat à la main et un pointage au froid (un choix dicté notamment pour des questions d’organisation de travail, ce qui permet à l’artisan de pétrir la veille pour cuire le lendemain). Les produits sucrés (gâteaux, biscuits…) rejoindront prochainement l’offre.

Si l’aventure au sein de cet ancien hôpital n’a pas vocation à être durable, ce n’est qu’une première étape d’un projet de vie : d’artisan boulanger, Jean-Philippe veut ensuite devenir paysan boulanger. Il s’installera l’an prochain sur la presqu’île de Crozon, en Bretagne, prenant ainsi la suite d’agriculteurs déjà installés sur une exploitation de 100 hectares. La transmission se fera progressivement, avec l’arrivée d’autres associés. L’expérience parisienne sera utile pour solidifier ses aptitudes en panification, pour mieux comprendre les attentes des clients… et permettre à sa compagne d’achever sa formation en pâtisserie. En effet, cette dernière le rejoindra afin de réaliser des biscuits et autres gourmandises.

Afin de minimiser son investissement, Jean-Philippe a âprement négocié, et notamment pour l’achat de son four. Il a finalement opté pour un four Guyon, avec des soles en grès naturel des Vosges.

Comme on n’oublie jamais tout à fait d’où l’on vient, l’univers graphique de la Boulangerie Chardon a été très soigné. Une amie illustratrice s’est chargée du logo et des visuels associés à la communication, et elle participera à la confection de boites et emballages pour les biscuits. Cette rencontre entre plusieurs univers est particulièrement intéressante : on peut vendre un produit ancré dans les traditions et le savoir-faire de façon élégante et moderne, avec un emballage attrayant. Dans l’immédiat, c’est l’écosystème des Grands Voisins qui participera à cet enrichissement du métier d’artisan boulanger : avec les brasseurs du même bâtiment, Jean-Philippe souhaite réaliser des expériences de bière fabriquée à partir de pain, ou de biscuits à la drêche (résidu de brasserie).

Les farines de blés anciens de Fabrice Clerc.

Une boulangerie engagée a tout à fait sa place dans un lieu tel que celui-là : on y ressent un état d’esprit ouvert et curieux, où l’anticonformisme est érigé en véritable mode de vie. Je ne doute pas que les pains -qui ne piquent pas- de ce Chardon trouveront rapidement un public fidèle.

La cour des Grands Voisins et ses bâtiments. On y trouve de nombreuses associations, des restaurants… et même un camping pour cet été.

Infos pratiques

82 avenue Denfert-Rochereau – 75014 Paris (RER B ou métro lignes 4 et 6, gare de Denfert-Rochereau) / tél : 06 95 66 54 86
ouvert du mercredi au vendredi de 12h à 14h et de 17h à 19h, le samedi et le dimanche de 12h à 18h.
Page Facebook : https://www.facebook.com/BoulangerieChardon

4 réflexions au sujet de « Boulangerie Chardon, Paris 14è, le pain naturel des Grands Voisins »

  1. Même si je ne peux pas venir goûter ton pain sur Paris, je pourrais le déguster sur Laval ! Nous t’attendons en formation BPREA.

    Mickaëlle

  2. Pour ceux qui se lamentaient de la fermeture de la boulangerie cet hiver, bonne nouvelle, elle a ouvert ses (nouvelles) portes cette semaine, toujours aux Grands Voisins (6 de la cour Robin).
    La gamme habituelle est de retour :
    – Mélange de froments (7,4 € le kg)
    – Seigle blanc (8 € le kg)
    – Froment – Seigle blanc (8 € le kg)
    – Grand épeautre (9 € le kg)
    – Froment – Sarrasin (9 € le kg)
    La gamme est courte et c’est très bien comme cela.
    Pour une entreprise récente, je trouve que les produits sont convaincants (mie généralement bien hydratée, croûte non brulée, de beaux arômes). Les pains se conservent aussi bien que dans les autres boulangerie Bio.

    Des pizzas sont désormais proposées à midi

    Horaires de vente :
    – du mardi au vendredi : 12h-14h et 17h-20
    – samedi : 12h-15h30 et 16h-20h

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