Selon les saisons, les habitudes alimentaires varient et notre corps exprime des envies différentes. Tandis que l’on aspirera à des repas plus légers en été, nous serons amenés à consommer des aliments plus riches en hiver ou en automne. La nature est ainsi faite, et dans un sens, c’est bien mieux comme ça : on ne trouve pas les mêmes fruits ou légumes selon les mois. Il ne faut pas chercher à aller à l’encontre des rythmes biologiques en réalisant une course effrénée vers le « hors-saison ».

Fruit d’automne par excellence, la châtaigne annonce des temps moins cléments mais elle réchauffe un peu nos coeurs… D’autant qu’elle peut très bien se transformer en farine pour fabriquer des pains savoureux, à la belle croûte brune et à la mie bien grise. Je dis bien des pains, car derrière l’appellation de « pain à la châtaigne » se cachent en fait de nombreuses interprétations, dépendantes de la sensibilité de chacun des artisans. En effet, ici, pas de règle comme pour une baguette de tradition, les ingrédients sont soumis au libre choix du boulanger.

Ainsi, il est possible de rencontrer des versions très différentes, plus ou moins savoureuses. Dans tous les cas, cela reste un pain assez coûteux, car la farine de châtaigne est onéreuse, du fait de sa relative rareté : la production en est beaucoup moins abondante que celle du blé, ce qui est assez logique. Parmi les meilleures, la farine issue de châtaignes de Corse est soumise à une AOC qui évite les pâles imitations. Les artisans les plus impliqués en utilisent pour réaliser leur pain, et le mettent généralement en avant, à juste titre.
Dans tous les cas, le pain à la châtaigne accompagnera idéalement gibiers et volailles, ainsi que certains fromages (de chèvre, notamment). Il est également délicieux au petit déjeuner, accompagné d’un peu de beurre ou de miel.

On parle de pain à la châtaigne, mais en réalité, de la farine de blé est généralement ajoutée au mélange dans une proportion variable afin de faire en sorte que le pain ait une certaine tenue et lève un minimum. En effet, la farine de châtaigne est dépourvue de gluten, ce qui signifie que si elle est seule, le résultat sera assez compact et aura une fâcheuse tendance à s’effriter lors de la découpe, ce qui n’est pas très agréable. C’est d’ailleurs là que l’on peut constater le talent – ou son absence – de l’artisan boulanger : il doit parvenir à créer un pain bien équilibré entre parfum de châtaigne et consistance correcte. Tout un art.

Autant vous dire qu’avant de rédiger ce billet, une certaine quantité de farine de châtaigne est passée sur ma table, étant un grand amateur de sa saveur si caractéristique. Certains pains m’ont déçu, d’autres surpris. Au final, j’ai inévitablement mes préférences…
Chez Gontran Cherrier, le pain à la châtaigne est très gourmand, moelleux et on le dégusterait presque comme une brioche, sans faim ni fin, d’ailleurs. Façonné en petite boule, il est assez élégant. Sa croûte n’est pas très marquée, mais l’arôme est puissant et on retrouverait presque le parfum d’un cake type Savane Brossard. Tout cela est très régressif ! Malheureusement, la boulangerie de Montmartre est en rupture de farine depuis quelques semaines, il faudra donc attendre pour en déguster de nouveau…
Pour continuer dans le domaine du moelleux, Dominique Saibron nous propose à nouveau son interprétation, avec un pain très artistique puisqu’il est parsemé de petites « pointes », qui ne sont pas sans rappeler la fameuse bogue dans laquelle sont lovées les fruits. Tout cela est très joli, et pour ne rien gâcher, là encore le pain est très savoureux – et, cerise sur le gâteau, ou plutôt le pain, il est certifié Biologique.
Franck Debieu, au sein de ses boulangerie L’Etoile du Berger, nous propose un pain enrichi en éclats de marrons, ce qui a pour effet de souligner le goût tout en renforçant la note sucrée caractéristique de la châtaigne. Autre point à noter, la croûte du Châtaignier, puisque c’est son nom, est très croustillante et le reste longtemps, puisqu’il se conserve exceptionnellement bien. A l’inverse des deux premiers, l’ensemble est moins moelleux, plus proche de la texture d’un pain, comparable à celle d’une tourte de seigle de par son caractère serré et dense.
La version de Jean-Paul Mathon à la Gambette à Pain est, quant à elle, un modèle de subtilité et de complexité. Nous sommes en présence d’un pain à la mie relativement alvéolée, ce qui est peu fréquent. On y retrouve une pointe d’acidité, qui s’exprime en premier lieu, pour ensuite laisser place à la saveur sucrée et douce de la châtaigne. Tout cela est très intéressant, et la légèreté de sa mie rend ce pain très agréable à déguster, la densité de leur mie pouvant être reprochée à la plupart des autres créations.
David Granger chez des Gâteaux et du Pain propose également le week-end une version très réussie, avec un façonnage élégant et un parfum bien marqué, en plus d’une mie d’excellente tenue.

Il existe également des pains mettant en oeuvre de la farine de châtaigne en association avec d’autres composants, tels que des noix. C’est notamment le cas chez Bread & Roses, qui propose un superbe pain châtaigne-noix, au grignage très artistique et à la saveur bien marquée. La douceur de la châtaigne s’associe parfaitement avec l’amertume de la noix pour créer un pain… de Berger Corse, comme aime le rappeler la boulangerie.
Chez Rodolphe Landemaine, la châtaigne est accompagnée de miel, noisettes et raisins. Malheureusement, j’ai trouvé que le résultat était trop doucereux et sucré, on finit par perdre le parfum de base, d’autant plus quand on croque dans l’une des noisettes, incorporées entières dans la pâte.

J’ai parfois été déçu par le manque de parfum de châtaigne, comme chez L’Autre Boulange, où la saveur est trop peu présente, ce qui est certainement la résultante d’une recette mal équilibrée entre cette farine et les autres, ajoutées pour la texture.
Dans tous les cas, n’hésitez pas à goûter ce pain dès lors que votre artisan boulanger en propose ! Je ne doute pas que, tout comme moi, vous deviendrez rapidement des inconditionnels. D’autant qu’il faut en profiter, c’est un pain « de saison », qui n’est généralement pas proposé à l’année (on en trouve assez facilement jusqu’en mars).

Chaque enseigne a ses moutons noirs. Il peut y avoir divers points sur lesquels les magasins peuvent pêcher vis à vis des standards de l’ancienne : qualité de l’accueil, propreté, aménagement intérieur, mise en place des produits… Dans le cas des métiers artisanaux et plus particulièrement des boulangeries, c’est avant tout la réalisation du pain et des différentes créations salées ou sucrées qui peut varier.

Eric Kayser souhaite développer l’image d’une entreprise fournissant des produits haut de gamme, avec un caractère artisanal et des boulangeries qui ont une « âme », inscrites dans leur quartier et son écosystème. Chacune développe ainsi une gamme de pains différente, avec généralement une création « signature » pour chaque implantation.
Tout près de l’Odéon, dans la rue de l’Ancienne Comédie, la boutique Kayser propose ainsi le pain « Odéon Santé », un pain de mie aux céréales. Au delà de cette spécialité, les classiques sont représentés, au travers de la baguette Monge, Malesherbes, Rustique, aux Céréales, … ainsi que les pains spéciaux propres à l’enseigne (pain au curcuma, noix et noisettes, pain des écureuils (pruneaux et noisettes), pain méridional…). On peut bien entendu saluer cette volonté de proposer des saveurs originales et de permettre à la clientèle de varier les goûts et les plaisirs au fil des jours, sans se lasser. Cependant, l’essentiel est avant tout la qualité. Malheureusement, de ce côté là, on ne peut pas dire que cette boulangerie fasse partie des plus performantes de l’entreprise Kayser. Au contraire.
Entre des cuissons plus qu’aléatoires (les baguettes sont bien souvent très blanches – à comparer avec les belles croûtes dorées de la rue Monge !), des façonnages bâclés, une conservation très médiocre, … le pain n’est ici pas à la hauteur de ce qu’il devrait être. Ce qui est d’autant plus désagréable que les tarifs sont identiques à ceux des autres boulangeries Kayser, conférant ainsi à ces disparités de qualité un caractère injuste et malheureux pour les habitants du quartier, qui ne sont tout simplement pas tombés sur le « bon numéro ».

Là où ce constat revêt un caractère plus cocasse, c’est quand on sait que plusieurs restaurants installés aux alentours sont livrés par ce fournil. Je citerai notamment les deux adresses de William Ledeuil, Ze Kitchen Galerie & Kitchen Galerie Bis, situées à quelques centaines de mètres de là. Bien entendu, la problématique de conservation est moins poussée pour des restaurants où le pain est généralement amené à durer un service, mais il reste cependant bien dommage que les clients de ces restaurateurs ne profitent pas d’un produit à la hauteur de ce qu’il pourrait être – là encore, l’exemple de la rue Monge nous montre que la maison Kayser sait tout de même entretenir des standards de qualité plus que satisfaisants.

Pour le reste, rien de mieux, rien de pire. Etant donné que la plupart des produits sont réalisés de façon centralisée puis livrés dans les points de vente (viennoiseries – la cuisson restant effectuée sur place, pâtisseries, gourmandises diverses…), les variations sont bien moindres qu’elles peuvent l’être sur le pain. Ainsi, on retrouve des viennoiseries assez correctes, des pâtisseries sur lesquelles il vaut mieux passer, ainsi qu’une offre salée plutôt large et correcte (sandwiches, salades – sans grande âme cependant, quiches…).

L’accueil est à l’image de ce qui est d’usage dans ce type de lieu, assez variable, pas forcément très enjoué mais au minimum professionnel. Il ne faut pas chercher ici de personnes passionnées par l’univers du pain, mais bien des vendeurs, assurant le service et l’accueil.

Infos pratiques

10 rue de l’Ancienne Comédie – 75006 Paris (métro Odéon, ligne 4) / tél : 01 43 25 71 60
ouvert du lundi au samedi de 7h à 20h30.

Avis résumé

Pain ? C’est malheureusement l’une des boulangeries Kayser qui, à mon sens, produit le pain le moins intéressant qualitativement. Les cuissons sont bien mal réalisées, de même que les façonnages. Forcément, la conservation s’en ressent et est très médiocre. Cela est d’autant plus dommage que la gamme de pains proposée est large et pourrait satisfaire la clientèle si elle était réalisée avec plus de sérieux. Les prix sont semblables à ceux proposés dans les autres boutiques, ce qui renforce cette impression désagréable.
Accueil ? Variable, comme souvent dans ce type d’entreprises. Nous n’avons pas affaire à des amoureux du pain mais à des vendeurs professionnels, qui servent et accueillent la clientèle. Il est difficile de mettre en défaut leur professionnalisme, même si tout cela manque parfois de joie de vivre.
Le reste ? Les produits sont comparables à ceux proposés dans les autres boutiques Kayser, puisque réalisés de façon centralisée pour la plupart. Il ne faut pas y rechercher de l’exceptionnel, mais des gammes plutôt honnêtes, avec un bémol particulier sur la pâtisserie, qui ne présente que bien peu d’intérêt.

Faut-il y aller ? Si l’on tient à se rendre dans une boulangerie Kayser, ce n’est certainement pas celle qu’il faut visiter, car elle ne donne pas une image très brillante de l’entreprise. C’est une boulangerie de quartier, à laquelle il faut tout de même reconnaître un résultat de meilleure facture que celui offert par quelques artisans implantés dans le voisinage.

Certains artisans, après avoir voyagé, réalisé un parcours dans les « élites », être passés par les plus grandes maisons, … aspirent à plus de calme et de sérénité dans leur activité, et font pour cela le choix de s’installer à l’abri de la fureur de la capitale.

C’est en tout cas le choix de Nicolas Bernardé, qui, accompagné de son épouse, a jeté l’ancre à La Garenne-Colombes depuis deux ans. Deux ans, cela correspond au temps qu’il aura fallu au couple pour faire éclore ce beau projet, qui aura transformé l’ancien restaurant d’angle situé à proximité de l’église, « La Belle Epoque ». Le nom a été conservé, mais cela n’a plus grand chose à voir. Depuis mardi, c’est un univers de gourmandises qui s’épanouit ici, présenté dans un écrin élégant et soigné. La clientèle est invitée à découvrir les produits de ce Meilleur Ouvrier de France Pâtissier 2004 au travers de présentoirs et étagères claires et lumineuses, dans des teintes grises et beiges du plus bel effet. En parlant d’effet, comment ne pas parler celui produit par ce mur de confitures ? Il met en valeur les superbes couleurs de ces pots de fraicheur fruitée et nous rappelle que l’essentiel, ce sera toujours le produit, et que nous devons nous concentrer dessus.

Parlons-en, d’ailleurs, des produits. Ils sont le fruit des nombreux voyages de M. Bernardé et expriment une vision assez globale et poussée du métier de pâtissier-chocolatier-confiseur. En effet, il dépasse les frontières communément admises des gammes développées dans de telles boutiques en proposant des sels et huiles parfumés (aux épices, au piment d’espelette, à la vanille, au combawa…), des vinaigres ou encore des sucres aromatisés. Bien entendu, on retrouve des classiques, telles que les caramels, tablettes de chocolat, pâtes à tartiner, cakes… Tout en apportant à chaque fois une note singulière et originale. Caramel parfumé « tarte au citron », confiture banane-pamplemousse-griotte ou abricot-poire-dragée, guimauves intensément régressives… Rien ne manque pour satisfaire les plus gourmands et curieux.

Ici, pas de pâtisseries « fraiches », mis à part un produit de saison qui sera proposé le samedi uniquement, selon l’envie et la disponibilité des fruits. Tartes aux fraises, clafoutis, autant de classiques qui seront amenés à être déclinés par l’artisan au fil des mois. On peut cependant toutefois trouver une courte gamme de macarons, proposés à 1,2 euros l’unité, ce qui est loin d’être excessif au vu des tarifs pratiqués dans la capitale.
Ce choix a été fait pour permettre le développement d’une seconde activité : les cours de pâtisserie. En effet, il aurait été difficile de concilier l’implication nécessaire pour réaliser quotidiennement des produits de pâtisserie et proposer des cours de qualité.

Les pâtissiers « en herbe » – enfants ou adultes, d’ailleurs, puisque les deux publics sont visés – auront le choix entre trois formules : la première où ils seront spectateurs et assisteront à la réalisation de la recette par le chef, puis deux autres où leur niveau d’implication pourra aller jusqu’à la réalisation complète d’un gâteau. Tout cela se déroulera au sein du laboratoire de production, situé au dessus de la boutique. Au terme du cours, une dégustation sera organisée au sein d’un espace aménagé à cet effet dans l’espace de vente, puis les participants pourront repartir chez eux avec la création du jour. Un programme alléchant et gourmand !

Pour nous guider, mais aussi nous faire frissonner, rêver ou encore déguster – puisque c’est ce triptyque qui est mis en avant par Nicolas Bernardé sur ses sacs et divers éléments de communication -, c’est madame elle-même ainsi qu’une vendeuse-pâtissière (belle idée que d’avoir une personne polyvalente en vente, car cela garantit une très bonne connaissance des produits et lui permet d’avoir un retour direct de la clientèle) qui assurent cette tâche avec beaucoup de chaleur et d’écoute. Ainsi, le travail des 3 personnes oeuvrant quotidiennement au laboratoire est représenté au mieux.

D’ailleurs, pour avoir goûté quelques extraits de ce travail, notamment au travers d’une confiture banane-pamplemousse-griotte que j’avais acheté samedi, je dois dire qu’on sent ici une belle maîtrise des matières premières et un grand soin pour leur transformation. Le mélange était bien équilibré, chaque fruit s’exprimant à son tour, entre rondeur de la banane, acidulé-amertume du pamplemousse et douceur de la griotte. De plus, l’ensemble est assez peu sucré, ce qui est fort agréable. On regrettera cependant l’absence d’indication de Date Limite de Consommation, ainsi que sur la teneur en sucres du produit.

Dans tous les cas, souhaitons une belle réussite à cet artisan dans son entreprise.

Infos pratiques

2 place de la Liberté – 92250 La Garenne-Colombes (Transilien Ligne L, gare de La Garenne-Colombes) / tél : 01 41 19 02 74
ouvert les mardi, jeudi et vendredi de 10h à 19h30 et les mercredi et samedi de 9h30 à 19h30.
Site internet : http://www.nicolas-bernarde.com

On peut parfois penser que les pains « spéciaux » finissent par tourner en rond, par offrir des associations de saveurs similaires. En effet, on retrouve bien souvent les classiques pains aux noix, aux céréales, aux raisins, un peu plus rarement des mélanges de ces différents ingrédients. Un peu ennuyeux, vous en conviendrez. Fort heureusement, certains artisans font preuve d’un peu d’imagination et nous proposent des créations réellement originales. Bien sûr, il faut que celles-ci aient du sens, que l’ensemble trouve un certain équilibre et que notre palais en ressorte grandi et satisfait.

C’est le cas avec les pains développés par Kenji Kobayashi chez Du Pain et des Idées. Depuis quelques temps, les dernières créations proposées au sein de cette boulangerie sont en effet l’oeuvre de cet « apprenti » de Christophe Vasseur. Il a notamment signé une brioche à la châtaigne, un pain cacao-canneberges-noix, le pain brulé dont je vous avais parlé précédemment, … Comme vous pouvez le constater, l’homme ne manque pas d’idées et il sait associer des saveurs tout en parvenant à réaliser un ensemble harmonieux.
Ce vendredi, il était parvenu à rassembler dans le fournil un asiatique, un bon gars du Périgord et un Québécois… pour les inviter à votre table. Tout cela est très imagé, il est en réalité question d’un pain Gingembre – Noix – Sirop d’érable. C’est autant une rencontre de cultures que des voyages successifs et vécus en accélérés, une association de saveur au dosage fin et intelligent.

L’expérience commence dès le premier contact, au visuel : ce pain est superbe, il s’offre à nous dans une robe sombre et quasi-torréfiée, cette croûte épaisse et croustillante procure à l’ensemble une excellente conservation ainsi qu’une note d’amertume qui apporte un contraste supplémentaire à la douceur du sirop d’érable. Ce dernier participe à la coloration de la mie et nous procure des saveurs ambrées, tout en restant assez discret pour ne pas sucrer l’ensemble à l’excès. Je ne suis pas un grand adepte des pains aux noix, mais cette note sucrée parvient justement à compenser son amertume et à la relever de façon agréable, ce qui rend la dégustation plus plaisante. Enfin, le gingembre confit achèvent de conférer à ce pain un caractère étonnant et ludique, au travers de notes acidulées et très fraiches.
Cela s’inscrit dans une mie assez dense, d’excellente tenue, bien moelleuse et gourmande. Grâce à ces caractéristiques (croûte épaisse, mie tassée), cette miche se conserve extrêmement bien et conserve un caractère plutôt craquant même le lendemain de l’achat.

Voici donc une belle réussite pour un artisan issu d’une région du monde où le pain n’est pas conçu de cette façon à l’origine. Kenji Kobayashi fait preuve d’un talent tout particulier et d’une belle humilité, qui se remarque immédiatement lorsque l’on a l’occasion de le voir en boutique (en plus de créer, de travailler au fournil, il passe aussi du temps en caisse ! mais quand se repose-t-il ?!). Pour ma part, j’ai hâte de découvrir ses prochaines créations et je souhaitais profiter de ce billet pour lui rendre un hommage tout particulier, car c’est plus souvent de son patron que l’on parle publiquement. Dans chaque boulangerie, les ouvriers oeuvrent jour après jour et font en sorte que ces beaux produits arrivent jusqu’à nous. Merci !

Pain Gingembre-Noix-Sirop d’Erable, Du Pain et des Idées, Paris 10è – proposé pour les fêtes et également vendredi 2 décembre – 4 euros les 450g.

Cette boulangerie a changé de propriétaire en janvier 2013. Les produits ne sont donc plus ceux proposés à l’époque de cet article.

Le vert est une couleur tendance. Tout le monde en met, un peu partout. Cela a tellement été associé avec l’écologie, l’environnement, les produits plus sains, que chacun y a été de sa petite note. Certaines lessives lavent plus blanc que blanc… d’autres lavent plus vert que vert. On parle d’ailleurs en Anglais de « green-washing ».

Il faut croire que certains boulangers ont décidé d’adopter cette mode à leur tour. Bien sûr, je pourrais citer tous ces boulangers quasi-industriels produisant du pain biologique, mais je crois en avoir déjà bien assez parlé. Non, je préfère m’intéresser aujourd’hui à un artisan, à une boutique, située dans la partie haute de la rue des Martyrs. Son nom ? La Boulangerie Verte. Au moins, cela annonce la couleur.
Allons donc voir si l’herbe y est vraiment plus verte… Dans tous les cas, l’échoppe est plutôt attirante, avec sa configuration en angle et son emplacement donnant sur une petite placette, conférant à l’ensemble un caractère lumineux et agréable. La boulangerie n’est pas bien grande à l’intérieur, il est toutefois possible de déguster les produits sur place, grâce à quelques tables installées à l’extérieur aux beaux jours.

Au delà de cet aspect sympathique, le problème viendrait plutôt des produits. Non pas qu’ils aient été eux aussi peints en vert, mais plutôt car on ne sait pas vraiment lesquels sont Biologiques ou pas. La signalétique n’est pas très claire, et le consommateur achète sans bien savoir ce qu’il obtient. Surprenant.
On retrouve bien entendu des baguettes de tradition, quelques pains spéciaux (aux graines, au seigle…) au façonnage plutôt soigné mais aux cuissons bien trop courtes. Si seulement nous pouvions prendre du plaisir à la dégustation ! Malheureusement, ça n’est pas vraiment le cas. La baguette « Inconnue », une baguette de tradition qui aurait un « secret » selon l’un des boulangers assez farceur, n’exprime que peu d’arômes, elle disparaît complètement en bouche, autant pour sa croûte que pour sa mie. Cela laisse une impression assez curieuse. Je crois que j’ai ainsi percé le secret de cette fameuse baguette : son absence de goût. Saveur Inconnue. Comme quoi, il ne suffit pas d’avoir de l’humour pour faire du bon pain. Je dirais même que nos artisans doivent travailler avec sérieux, mais ne pas se prendre au sérieux.
Même si les pains réalisés sur levain sont plus intéressants, le pain ne parvient pas à justifier son prix assez élevé, sa qualité générale restant plutôt médiocre (conservation moyenne, cuissons peu abouties, saveurs peu marquées…).

Le constat est assez similaire du côté des autres produits, que ce soit pour les viennoiseries, où seul le croissant au beurre pourrait s’en sortir honorablement, ou pour les pâtisseries, dont l’aspect brillant et gélatineux n’est pas du meilleur goût (en particulier pour les tartes, qui se passeraient bien de tout ce fard).
Les sandwiches ne sont de toute évidence pas réalisés avec des baguettes de tradition mais bien des « blanches », ce qui est bien dommage, car cela n’offre pas un support de saveurs intéressant, en plus de limiter l’intérêt en terme de craquant et de textures. Leurs recettes demeurent par ailleurs assez traditionnelles.
On notera cependant la présence de formules déjeuner, qui permettent à la clientèle de constituer un repas pour un prix modéré. Modéré, certes, mais sans grand intérêt gustatif.

Un point positif, l’accueil est sympathique et souriant, en plus d’être assez efficace. Cela ne saurait certes pas compenser la qualité des produits, mais on prend tout de même du plaisir à échanger quelques mots avec des gens souriants et avenants.

Infos pratiques

60 rue des Martyrs – 75009 Paris (métro Pigalle, ligne 2)
ouvert du lundi au vendredi & le samedi matin.

Avis résumé

Pain ? Malheureusement, le pain ne présente pas un grand intérêt ici. Que ce soit pour les baguettes de tradition à la réalisation approximative (cuisson beaucoup trop courte, façonnage aléatoire, manque de saveurs), la baguette Inconnue (serait-ce sa saveur qui est inconnue, car très limitée ?) ou le reste de la gamme, on ne retrouve rien de bien attirant malgré des tarifs qui semblent alors beaucoup trop élevés. Le problème est également absence d’information claire et rapidement lisible sur les produits Biologiques et conventionnels. Le consommateur ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour faire son choix, à moins de questionner de façon plus poussée les personnes assurant le service, ce qui n’est pas très efficace.
Accueil ? Souriant, professionnel et sympathique. Certains des boulangers y participent même et ne sont pas avares de plaisanteries. C’est une bonne chose, car on se dit que l’herbe est finalement relativement verte ici… sur le plan humain.
Le reste ? Les viennoiseries et les pâtisseries présentent tout aussi peu d’intérêt, même constat du côté de l’offre salée, où les sandwiches désespérément blancs ne parviennent pas à relever l’ensemble. Les formules mises en place allègent virtuellement l’addition mais ne la rendent pas pour autant très digeste.

Faut-il y aller ? On peut affirmer sans crainte que la rue des Martyrs a mieux à nous offrir. Il suffit de faire quelques mètres, redescendre un peu du même côté pour trouver un artisan digne de confiance et proposant des produits de qualité à un prix très juste. Je crois que cette fois, on ira tout simplement voir si l’herbe est plus verte ailleurs…

Il y a des voyages que l’on ne peut pas faire par soi-même, pour diverses raisons. La vie est ainsi faite. Dans certains cas, on peut tout de même en vivre une petite partie, un peu par procuration. Même si l’on n’en profite pas pleinement, on parvient à en capter quelques notes, le fruit d’échanges et de moments de vie.

Dans le cas présent, cela passe par un pain. Un beau pain, d’ailleurs. Pas celui que vous pourriez trouver dans une boulangerie de quartier, réalisé par un artisan peu passionné avec des farines dont il ne connaît même pas l’essence ni la provenance. Non, dans ce pain, tout a une histoire. Les blés, issus de variétés anciennes, le moulin, abandonné puis restauré en 2004, le four à bois, bâti en argile pure ou encore le boulanger, issu d’une reconversion professionnelle…
Au final, il est arrivé ici, en Région Parisienne, après avoir traversé la France. Il s’exprime sur ma table avec toute sa douceur et ses spécificités. C’est à la fois un pain de terroir, inscrit dans un paysage et dans une vraie démarche visant à remettre en avant des blés oubliés, pourtant plus intéressants en terme de saveur et de tolérance par l’organisme (en effet, de plus en plus souvent, le gluten des farines « traditionnelles » est mal toléré), et un pain délicat, raffiné, aux parfums subtils. Sa mie bien alvéolée exprime des notes de miel, de fleurs, avec comme accompagnement une croûte bien marquée et presque fumée. Très peu salé, il reste très discret et accompagne les repas sans trop parler, même si l’on apprécie la tenue de sa mie et sa douceur, cette absence d’acidité assez surprenante de prime abord.

Cette histoire, c’est celle que vivent Roland Feuillas et son épouse à Cucugnan, au sein des « Maîtres de Mon Moulin ». Leur démarche est exigeante, peut-être pourra-t-on la qualifier de « jusqu’au-boutiste », mais elle n’en est pas moins porteuse de sens. En ayant la maîtrise complète de la chaîne (des blés issus de l’Agriculture Biologique à la réalisation du pain dans leur fournil), ils s’assurent et peuvent assurer à leurs clients l’absence totale d’additifs ou autres produits qui ne rentreraient pas naturellement dans la composition des ingrédients mis en oeuvre. Ici, le boulanger est un homme respecté, il fait partie de l’équilibre de « l’écosystème » et entretient la santé de la communauté en lui offrant jour après jour un produit sain, nourrissant le corps et l’esprit. Il partage son travail autant que son amour pour celui-ci.

Certes, il serait difficile de transposer un tel dispositif ici en Ile-de-France, quoique la Seine et Marne dispose toujours de larges espaces dévolus aux terres agricoles, mais nous devons tendre vers ce mouvement, car notre pain est progressivement parti à la dérive. De « super-aliment », il est devenu pauvre et sans vie. Tout cela s’inscrit dans une quête de sens qui doit être celle de chacun dans le cadre de son alimentation. Sans forcément exiger un tel niveau de qualité et de recherche, il est tout à fait possible de tendre vers quelque chose de similaire. Seulement, les enjeux sont alors de grande taille : cela pourrait remettre en cause la mainmise de quelques entreprises puissantes (les meuniers, en l’occurrence) sur le marché et ses orientations. Ils disposent en effet d’un important pouvoir sur les « mélanges » de farines et de blés. Certes, leur travail permet d’assurer à chaque boulanger une plus grande facilité de mise en oeuvre de la farine, mais la boulangerie est avant tout une affaire vivante, et l’on devrait accepter qu’il faille s’adapter en fonction des variations naturelles – et non pas chercher à les dompter.

Bref, comme vous le voyez, ce pain m’inspire. Il me donne envie de voyager, moi aussi, d’aller voir comment on fait ces pains, remplis d’eau, de farine, de sel, de levain et/ou de levure… mais aussi de beaucoup de passion et de sens. Pour le moment, c’est surtout par l’esprit, mais cela changera, sans doute.

Merci à Roland Feuillas pour ce beau cadeau, et à Caroline pour le transport ainsi que les belles images et pensées.

J’aimerais parfois savoir ce qui inspire les artisans pour le nom de leur boulangerie, peut-être leurs épouses, leurs muses, leurs aspirations diverses… l’emplacement de la boutique, parfois. En réalité, la question de fond demeure pour moi de savoir s’il est bien nécessaire de donner un nom à sa boutique, ou s’il n’est pas mieux d’afficher simplement le patronyme du boulanger.

Patrick Desgranges a pris le parti de nommer sa boulangerie, en l’occurence « La Badine de Martine ». Je ne sais pas bien qui est Martine, mais en tout cas, c’est elle qui semble mener la boutique à la baguette… ou à la badine, puisqu’il s’agit d’une fine baguette. Trêve de plaisanteries, le plus important est à l’intérieur, dans cette petite boulangerie aux tons verts et bordeaux installée non loin du marché d’Aligre, dans cette zone qui est certainement l’une des plus vivantes du 12è arrondissement.

En entrant ici, ce n’est pas le caractère plutôt contigu de la file d’attente qui nous frappe, mais plutôt la très belle gamme de pains développée par l’artisan. En effet, on trouve autant des produits traditionnels (pains aux céréales, au seigle, complet…) que des variations moins fréquentes et dignes d’intérêt. Farine de châtaigne, de maïs, de Kamut, d’Epeautre, de Sarrasin, divers pains biologiques… Tout y passe, pour notre plus grand plaisir, puisque l’on peut prendre le loisir de varier les saveurs au fil des jours. Au delà de variété, il faut que la qualité soit au rendez-vous, et c’est bien le cas. Les façonnages et les cuissons sont généralement bien réalisés, même si quelques exceptions subsistent toujours. Les pains réalisés sur levain expriment une acidité assez présente, mais loin d’être désagréable, puisqu’elle s’accompagne d’un beau bouquet aromatique. Il en est de même pour la baguette de tradition, réalisée à partir d’une farine Label Rouge Bagatelle. Elle offre en effet de belles notes de noisette, une croûte craquante et une mie bien alvéolée. On pourra cependant lui reprocher d’être un peu sèche.
Sur le plan de la conservation, rien à signaler, les pains demeurent en bonne forme assez longtemps, que ce soit pour la baguette ou les pains spéciaux. Ces derniers sont tout aussi intéressants le lendemain, car ils expriment des arômes différents.

Les viennoiseries, elles aussi réalisées à partir de farine Bagatelle (type T45), sont de bonne facture et elles présentent de belles cuissons. Côté pâtisseries, M. Desgranges nous propose des produits simples et classiques, entre tartes fines aux fruits et pâtes à choux, honnêtes sans que leur réalisation soit exceptionnelle. Même constat pour les produits salés, dont la vente est réalisée au travers d’un comptoir donnant sur la rue, ce qui est assez pratique.

L’accueil est malheureusement assez irrégulier, parfois un peu dans la lune, parfois très agréable ou beaucoup moins chaleureux. Tout dépend de la personne, de l’heure et de l’humeur. Il est dommage de constater de telles disparités. Les produits ne sont pas forcément tous maîtrisés comme ils devraient l’être, le personnel de vente ne semblant pas impliqué comme il devrait l’être autour des spécificités de chaque pain.

Infos pratiques

74 rue Crozatier – 75012 Paris (métro Ledru Rollin ou Faidherbe-Chaligny, ligne 8) / tél : 01 44 73 91 36

Avis résumé

Pain ? Belle et large gamme de pains, aux croûtes généralement bien dorées et aux façonnages assez soignés. Les saveurs sont bien présentes, tout comme une certaine acidité pour les pains réalisés sur levain (les pains biologiques, notamment), sans que cela soit incontrôlé ou désagréable. La baguette de tradition, réalisée à partir de farine Bagatelle Label Rouge, est de bon niveau, avec une croûte fine et craquante, une mie bien alvéolée et de belles notes de noisette. On pourra cependant regretter le fait qu’elle soit un peu sèche.
Le seul problème de la largeur de la gamme peut être la fraicheur de chacun des pains, vu qu’il est difficile de faire en sorte que tous soient produits et achetés au fil de la journée. Cependant, grâce à une bonne conservation, ceux-ci demeurent agréables à la dégustation malgré le temps qui passe, et ce même le lendemain ou le surlendemain.
Accueil ? Assez irrégulier, parfois charmant, parfois lunatique… Difficile de se faire une idée précise, car cela semble très dépendant de la personne que l’on a en face. Dommage que la maison ne soit pas parvenue à créer un ensemble cohérent et assurant un service régulier à la clientèle.
Le reste ? Les viennoiseries sont de bonne facture, tout comme les diverses tartes sucrées proposées par cette boulangerie. Les pâtisseries ont le bon goût de rester simples, sans caractère exceptionnel mais très honnêtes. Le salé ne laissera pas forcément un souvenir impérissable, mais là encore, les produits sont frais et accessibles.

Faut-il y aller ? Pour découvrir le large éventail de pains proposé par M. Desgranges, sans aucun doute ! Les amateurs de variété seront satisfaits, et ils pourront découvrir diverses farines (châtaigne, épeautre, Kamut, …) sans pour autant se ruiner car les tarifs demeurent très raisonnables. Seul point négatif, l’accueil assez irrégulier, et le manque de cuisson parfois observé sur certains pains.

Le painrisien n’a pas vocation à être un blog traitant de sujets politiques, bien que je sois convaincu que le pain, sa qualité et son avenir portent de forts enjeux qui devront être considérés sérieusement par les pouvoirs publics. Pour autant, il y a des actualités et des projets de lois bien trop graves et potentiellement dangereux pour que l’on passe dessus sans s’arrêter.

Le 8 juillet, le Sénat a approuvé la proposition de loi sur le Certificat d’Obtention Végétale. Que se cache-t-il derrière ce nom obscur au premier abord ? C’est une sorte de propriété industrielle sur les plantes cultivées, permettant de garantir au développent d’une nouvelle variété l’exclusivité pour la vente des semences.
Le projet en question visait à augmenter la portée de cette mesure, puisque les récoltes et donc les nouvelles semences qui en sont issues seraient alors concernées. En clair, les agriculteurs n’auraient plus le droit de réutiliser une partie de leur récolte pour réaliser de nouvelles plantations, ou alors en échange du versement de royalties aux industriels, notamment dans le cas du blé.
Egalement, il ne serait plus possible pour les paysans de commercialiser les semences issues de leurs champs, seules les grandes firmes disposeraient de ce droit.

Au travers d’une telle mesure, c’est le droit ancestral des paysans de ressemer et d’échanger librement leurs semences qui est remis en cause. Autant dire que l’on confisque tout simplement le vivant pour le remettre en pâture à des entreprises dont la bienfaisance est loin d’avoir été prouvée -bien au contraire-.

Cela remet également en cause l’ensemble de la réapparition de variétés de blé anciennes, qui sont pourtant une véritable chance pour le développement d’un pain plus qualitatif et savoureux : il n’y a qu’à voir ce que savent proposer les paysans-boulangers, de véritables trésors d’arômes et surtout… de sens. Nous ne devons pas chercher à uniformiser les farines et les blés, mais bien au contraire à les laisser s’exprimer car c’est ainsi qu’ils seront à même de nous offrir un aliment sain et mieux toléré par nos organismes (notamment en ce qui concerne le gluten, de plus en plus sujet à des allergies).

Malgré la mobilisation, le texte a été voté hier soir, en plus de l’annulation de l’interdiction du maïs OGM Monsanto le même jour. Autant dire que ce lundi 28 novembre 2011 restera un jour noir dans l’histoire de l’agriculture en France…
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à sanctionner tout ceci dans les urnes et à faire les choix qui s’imposent. Il est inacceptable que la biodiversité soit bafouée de cette façon, que nos politiques laissent tant de pouvoir à des firmes privées. L’opinion publique doit être mobilisée, sensibilisée à ce sujet. Puisse cet appel être entendu…

Plus d’informations sur http://www.semonslabiodiversite.com/

Je passe mon temps à combattre mes propres habitudes. Vous savez, toutes ces choses qui vous font répéter jour après jour les mêmes actions, voir les mêmes endroits, manger les mêmes produits. Au bout d’un moment, la tristesse et la routine s’installent. C’est insidieux.

Dans le cas présent, je vais loin en parlant de tristesse car c’est toujours un plaisir que d’aller acheter du pain chez Gontran Cherrier, car c’est souvent ce que je vais faire à Montmartre, et c’est ainsi que j’en oublie de rendre visite aux autres artisans installés dans ce secteur. Ainsi, il m’arrive de passer devant la boutique de Jacques Laurent et de me dire « oh, je vais acheter du pain un peu plus bas, finalement ». Les habitudes. Je parviens toutefois à les rompre, et c’est ce qui me permet d’écrire le billet du jour.

Perché dans les hauteurs de Montmartre, Jacques Laurent est installé avec sa femme -en charge de la boutique- dans cette sympathique boulangerie d’angle où la clientèle locale se presse, tout particulièrement les week-ends et en fin de journée.
On dit souvent que Montmartre a des allures de village, avec ses ruelles, sa verdure, son caractère si romantique et un peu hors de l’agitation parisienne… De fait, quoi de plus normal que de trouver dans cette boulangerie une Villageoise, bien installée sur son présentoir ? Elle se présente à nous le plus simplement du monde, bien droite et fière. Cette baguette de tradition est réalisée sur poolish, qui est une sorte de « levain sur levure », un mélange d’eau, de farine et de levure que l’artisan laisse ici fermenter 12 heures avant de préparer sa fournée. Cela procure au pain une meilleure conservation et lui permet de développer plus d’arômes. En l’occurrence, le résultat est plutôt probant, puisque la baguette de Jacques Laurent offre de belles notes de noisette, une croûte assez présente et croquante, ainsi qu’une mie douce et soyeuse, bien que relativement peu alvéolée. Sa conservation est plutôt bonne, sa mie restant fraîche au fil des heures, même si la croûte perd bien entendu de son croquant.

Afin que la Villegeoise ne se sente pas trop seule, le boulanger propose d’autres baguettes, telles que la « Belle Arôme » (réalisée à partir de farine de sarrasin et de levain déshydraté), l’Ambrée, ainsi que d’autres créations incluant diverses céréales. Ces « baguettes spéciales » correspondent à une gamme développée par le meunier fournissant Jacques Laurent. Je vous avoue ne pas être un grand amateur de ce type de recettes, sur lesquelles l’artisan peut parfois se reposer, même si dans le cas présent le résultat est de qualité. L’ensemble de la gamme affiche de belles cuissons, bien que parfois un peu courte sur les baguettes de tradition. On trouve également quelques pains réalisés à partir de farines biologiques, en plus des habituels bâtards ou pavés aux graines et autres céréales. Les façonnages sont élégants, le grignage bien marqué, preuve du soin porté lors de la réalisation des produits.

Pour les becs sucrés, la maison propose des viennoiseries de bonne facture, bien que parfois un peu malmenées en milieu d’après-midi. Les pâtisseries jouent dans le domaine du classique, elles s’offrent à nous avec honnêteté même si leur finesse reste toute relative. L’offre salée s’inscrit dans le même registre, réalisée avec sérieux et tradition.

L’accueil est efficace, souriant et professionnel, même si parfois un peu empressé du fait de l’affluence. Les produits sont bien maîtrisés et les questions posées à leur sujet répondues sans peine. On regrettera cependant des détails plutôt désagréables, comme des pâtisseries saisies à pleines mains sans plus de précaution ni de préoccupation quant aux règles d’hygiène.

Infos pratiques

63 rue Caulaincourt – 75018 Paris (métro Lamarck-Caulaincourt, ligne 12) / tél : 01 42 64 56 11
ouvert du samedi au mercredi de 7h30 à 20h.

Avis résumé

Pain ? La baguette de tradition – nommée ici Villageoise – exprime son propre caractère, au travers de belles notes de noisette, d’une croûte assez présente et croquante et d’une mie douce et soyeuse. Le travail sur poolish dont elle est issue n’y est pas étranger, tout comme pour sa conservation, qui est de bon niveau. On trouve également diverses baguettes aromatiques, issues d’une gamme développée par le meunier de Jacques Laurent, ainsi que des pains Biologiques et aux graines diverses. Les cuissons sont généralement bien abouties, parfois un peu courtes sur les baguettes, et les façonnages soignés.
Accueil ? Souriant, efficace, professionnel, même si l’empressement et la volonté de servir la clientèle au plus vite prend parfois le pas sur la courtoisie. Cependant, on se sent bien dans cette boutique où l’on retrouve un grand nombre d’habitués. Cette ambiance agréable est renforcée par l’aménagement de la boutique, à la fois simple, moderne et élégant, avec vue sur le fournil.
Le reste ? Les viennoiseries sont de bonne facture, les pâtisseries s’inscrivent dans la tradition, sans plus de finesse ou de recherche. L’offre salée est en cohérence avec le reste des produits, simple et honnête.

Faut-il y aller ? La boulangerie Laurent est une adresse tout à fait recommandable, bien connue des habitants du quartier. On y trouve des produits de qualité, réalisés avec soin. On regrettera cependant le fait que les pains spéciaux soient issus de la gamme développée par le meunier fournissant l’artisan, car il exécute alors une recette déjà établie, sans plus de réflexion ni d’apport « personnel ». L’ensemble est réalisé dans un esprit très traditionnel. Seule ombre majeure au tableau à mon sens, le soin porté aux produits les plus fragiles, telles que les viennoiseries ou les pâtisseries, parfois un peu malmenées.

C’est aussi ça la vie, se tromper, faire des erreurs et parfois aller un peu vite en besogne, oublier que nous sommes tous humains et que nous avons tous des jours ‘sans’. Bien sur, il faut tout faire pour qu’il y en ait le moins possible, essayer de délivrer un travail de qualité au quotidien. J’applique cette exigence autant à moi même qu’aux autres, bien entendu.

De la courte (à peine 6 mois !) vie du painrisien, peu d’articles avaient suscité autant d' »émotion ». En effet, suite à la publication de mon billet au sujet de la boulangerie de Michel Fabre, à Alfortville, les réactions ont été nombreuses et parfois assez vives. Je peux le comprendre, sans le blâmer d’ailleurs, puisque mon article était loin d’être nuancé, bien au contraire. Tranché, incisif, voilà deux adjectifs qui le qualifieraient assez bien.
Je dois reconnaître mon erreur méthodologique et mon manque de clairvoyance. Non pas que je souhaite remettre en question la réalité de la prestation que j’ai pu connaître ce jour là en tant que client, car elle est tout ce qu’il y a de plus vraie et malheureuse. Simplement, il faut aussi savoir accepter le fait que tout travail artisanal est soumis à des aléas, et qu’il est impossible de proposer à toute heure et toute l’année des produits exceptionnels. Certes, les écarts ne sont généralement pas si importants, et le problème rencontré avec la boule Bio dégustée ce jour-là restera le point qui m’avait réellement déçu – et provoqué cette critique.

En plus des réactions de la part de clients de la boutique, j’ai également pu discuter avec le chef boulanger des lieux, au cours d’un échange tout à fait constructif et intéressant. Alors que certains s’offusquent et se braquent dès lors que leur travail est critiqué, j’ai bien senti ici que mes remarques avaient autant peiné qu’interrogé Michel Fabre et son personnel. Au cours de notre discussion, j’ai appris que la qualité de la farine reçue dans leur fournil était très aléatoire, ce qui nécessitait un travail permanent d’adaptation des recettes (taux d’hydratation, pétrissage…) pour parvenir à un résultat probant. Dommage que la farine Biologique des Moulins de Brasseuil ne soit pas d’une qualité constante. Cela n’explique pas tout, bien sûr, puisque les cuissons, la qualité de l’accueil et les autres produits restent toujours la responsabilité de l’artisan.

Je parlais précédemment d’erreur méthodologique, car c’est bien ce qui s’est produit ici. Prendre le parti de rester sur une seule expérience négative et d’écrire sur celle-ci était certainement une forme d’empressement, qui ne profite à personne. J’ai bien conscience que mes écrits peuvent avoir des conséquences, et c’est pour cela que j’essaie de les rendre toujours plus mesurés et justes.
Ainsi, à la suite de ces « événements », j’ai souhaité re-tester les produits de cette boulangerie, la qualité de son accueil, mais surtout la régularité de ces points. J’y suis retourné, puis re-retourné.

A l’inverse de ma première expérience, les cuissons étaient à chaque fois bien abouties, les pains affichant de belles croûtes dorées. Une fois le produit en mains, on peut confirmer la qualité de sa réalisation, avec un croustillant très agréable et une bonne tenue des différents pains. A la dégustation, ces impressions se confirment, les mies sont bien alvéolées, légères et exprimant une douce acidité. Peut-être un peu trop de douceur du côté des arômes à mon goût, justement, mais il faut prendre en compte le fait que cela répond à une certaine demande de la clientèle du secteur, comme me l’indiquait leur chef boulanger à l’occasion de notre conversation. Certes, Michel Fabre et son équipe pourraient prendre le parti d' »éduquer » le consommateur, mais ce n’est pas toujours compatible avec des impératifs économiques, ce qui est tout à fait regrettable.
La baguette de tradition Biologique, proposée à seulement 1 euro, offre une excellente conservation, une mâche fraîche et agréable et un bon rapport entre présence de la croûte et douceur légèrement grasse de la mie. Un beau produit accessible, voilà ce que doit être le pain de tradition française.

Du côté des viennoiseries, il m’a été assuré qu’elles n’étaient pas surgelées comme j’avais pu le laisser entendre dans mon billet précédent. La boulangerie emploie en effet un tourier, visiblement plus que consciencieux, qui attache une grande importance à la régularité du façonnage de ses croissants. La pâte feuilletée, c’est toute une histoire chez Michel Fabre, très connu et réputé pour ses galettes des rois en saison. Nul doute qu’il faudra aller les essayer pour s’en assurer une fois encore !

Pour les pâtisseries, les écarts constatés dans la finition lors de mon premier passage n’ont pas été renouvelés. Au contraire, on trouve ici des classiques (religieuses, millefeuilles, tartes…) frais et bien finis, ainsi que des créations de bon goût. Je regretterai cependant un certain manque de respect dans la saisonnalité des fruits, puisque l’on trouve toujours des tartes aux fraises et fraisiers en vitrine, alors que nous sommes au mois de décembre. Cela est malheureusement de plus en plus fréquent, et même si cela répond à une certaine demande de la clientèle, je pense qu’il serait préférable de s’abstenir, quitte à en décevoir. La nature a des cycles qu’il faut accepter.

Je finirai sur l’accueil, qui a été très professionnel et chaleureux lors de mes nouvelles visites. J’ai pu sentir une belle proximité avec la clientèle de quartier, ce qui est certainement plus souvent le cas en banlieue que sur Paris, où les échanges sont plus courts et empressés. A Alfortville, il faut savoir composer avec des typologies de clientèle assez variées, et notamment des personnes âgées qui ont besoin d’être « accompagnées ». Il me serait possible de faire du mauvais esprit en attribuant le bon accueil et le traitement agréable que j’ai reçu au fait que j’ai été reconnu – car je sais que c’est le cas. Ce serait bien inutile et malvenu.

Au final, c’est donc une boulangerie sérieuse, tenue par un personnel impliqué et ouvert que j’ai pu découvrir. Même si la gamme de pain demeure très traditionnelle, elle est bien réalisée et les prix sont tout particulièrement accessibles. Il en est de même pour les autres produits, et ce d’autant plus quand on porte attention à l’offre alentour, plus que moyenne en terme de qualité.
Cette « expérience » fait avancer les choses… et me prouve bien qu’il est nécessaire d’être mesuré et prudent. Nous sommes tous des artisans.