Billets d'humeur

01
Mar

2012

Mon pain. Ma mie. Ma muse.

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1 mars 2012. Temps brumeux. Le jour s’est levé lentement, j’ai vaincu la nuit dans une course effrénée, autant contre elle que contre moi-même. Profondes turpitudes de l’âme au réveil.
Cette journée sera sans doute comme beaucoup d’autres. Une course. Une course après le pain. Je suis painrisien, après tout. Je cherche la mie, l’ami. Le pain ne serait-il pas qu’une excuse, après tout, la forme concrète d’un besoin beaucoup plus profond et sensible. Ne recherche-t-on pas dans la douceur chaude de la mie le réconfort apporté par la mère à son enfant, ce confort et cette simplicité que l’on aimerait ne jamais quitter ? L’amour, comme celui qu’a versé l’artisan dans sa pâte, cette fameuse matière tiède, dans laquelle on ne saurait retrouver seulement de l’eau, du sel, de la farine, du levain et/ou de la levure… Non, il y a aussi de la vie. La vie qui nous rapproche ou nous éloigne de toutes ces choses simples qui devraient éclairer notre quotidien.

Je regarde ces pains, ces artisans oeuvrer, cela m’inspire, et dans un sens me rend meilleur : j’ai moi aussi envie de partager, de créer, de me dépasser pour faire en sorte que tout ce savoir-faire soit valorisé, reconnu. Le bon pain est encore meilleur si on le partage.
Alors je reprends ma course. Je marche, je marche, je ne m’arrête pas. Je romps les croûtes, caresse les mies, j’écris, je réécris, je goûte, je regoûte. C’est autant un éternel recommencement qu’un nouveau départ, autant une tâche répétitive qu’un émerveillement quotidien. Parfois c’est agréable, le pain est bon, l’esprit est là. Parfois ça l’est beaucoup moins, rien ne se passe, quelque chose s’est perdu. La vie, peut-être, l’envie, au moins.

Je cours toujours. Après cette muse. Elle m’amuse, m’abuse. J’aimerais pouvoir l’atteindre autant qu’elle me touche, la décrire, en cerner les contours. Peut-être est-ce cette miche de pain que j’aperçois dans cette vitrine, peut-être est-ce cette baguette au fond d’une panière… Comment savoir. Je m’y perds et m’y retrouve, puisque c’est cette question, cette quête, qui doit parvenir à m’accomplir. Sans questionnement, pas d’avenir, pas de vie.
Le problème est récurrent et central : pour quoi sommes-nous faits, à quoi sommes-nous destinés ? Nous passons notre existence à y répondre, plus ou moins bien. Après tout, nous sommes humains, parfaitement imparfaits. Tout comme le pain : chaque jour qui passe le fait différent, plus ou moins hydraté, plus ou moins réussi. Il vit autant qu’il fait vivre.

Cela pourrait être simple, naturel, comme un parcours fluvial sur un canal, mais non, sur ce chemin tout est assez compliqué, torturé. Peut-être est-ce ainsi que cela doit être, mais le risque est de finir par être lassé, de perdre l’envie, de ne plus être attiré par cette fameuse muse. Il faut trouver des moyens de renouveler ses plaisirs, rencontrer de nouvelles mies, de nouveaux amis. Repartir chaque matin avec un oeil vif, juste vivant. Courir, toujours courir, en fait. Toujours sans savoir après quoi, peut-être après les autres, peut-être après soi-même. C’est aussi pour cela que j’aime le pain : il possède une force d’évocation quasi-universelle. Pourquoi n’offrirait-on pas une miche pour fêter un anniversaire ? Pour remercier ses hôtes à un diner ? Trop simple, trop commun, trop quotidien. Pourtant, c’est là que tout se joue. Dans la vie.

Au final, je finis par cerner les contours de cet idéal, de cette envie. Je ne me cherche pas tant que ça, je ne cherche pas le meilleur des pains, je ne cherche pas les goûts les plus marqués… Non. Ce qui importe, c’est l’humain, l’autre, la muse, l’envie… La vie, en bref. Peut-être y perdrai-je, peut-être m’y perdrai-je… mais j’aurais essayé, au moins. C’est le moins que je puisse faire.

Chaque jour, les boulangers font un travail comparable à celui des musiciens. Ils jouent une partition, suivent des recettes et tâchent de faire en sorte que cela donne un résultat harmonieux, qui soit agréable en bouche, tout comme la musique à l’oreille. Il arrive qu’il y ait quelques fausses notes, bien sûr, parfois il faut revoir ses gammes et jouer dans d’autres répertoires… On peut être bon ou mauvais boulanger autant que musicien. Il en est ainsi pour tous les métiers d’art et d’artisanat.

Dans le 16è arrondissement, l’avenue Mozart est une occasion rêvée pour les propriétaires de boutiques. En effet, elle leur donne une belle source d’inspiration pour le nom de leurs échoppes, qui tournent souvent autour d’un univers très musical. La boulangerie « A la Flûte Enchantée » n’y échappe pas et s’est mise au diapason.
Dans ce lieu, ouvert par Olivier Raybaud il y a plus de 10 ans, il est possible de déguster les produits sur place, grâce à une petite partie Salon de Thé. Le décor n’est pas particulièrement contemporain, on évolue dans un cadre pris entre rose et brillant, quelque chose de très traditionnel et commun dans ce quartier de Paris. Néanmoins, l’ensemble est bien tenu, les vitrines sont très propres et on sent un grand sérieux dans cette boulangerie.

Ce sérieux se retrouve du côté des pains, réalisés à partir d’une farine des Moulins Bourgeois. La baguette de tradition – certes tarifée à 1,30 euros, mais rien de surprenant dans le secteur – est tout à fait honorable : elle affiche une belle croûte dorée, un façonnage plutôt soigné et est agréablement craquante. Côté saveurs, nous sommes bien dans le domaine de la tradition, au travers d’un doux parfum de froment.
Quelques pains spéciaux apportent un peu d’originalité dans la boutique, comme le pain de la forêt noire – riche en graines et céréales, à la mie sombre et à la croûte épaisse, mais aussi diverses baguettes réalisées à partir de mélanges de farines. Les plus gourmands seront satisfaits par le « bun’s », un petit pain incorporant miel et fruits secs. Belle tourte de seigle également.

Pour les becs sucrés, la musique se prolonge avec un rayon pâtisserie très traditionnel, entre tartes aux fruits (malheureusement pas tous de saison, on retrouve notamment des framboises), tropézienne en vedette, fraisiers (en février, snif) et différents entremets au chocolat ou aux fruits (comme ce simili-Ispahan). Finitions soignées là encore, pour des gâteaux tout à fait honnêtes. Les viennoiseries suivent le même chemin, avec des croissants et pains aux chocolats de bonne facture. Le reste est un peu moins intéressant, même si l’on se laissera aisément tenter par l’une des gourmandises traditionnelles proposées par cette boulangerie (tuiles aux amandes, cakes…).

Côté salé, l’offre est assez variée, dépassant le cadre de la simple proposition boulangère. On retrouve en effet des plats chauds ou des salades, sans intérêt particulier. A cela viennent s’ajouter les habituels sandwiches, pizzas et quiches, très traditionnels. Pas de fantaisie ici, les classiques sont exécutés mais nous ne sommes pas en présence d’un chef d’oeuvre qui jouerait une symphonie lors de la dégustation. Néanmoins, on appréciera le côté pratique apporté par les tables et chaises du salon de thé, permettant de s’asseoir un peu, le temps d’une pause.

Le service est dynamique, souriant et les produits sont bien maîtrisés. Les sections traiteur et boulangerie/pâtisserie sont séparées, ce qui est plutôt bien vu, car cela permet aux clients « pain » de continuer à être servis rapidement au déjeuner.

Infos pratiques

Avis résumé

Pain ? La gamme de pains est réalisée avec sérieux, les croûtes sont bien dorées, signe de cuissons menées à leur terme. La baguette de tradition s’en sort honorablement, craquante et plutôt savoureuse. Le plus intéressant se situe sans doute du côté des pains et baguettes spéciaux, comme avec ce pain de la forêt noire, riche en graines, avec sa mie sombre et sa croûte bien épaisse. Notons également la présence d’une belle tourte de seigle et de diverses baguettes (mélanges de farines, céréales…), ainsi que de petits pains spéciaux. Les tarifs restent dans une moyenne acceptable compte tenu du quartier, la baguette de tradition est certes proposée à 1,30 euros les 250g, mais les pains spéciaux – dont la plupart sont vendus au poids – restent dans le domaine du raisonnable.
Accueil ? Jeune, dynamique et souriant. Les questions au sujet des produits sont répondues sans difficulté, et la séparation mise en place entre le service « traiteur » et le reste des produits permet d’assurer la fluidité de l’ensemble.
Le reste ? Les pâtisseries s’inscrivent dans le registre de la tradition, entre tartes, babas, éclairs, tropéziennes et entremets au chocolat ou aux fruits. Le tout est plutôt soigné et les becs sucrés trouveront de quoi satisfaire leurs appétits. Croissants et pains au chocolat sont à l’avenant, tout comme les quelques gourmandises parsemées dans la boutique (tuiles aux amandes, cakes…). Le reste est moins intéressant, à l’image de l’offre traiteur, sans grand attrait. Le cadre n’est pas très chaleureux, très « seizième » et traditionnel, mais on appréciera les quelques tables disposées dans l’espace salon de thé, permettant de prendre une petite pause en cours de journée.

Faut-il y aller ? Sans nous offrir un concert d’exception, la boulangerie A la Flûte Enchantée est une maison bien tenue, offrant une certaine cohérence au sein de ses diverses gammes de produits. Une bonne adresse pour le quartier, inscrite dans une tradition de qualité, aux finitions soignées.

Un pain spécial se créé, se réfléchit, s’imagine. Certes, on peut retrouver dans les vitrines de quelques artisans des créations différentes chaque jour, mais je ne suis pas persuadé qu’elles présentent des équilibres particulièrement réussis du fait du temps pris pour leur élaboration. En effet, il est important de trouver des accords de saveurs, de textures, de mettre en place une recette précise faisant suite à nombre d’essais et de dégustations. Laisser du temps au temps, en définitive, car c’est ainsi que l’on parvient à faire du bon pain… et plus généralement, de bonnes choses.

Chez Gontran Cherrier, on a bien compris tout cela et les nouveaux pains n’apparaissent pas tous les jours, mais plutôt au fil du temps et de la créativité de notre artisan. A chaque fois, on sent que les produits ont été réfléchis en amont et qu’ils ne sont pas le fruit du hasard. C’est ainsi avec plaisir qu’on les découvre, comme cette surprenante baguette à l’encre de Seiche et aux Graines de Nigelle il y a quelques semaines, et aujourd’hui un pain aux Cranberries et aux Amandes.

Les Cranberries, canneberges ou airelles, ces petites baies rouges, sont particulièrement en vogue car elles appartiennent à la fameuse famille des « superfruits », dotés de nombreuses vertus. Dans le cas présent, c’est principalement sa forte teneur en Vitamine C qui est reconnue.
En l’incorporant à ce pain, Gontran Cherrier en a fait un de ces « pains santé », tout en gardant ce côté gourmand qui le caractérise par la présence des amandes. Je dois dire que j’ai souvent été déçu par ce fruit, qui a du mal à exprimer beaucoup de saveurs. Cela dépend en réalité des origines et de la qualité du produit utilisé. Ici, rien à signaler, les baies ne sont pas complètement insipides, même si elles demeurent très douces. Elles apportent principalement un côté acidulé à ce pain, en plus de notes sucrées et fondantes.
A côté, les amandes jouent sur le registre du croquant et de l’amer. L’association de ces deux composants est bien trouvée, puisque la dégustation s’articule ainsi entre ces différentes sensations, avec un caractère ludique et gourmand. Les deux composants sont présents de façon généreuse. On l’appréciera particulièrement au petit-déjeuner ou bien au goûter, généralement seul puisqu’il se suffit à lui même. Une saine gourmandise, en définitive.

Ce qui différencie ce pain d’une création qui aurait été mise au point en seulement quelques heures, c’est l’harmonie qui s’en dégage. Non seulement les saveurs et sensations se complètent, mais elles sont accompagnées par une mie bien moelleuse, douce et bien hydratée, qui ne dénote pas avec le reste et parvient à assurer un ensemble d’une belle cohérence. La croûte n’est pas extrêmement présente, pour deux raisons : tout d’abord, nous sommes en présence de grosses pièces, découpées à la demande du client et vendues au poids, ce qui a pour effet logique de créer un rapport mie / croûte en faveur de la première, de plus, elle n’est pas très épaisse. Bien sûr, elle n’en apporte pas moins quelques notes caramélisées, et est parsemée de fruits quasi-torréfiés par la cuisson directe subie au four. Rien à redire côté conservation, ce type de format a de toute façon tendance à bien vieillir, à l’inverse des petites pièces.

Voici donc un produit bien en phase avec le reste de la gamme proposée chez cet artisan, qui défend bien son caractère de « boulanger gourmand ». Cette démarche est particulièrement appréciable, puisqu’elle donne toujours naissance à des produits aux saveurs marquées et aux accords intéressants. On aimerait retrouver cette créativité dans plus de boulangeries. Autre nouveauté apparue ces derniers jours, le pain melon, une sorte de petite brioche venue tout droit d’Asie, où Gontran Cherrier projette de s’installer dans les tous prochains mois. Cela pourrait peut-être marquer le début d’une série de pains très japonisants, d’ailleurs, qui sait ? L’avenir nous le dira, mais dans l’immédiat, on se contentera bien de cette création cranberries-amandes, entre croquant et fondant, acidulé et amer… une vraie symphonie gourmande !

Pain Cranberries-Amandes, Gontran Cherrier – Paris 18è, vendu au poids au prix de 10,50 euros le kilogramme, uniquement au sein de la boulangerie du 22 rue Caulaincourt.

Paris manque souvent de verdure, de rêve, de lieux de détente. Certes, on compte quelques parcs, de tailles diverses, mais cela demeure quelques îlots de paix dans un monde de bruit, de mouvement perpétuel. Difficile de s’échapper du quotidien et de ce marasme qui peut finir par nous broyer si on y accorde trop d’importance. Pour les parisiens, dont je ne suis pas et dont j’aurais du mal à être, il est essentiel de trouver des moyens de couper un peu avec tout cela.

Cela peut passer par des choses toutes simples. Un peu de shopping, un peu de rêverie, se laisser aller. Pour cela, le quartier des Abbesses est certainement l’un des mieux indiqués, avec son caractère encore un peu villageois. De plus, on parvient encore à y trouver des adresses authentiques, proposant de beaux et bons produits. Parmi elles, l’épicerie Lion, « depuis 1895 » dans le 12è arrondissement et à présent sur la place des Abbesses. Lorsqu’arrivent les beaux jours, la lumière remplit cette superbe boutique d’angle et éclaire les plantes qui nous accueillent dès notre entrée. En effet, cette boutique n’est pas seulement une épicerie traditionnelle : elle propose également des graines et plantes. Fleurs, herbes aromatiques, légumes, … Tout y passe. Autant d’occasions de remplir un appartement ou une maison de verdure et ainsi échapper un peu au gris parisien. Parmi les semences proposées, les graines anciennes de l’association Kokopelli, une belle initiative car cette association a bien besoin de soutiens, au vu des problèmes qu’elle rencontre avec la justice (même si une issue favorable pourrait se dessiner à terme).

Ici, on a en effet le souci du beau, mais aussi du bon. Les produits sont sélectionnés avec le plus grand soin, une part belle est faite aux plus naturels d’entre eux (biologiques, notamment, mais également d’autres filières respectueuses de l’environnement et du vivant). On retrouve ainsi des produits créés par des marques reconnues, telles que les pâtes Cornand, des épices de chez Olivier Roellinger, des infusions et thés du Palais des thés… mais aussi beaucoup de mélanges et sélections maison, tels que des kits à riz au lait, crèmes parfumées ou autres éclats de biscuits divers. Les créateurs du lieu, Sophie et Philippe, ont beaucoup travaillé sur leurs gammes de produits et cela se sent. Pour ces entrepreneurs issus de parcours en reconversion professionnel, l’essentiel était de partager leur gourmandise avec la clientèle et ainsi redonner vie à ce lieu chargé d’histoire, puisque l’on se trouve bien dans une épicerie abandonnée à laquelle les deux compères sont parvenus à insuffler un vrai souffle de vie, tout en gardant un superbe charme un peu désuet, que l’on retrouve au travers de ces pots remplis de fruits confits, bonbons et autres douceurs.

On notera également les très beaux objets de décoration dont recèle la boutique, comme ces bols peints qui parsèment les étagères du lieu. Tout cela est très coloré, varié et qualitatif. La gourmandise est de mise, avec notamment une sélection de cakes, dont certains proviennent directement de chez Gontran Cherrier, dont la boulangerie se situe à quelques centaines de mètres. C’est bien vu, car cela montre une volonté de s’intégrer dans une communauté locale et de ne pas chercher des produits à l’autre bout de la planète si l’on en dispose à portée de main.

Pour ne rien gâcher, notre visite est accompagnée par des conseils avisés et un personnel bien formé sur les produits vendus au sein de la boutique, ce qui est d’autant plus important compte tenu du choix proposé en ces murs.

Infos pratiques

7 rue des Abbesses – 75018 Paris (métro Abbesses, ligne 12) / tél : 01 46 06 64 71
ouvert du mardi au samedi de 10h30 à 20h, le dimanche de 11h à 19h.

Faut-il y aller ? Pour se distraire, découvrir, faire germer des idées de décoration et d’aménagement, faire le plein de produits gourmands et que sais-je encore… Oui, bien sûr ! Cette épicerie-graineterie regorge d’idées bien pensées et de produits de première qualité qui pourront satisfaire tous les besoins. Bien entendu, comme souvent, le revers de la médaille se situe du côté des prix, qui demeurent relativement élevés.

Parfois je me dis que je suis parti en croisade, un peu à la façon des explorateurs en leur temps. Ma quête, mon objectif ? Trouver le bon, le beau, l’accessible et surtout l’authentique. Au final, ça n’est pas si facile de parvenir à réunir ces différents éléments , car on finit souvent par perdre l’un ou l’autre en cours de route. C’est assez humain, au final : on cherche à faire trop sophistiqué, on oublie la simplicité, on prend quelques grands airs…

Rien de tout cela chez Carl Marletti, qui parvient à garder, malgré le temps qui passe et le succès rencontré par sa petite boutique de la rue Censier, un caractère authentique, une accessibilité autant humaine qu’en terme de produits, et surtout à proposer des douceurs savoureuses et simples à sa clientèle.
Quand on regarde sa vitrine, on peut sentir une certaine volonté d’élever les pâtisseries au rang de bijoux – au travers de détails tels que les feuilles d’argent ou les perles de sucre – tout en demeurant sobre et à l’écart des excès de recherche très parisiens.

La pâtisserie est une discipline vivante, je ne le rappellerai jamais assez. Il est impossible de chercher à la rendre complètement aseptisée, lisse et uniforme. Au contraire, si l’on a cette volonté, on parvient à un résultat beaucoup moins savoureux et intéressant. Cela passe souvent par l’utilisation de colorants, d’arômes, de machines permettant de dresser avec une grande précision les différents constituants de chaque pièce… Ce qui, au final, revient à réduire la valeur ajoutée que peut avoir l’humain dans la réalisation du produit. Cela se retrouve tout à fait sur les macarons, dont la réalisation est souvent automatisée à présent, ce qui rend ces petites coques de meringues vides de tout esprit, et bien souvent de sens…
A deux pas de la rue Mouffetard, en face de l’église Saint-Médard, quelques religieuses se sont échappées du couvent pour aller se nicher dans ce temple du péché de gourmandise. En passant dans la vitrine, elles ont conservé l’ensemble de leurs caractères très humains, et qui font tout leur charme : vibrantes, imparfaites, simples et honnêtes.

On pourrait trouver que cette religieuse à la Pistache présente un dressage plutôt brouillon, mais au final, en la regardant, je vois plutôt une gourmandise simple, bien dodue et qui suscite justement l’envie. L’absence de raisonnement excessif, de recherche assidue de perfection ou de décor, la rend accessible et sympathique. Passé les salutations d’usage – la gourmandise ne devant pas exclure la politesse, surtout avec de jeunes demoiselles comme celles-ci -, passons à un examen plus approfondi et à la dégustation…
Une tête, un corps, de la pâte à choux présentant un craquelin (résultat d’un saupoudrage de sucre sur la pâte avant cuisson), un glaçage vert rappelant la couleur de la Pistache, quelques flammes de crème joignant les deux parties, et nous y sommes.

Pêchons, saisissons nous de cette religieuse. A la découpe, on apprécie le moelleux de la pâte à choux, bien fraiche et loin d’être sèche ou trop épaisse comme cela peut parfois être le cas. On découvre à l’intérieur une crème onctueuse d’un vert « honnête », dans le sens non chimique. Le chef sélectionne avec soin ses matières premières et utilise de la Pistache du Piémont pour la réalisation de cette pâtisserie, ce qui procure à la crème toute la douceur de ce fruit sec. Onctueuse sans être trop dense, elle nous transporte directement sous le soleil de cette région de l’Italie, c’est un peu la Dolce Vita sucrée qui s’offre à nous… Tout en étant accompagnée de cette fameuse pâte à choux légèrement croustillante et développant un agréable goût beurré. Le glaçage n’est pas trop sucré et est bien parfumé lui aussi à la pistache, il n’écrase pas la crème et complète le plaisir de dégustation par son côté un peu plus dense.
Les flammes en crème praliné apportent un contraste de goût intéressant, jouant un jeu amusant entre fruits secs. Noisette, pistache, cela se complète agréablement. Au final, le tout est terriblement gourmand et addictif, on abandonnerait presque les couverts pour savourer cette religieuse sans plus de cérémonie.

Le plus beau dans tout cela est certainement que cette « accessibilité visuelle » se retrouve du côté du prix, puisqu’elle est proposée à seulement 3,90 euros, une somme somme toute faible compte tenu de la fraicheur et de la qualité du produit, ce qui est d’autant plus vrai lorsque l’on compare avec les tarifs habituellement pratiqués dans la capitale.

Religieuse Pistache, Carl Marletti – Paris 5è, pâtisserie individuelle proposée au prix de 3,90 euros.

BOUTIQUE FERMEE

Chaque secteur d’activité développe ses tendances, ses modes. Elles prennent plus ou moins d’ampleur en fonction de la facilité qu’on les gens à se les approprier, et des déclinaisons qu’elles peuvent comporter. Autre facteur potentiel de succès, le fait que le mouvement soit « importé » de contrées plus ou moins éloignées…

En pâtisserie, une déferlante a frappé nos côtes depuis quelques mois voire années à présent, celle des douceurs américaines, et plus particulièrement des cupcakes. Vous savez, ces petits gâteaux cuits dans un moule en forme de tasse ou dans une caissette en papier, et recouverts d’un glaçage ou nappage généralement assez riche (chantilly, crème au beurre, philadelphia cream-cheese…). Ils rivalisent de volutes et divers décors pour attirer l’oeil des gourmands et susciter l’envie. L’avantage, c’est qu’ils ne sont pas bien compliqués à réaliser, que l’on peut en faire chez soi et que chacun peut y apporter sa note toute personnelle.

C’est ainsi que les cupcakes ont pu se développer de cette façon en France et qu’ils sont devenus un véritable phénomène de mode. On en retrouve un peu partout, et même dans des boulangeries. J’ai ainsi pu en voir au Moulin de la Vierge, qui entretiendrait plutôt une image « traditionnelle » dans ses gammes de produits. Malheureusement, je ne suis pas certain que l’ensemble des artisans qui en proposent fabriquent réellement ces pâtisseries, et nos amis industriels ont depuis longtemps flairé le filon, puisque ces gourmandises figurent à leur catalogue en de nombreuses déclinaisons. A côté de cela, il existe des boutiques « spécialisées », monoproduit, qui créent des cupcakes tous plus originaux les uns que les autres. Parmi les plus reconnues, on peut bien entendu citer Chloé S. dans le 9è arrondissement, Berko rue Rambuteau & rue Lepic ou encore Miss Cupcake (Paris 18è) et Synie’s Cupcakes (Paris 6è). Autant dire que le marché est presque saturé, et qu’il est difficile de s’implanter sur ce secteur aujourd’hui.

A côté de cela, il reste bien entendu possible de réaliser ces pâtisseries à la maison, et c’est bien toute la force de cette pâtisserie : dès lors qu’on a un peu d’envie, de créativité, quelques accessoires, de la farine, du beurre, du sucre et divers ingrédients au coût relativement limité, il est tout à fait possible de se lancer. L’ensemble des enseignes de loisirs créatifs proposent des outils et guides pour accompagner cet envol créatif. Cependant, dès lors que l’on veut se perfectionner ou aller un peu plus loin, le choix devient plus limité et on regrette de ne pouvoir aller au fond des choses.
Heureusement, certains entrepreneurs ont bien compris qu’ils pouvaient oeuvrer sur ce créneau et nous proposent de quoi réaliser des gâteaux américains au top de leur forme, et bien plus encore. C’est le cas de Cake & Bake Accessories, une charmante petite boutique installée au 5 rue de Lancry dans le 10è arrondissement, et inaugurée le mois dernier.

Dès que l’on franchit la porte de l’échoppe, c’est un peu comme si l’on traversait l’Atlantique, pas à la rame mais au fouet et au nécessaire à pâtisserie. Un voyage tout en douceur(s). Livres, moules, colorants, ustensiles, pâtes de sucre multicolores, … rien ne manque pour satisfaire vos envies gourmandes et surprendre vos invités lors de goûters ou événements divers. La plupart des produits sont directement importés de l’étranger, certains quasi-introuvables ailleurs. Difficile de faire plus complet !
De plus, du fait de la spécialisation de la boutique, on bénéficie d’un conseil particulièrement pointu sur le sujet, servi de plus avec un charmant accent qui prolonge le « voyage » et achève de nous dépayser complètement. Ici, l’équipe est vraiment passionnée par cet univers et a à coeur de le partager, tout en prenant part à la vie de cette « communauté » organisée autour de ces pâtisseries américaines – cupcakes, mais également birthday cakes, cookies, scones et autres…
Dans ce petit espace de la rue de Lancry, on trouve un univers particulièrement attachant et singulier, assez différent de celui développé dans la culture du sucré français. Certes, on pourra reprocher à ces pâtisseries de ne pas toujours être très fines, mais leur décor l’est et cela possède un charme et un caractère qui ne manquent pas d’être attachants.

Infos pratiques

5 rue de Lancry – 75010 Paris (métro Jacques Bonsergent, ligne 5 ou République, lignes 3, 5, 8, 9 et 11)
BOUTIQUE FERMEE DEFINITIVEMENT

Faut-il y aller ? Si vous voulez vous lancer dans la création de cupcakes et autres douceurs très américaines, bien sûr, vous trouverez ici tout ce dont vous avez besoin, avec le conseil de connaisseurs, ce qui n’est pas négligeable ! Une adresse toute jeune et bien sympathique, qui ne demande qu’à grandir.

Un produit n’existe que s’il y a quelqu’un pour le vendre, pour le présenter. Un artisan peut très bien développer un savoir-faire exceptionnel, mais s’il n’est pas en mesure de sortir de l' »abstraction », cela n’a que peu d’intérêt. C’est pourquoi personnels de vente, de création et de production sont profondément liés, même si les relations que ces poles entretiennent ne sont pas toujours excellentes…

La boulangerie, la pâtisserie et plus généralement les métiers artisanaux rencontrent d’importantes difficultés de recrutement, les ressources de qualité se faisant rares sur le marché du travail. Dans le secteur d’activité qui nous intéresse, les raisons sont multiples, mais elles tiennent avant tout à la pénibilité du travail. Cela se vérifie autant au sein du fournil que dans la boutique. Pour les boulangers, les horaires sont difficiles, il faut se lever tôt et accepter le port de lourdes charges. D’autres tâches sont fatigantes et rébarbatives, telles que le façonnage. C’est en cela que des solutions telles que PanovA ou Paneotrad apportent des réponses, en libérant le personnel de cette tâche fastidieuse grâce à la diviseuse et au non-façonnage, en plus de présenter un certain intérêt en terme de flexibilité (cuissons « à la demande », donc peu de pertes et un pain toujours frais).
Il faut réfléchir sérieusement sur cette « crise des vocations » et aller plus loin dans les solutions à développer pour y répondre. En effet, les facteurs tenant à l’aménagement de l’espace de travail sont également à prendre en compte, et nombre de laboratoires ou fournils offrent des conditions plutôt difficiles aux hommes qui y évoluent, en particulier à Paris. Escaliers sinueux, espace restreint, absence de lumière naturelle, … Cela ajoute beaucoup à la pénibilité et peut finir par entamer sérieusement la motivation d’un artisan, ce qui aura un impact direct sur la qualité des produits proposés au final.

Au delà des vocations, il faut aussi regarder la main d’oeuvre disponible sur le marché. Malheureusement, nombre d’ouvriers possèdent certes les qualifications nécessaires pour exercer l’emploi de boulanger ou de pâtissier, mais sont loin de maîtriser pleinement les techniques de panification. Mise en oeuvre et entretien du levain, contrôle des fermentations, gestion des cuissons… Autant de tâches complexes qui nécessitent d’aller plus loin que la formation reçue au sein des diverses écoles de boulangerie-pâtisserie, ce que tous ne souhaitent pas faire. En effet, certains choisissent ce métier par « dépit », en sachant qu’ils seront assurés de trouver du travail, mais n’éprouvant aucune passion pour celui-ci. Or, pour réussir à faire du bon pain, il faut aussi y mettre du coeur… Ceux qui le font ne sont pas si nombreux que cela, et ils ont une fâcheuse tendance à avoir la « bougeotte » : ils cherchent en effet à découvrir d’autres méthodes, d’autres recettes et états d’esprit… et sont ainsi difficiles à fidéliser.

En boutique, même constat. Difficile de garder de bons vendeurs. Ce n’est pas uniquement un problème pour les boulangeries, mais pour l’ensemble du secteur du commerce. Cependant, le problème est amplifié en boulangerie, où les compétences requises pour être un « bon » vendeur sont nombreuses : hygiène, mais aussi maîtrise des modes de fabrication des pains ainsi que de leur saveur au final. Bien sûr, cela vient avec le temps et l’expérience, mais encore faut-il que la personne ait la volonté d’apprendre, qu’elle ne considère pas son travail sous l’angle uniquement alimentaire. Ce n’est pas très fréquent, d’autant que le métier ne bénéficie pas d’une image très positive, souvent considéré comme un métier « en attendant mieux », alors que cela peut être bien plus. A plus forte raison dans une boulangerie, le personnel de vente est un créateur de lien social, il entretient une relation directe avec la clientèle et tient le rôle d’ambassadeur des produits de l’artisan.
Là encore, on peut aussi mettre en avant le caractère difficile du métier, et je suis relativement bien placé pour le savoir puisque j’ai moi même été vendeur dans ce secteur d’activité. Notre rôle, c’est aussi d’être là quand les autres ne travaillent pas. Ce qui a pour conséquence logique d’imposer des horaires parfois matinaux, parfois tardifs, et une présence les week-ends et jours fériés. Difficile de concilier tout ceci avec une vie personnelle.

Tout cela rend le recrutement particulièrement compliqué pour nos artisans, d’autant que les ressources humaines ne sont pas forcément le secteur dans lequel ils sont le plus compétent et le plus à même d’être efficace. Il est alors possible de se faire aider par Pole Emploi ou autres agences privées de recrutement. Pour faire face à des besoins urgents, il est également possible de faire appel à des sociétés telles qu’InterimCo, spécialisées dans le placement de personnels en boulangerie-pâtisserie, aussi bien au fournil qu’en boutique. Difficile de considérer ceci comme une solution à long terme, mais cela a pour mérite de « remplir les trous » avec du personnel d’une certaine qualité.  Là encore, les solutions à mettre en oeuvre pour parvenir à attirer des vendeurs dignes de confiance et sérieux sont à étudier sérieusement, mais il serait nécessaire de redonner à ce métier une image plus valorisante pour ceux qui l’exercent. Comment ne pas être découragé quand on voit dans les yeux de ses interlocuteurs le manque de respect que l’on peut parfois rencontrer ?

Ah, l’humain, toujours l’humain… C’est décidément le sujet clé de la boulangerie-pâtisserie, et je ne vous cache pas que parfois je retournerais bien derrière le comptoir, pour partager directement et au quotidien ma passion pour le produit…

En s’intéressant à la gamme de pains de certaines boulangeries, on peut parfois retracer leur historique, et notamment les différents propriétaires des lieux. En effet, certains d’entre eux développent leurs produits et il est difficile de renoncer à les fabriquer une fois la revente réalisée, la clientèle s’étant habituée à les retrouver en boutique. Ainsi ces pains sont « essaimés » au fil des installations et départs successifs.

Au Grenier de Félix, dans le 15è arrondissement, le trace du passage de Thierry Racoillet est encore bien visible, puisque l’on y retrouve les baguettes Picolla, ces fameuses baguettes torsadées, à la mie très moelleuse, presque cotonneuse. Elles sont également présentes dans les boulangeries Coquelicot, où ce même artisan a oeuvré et continue à travailler dans l’une d’elles (en l’occurrence, la Prairie de Coquelicot, rue de Douai).
Dans le 15è arrondissement, c’est Franck Tombarel qui a repris le flambeau. L’artisan n’a pas démérité, puisqu’il a reçu pour sa baguette de tradition le Grand Prix de la Baguette de la Ville de Paris en 2009. Je ne le répèterai jamais assez, ce concours n’est pas forcément représentatif de la qualité des produits au quotidien, néanmoins certains boulangers primés parviennent à réaliser l' »extraordinaire quotidien » en proposant du pain savoureux jour après jour.

La gamme salée : quiches, sandwiches, fougasses garnies, paninis...

C’est le cas ici, au Grenier de Félix. Ici, pas de croquettes pour ce fameux chat noir et blanc, mais une belle gamme de pains, réalisés à partir d’une farine des moulins Bourgeois.
La baguette de tradition, une « Reine des Blés » (farine de tradition Label Rouge), se montre à la hauteur de sa réputation. Sa cuisson est parfois un peu courte, mais elle affiche toujours de belles grignes en diagonale et un façonnage élégant, tout en longueur, de quoi ravir les amateurs de croûte. Celle-ci est fine, craquante, et enveloppe une mie bien alvéolée. L’ensemble dégage des saveurs persistantes de beurre, de crème, qui rendent la dégustation extrêmement gourmande et agréable. Difficile de s’en lasser, on en découpe des morceaux sans façon, au fil de l’envie.

La gamme de pains

Franck Tombarel ne s’arrête pas là et nous offre une gamme généreuse, déclinée au fil des jours de la semaine. Du lundi au samedi, on retrouve ainsi un pain Allemand, un pain à la châtaigne, un autre aux céréales, un complet, une Picolla aux graines… J’apprécie cette pratique qui relance l’intérêt de la clientèle et donne à la boutique un caractère vivant.
Au delà de ces pains « en rotation », des permanents répondent à l’appel, comme la très belle gamme Biologique, et notamment la baguette Bio aux superbes cuissons. La boule Bio est un peu plus ordinaire. On notera également la présence de quelques mélanges élaborés par les Moulins Bourgeois, comme la baguette Fleur de Lin, la Baguette des Prés ou encore le Troubadour. Dans l’ensemble, les façonnages sont élégants, les saveurs présentes et les cuissons bien menées. Les tarifs demeurent plutôt modérés, ce qui est appréciable. Ainsi, la baguette de tradition est proposée à 1,10 euros, et la biologique à 1,20 euros pour 260g.

Les viennoiseries

Les viennoiseries sont correctes, sans plus de relief. A noter toutefois un beau feuilleté aux pommes, généreux et bien doré. Côté pâtisseries, on reste dans un domaine très boulanger, au travers d’une déclinaison de tartes individuelles axées principalement autour des fruits, ainsi que quelques pâtes à choux. L’ensemble est soigné et plutôt réussi. On notera également les quelques gourmandises qui viennent agrémenter le tout, comme ces tuiles aux amandes, cookies, sablés nature ou au chocolat, ou encore paille d’or et lunettes à la framboise. Pas de complexité excessive, cet artisan a bien compris que la simplicité était la meilleure des maîtresses pour parvenir à un résultat de qualité.

La gamme salée : quiches, sandwiches, fougasses garnies, paninis...

Même chose pour les propositions salées. Des sandwiches et des quiches divers et soignés, des paninis ou des fougasses, tout cela est très boulanger et ne déborde pas sur un penchant à devenir plus traiteur que boulanger. C’est décidément bien vu et très cohérent.

De très beaux carreaux peints à l'extérieur de la boutique

Pour ne rien gâcher, la boutique est très élégante, décorée avec goût et agrémentée sur sa façade de carreaux peints du meilleur effet. Cela confère au lieu un aspect chaleureux, authentique et accueillant, avec vue sur le fournil au travers d’une vitre dans le magasin. Le service qui est proposé dans ce décor est plutôt sympathique et efficace, même si l’on sent une petite tendance à plaisanter sur les ventes réalisées entre collègues. Néanmoins, la clientèle est servie avec le sourire.

Infos pratiques

64 avenue Félix Faure – 75015 Paris (métro Boucicaut, ligne 8) / tél : 01 45 54 57 48
ouvert du lundi au vendredi de 7h à 20h et le samedi de 7h à 14h.

Avis résumé

Pain ? Franck Tombarel propose dans sa boulangerie une belle gamme de pains. De la baguette de tradition à la croûte fine et craquante, à la mie douce et alvéolée et aux parfums de beurre et de crème aux pains spéciaux, la clientèle dispose de quoi varier les plaisirs tout en restant dans des tarifs plutôt mesurés. On notera la présence d’une gamme Biologique de bonne facture, mais aussi de pains spéciaux déclinés au fil de la semaine. Pain Allemand (pain noir aux graines de tournesol), à la châtaigne, aux fruits secs ou encore aux céréales… il y en a pour tous les goûts et toutes les envies. Les façonnages sont élégants, les cuissons assez bien menées (parfois un peu courtes sur la tradition, ce qui est un peu dommage) et la conservation de bon niveau. Les recettes du meunier demeurent assez présentes dans l’éventail des pains proposés, ce que l’on peut regretter, même si le consommateur sera de fait beaucoup moins perdu. Reste du passage de Thierry Racoillet en ces lieux, la Picolla – une baguette torsadée, à la mie moelleuse et presque cotonneuse -, fera le plaisir des adeptes de douceur.
Accueil ? Plutôt efficace et dynamique. Le sourire est assez présent, même si certaines plaisanteries entre collègues manquent tout de même de finesse et de bon sens. Cependant, la clientèle est respectée et servie comme il se doit.
Le reste ? Les viennoiseries sont correctes, sans relief particulier mais leur réalisation demeure honnête, même si le feuilleté aux pommes est plutôt réussi et généreux. Les pâtisseries demeurent très « boulangères », ce qui est tout à fait pertinent : tartes aux fruits, au chocolat ou au citron, quelques pâtes à choux, la maison ne cherche pas à s’aventurer sur des terrains qu’elle ne maîtriserait pas. Même constat du côté des propositions salées, de bonne facture. Sandwiches, quiches variées, fougasses garnies… Des produits frais et savoureux, rien à signaler.

Faut-il y aller ? Ne serait-ce que pour goûter la baguette de tradition, sans doute ! Elle réunit nombre d’éléments qui la rendent vraiment agréable : un bon rapport mie/croûte, une saveur beurrée, crémeuse très gourmandise, un beau craquant et une très bonne conservation… Difficile de lui reprocher quoi que ce soit, et cette baguette a bien mérité sa distinction. Le reste des pains demeure tout à fait intéressant, et le reste des gammes affiche une belle cohérence. Ajoutons à cela un décor élégant, un service correct, et voici une boulangerie plus que recommandable.

Parmi toutes mes visites, il y a forcément des lieux qui me marquent plus que d’autres et dans lesquels je prends plaisir à revenir de façon répétée, car j’y trouve autant des produits qu’un état d’esprit intéressants. Dans certains cas c’est un peu plus compliqué, du fait de la localisation géographique de l’endroit, mais cela ne m’empêche pas de faire le voyage pour mon propre plaisir.

Le lieu est rempli par une belle lumière naturelle

C’est pour cette raison qu’il était tout naturel pour moi de retourner chez Nicolas Bernardé à La Garenne Colombes, afin de découvrir un peu plus son univers gourmand. Dans cette paisible ville de banlieue, ce Meilleur Ouvrier de France a élu domicile au sein de cette élégante boutique, donnant directement sur la place de l’église et du marché. Un emplacement stratégique pour cet artisan chez qui la fraicheur et les produits de saison tiennent une place importante.
En effet, il propose depuis quelques semaines une pâtisserie « unique » le samedi, créée selon l’inspiration et les produits sélectionnés le mercredi sur le marché de la place de la Liberté. Cette semaine, la création tournera donc autour de l’orange, en plus d’une fournée de confitures à base de mangues, elles aussi achetées sur ce même marché. C’est ainsi que devrait toujours être conçue la pâtisserie et en règle générale la gourmandise : de façon vivante, au jour le jour, sans s’imposer des collections ou des concepts qui l’éloignent peu à peu des vraies saveurs qu’elle doit développer.

Le fameux mur de confitures

Je reste toujours aussi admiratif devant le travail effectué sur l’aménagement de ce lieu qui était auparavant un restaurant, dans lequel les habitants du secteur possèdent nombre de souvenirs. Sobriété, élégance, fonctionnalité et surtout excellente mise en avant des produits, tout est réuni pour créer un endroit où l’on se sent bien et où nos sens sont pleinement éveillés pour découvrir les gammes sucrées et salées déclinées ici. Vinaigres insolites, sels et sucres parfumés aux épices et autres douceurs… Nicolas Bernardé travaille les produits qu’il aime et cela se sent. Ce fameux mur de confitures en est un exemple frappant : il met bien en avant la façon singulière de traiter les fruits que développe cet artisan. Ici, pas de produits fortement gélifiés, remplis de pectine pour obtenir un résultat compact. Au contraire, les confitures sont soyeuses, on y retrouve de nombreux morceaux de fruit et même si cela passe un peu au travers quand on les étale sur nos tranches de pain très painrisiennes, cela ne gâche en rien notre plaisir… ce serait même plutôt l’inverse ! De plus, impossible de tricher avec de tels partis pris : les matières premières mises en oeuvre doivent être de première qualité.
Quant aux taux de sucre et aux dates limites de conservation non indiquées sur les pots, l’artisan m’a indiqué que les étiquettes étaient en cours de réimpression. En effet, Nicolas Bernardé prend plaisir à venir à la rencontre de sa clientèle, pour la conseiller et partager sa passion au quotidien. Son épouse est également une excellente ambassadrice de cet univers gourmand.

Vinaigres parfumés, confitures, huiles, sucres et sels... De quoi faire bouger sa cuisine !

Ce choix d’implantation plutôt audacieux et inattendu de la part d’un homme au parcours si étoilé permet de développer autour de cette boutique une vraie proximité et un lien fort qui ne serait pas aussi développé dans une ville telle que Paris. En effet, beaucoup de clients viennent et reviennent, partagent leurs expériences avec les différents produits et donnent de nouvelles idées, qui ne manquent pas d’être intégrées dans les conseils donnés par la suite. Un véritable réseau d’échanges !

Les cakes affichent un visuel très abouti

Impossible de repartir en faisant l’impasse sur ces cakes à la finition minutieuse, tellement appliquée que l’on voudrait préserver son intégrité et ne pas entamer ce concentré de gourmandise. Marrons, chocolat, pistache… Autant de déclinaisons qui ne peuvent qu’attirer l’attention. Même constat du côté des caramels, dont les parfums de tarte au citron, de pignon ou encore de framboise ne manquent pas d’intriguer.

Un océan de caramels...

Le plus beau dans tout cela est certainement la simplicité et l’amour du métier que l’on retrouve à La Belle Epoque. Tandis que certains chefs s’inscrivent dans une quête effrénée de reconnaissance et de gloire, Nicolas Bernardé et son équipe cherchent simplement à partager, à créer du plaisir. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans leurs cours, accessibles à tous et permettant à chacun d’accroitre son savoir pour à son tour partager cet univers gourmand. Le programme est disponible sur le site internet de l’artisan.

Je ne suis pas reparti les mains vides : 3 pots de confiture et un « Sel de la Terre » ont fait mon bonheur du jour… avant une prochaine visite.

Infos pratiques

2 place de la Liberté – 92250 La Garenne-Colombes (Transilien Ligne L, gare de La Garenne-Colombes) / tél : 01 41 19 02 74
ouvert les mardi, jeudi et vendredi de 10h à 19h30 et les mercredi et samedi de 9h30 à 19h30.
Site internet : http://www.nicolas-bernarde.com

J’ai souvent parlé de l’importance de la farine, des matières premières et des facteurs humains dans la réalisation d’un pain savoureux. Bien entendu, des éléments techniques rentrent aussi en ligne de compte, tels que le four, les pétrins, la configuration du fournil… Cependant, ce ne sont pas les facteurs qui peuvent réellement différencier un boulanger d’un autre, à mon sens. Non, il faut aller plus loin.

Parmi les points auxquels je m’intéresse particulièrement, il y a l’esprit, le personnage. Le pain est également une affaire de culture, d’envie, de goût des autres.
Nos écoles de boulangeries vont former des techniciens. Pour peu qu’ils soient assidus, ils deviendront sans doute de très bon exécutants, parvenant à réaliser sans difficulté des recettes établies dans un fournil. Cette connaissance leur permettra-t-elle de dépasser ce stade, de ‘prendre leur envol’ ? Dans un sens, rien ne les en empêche. Ils peuvent sans difficulté s’installer à leur compte dès lors qu’ils en possèdent les moyens et l’éventuelle assistance financière d’une banque ou d’un meunier. Cela donnera naissance, très souvent, à une boulangerie certes, mais sans ce supplément d’âme, pourtant tellement nécessaire. En effet, la gamme sera généralement calquée sur celle proposée par leur meunier, sans aucune fantaisie ni création. Dès lors, comment se différencier vis à vis de la boutique d’à côté, comment donner envie à la clientèle de consommer du pain ?

Le bon pain se développe au fur et à mesure de la fermentation, et c’est un peu la même chose pour les êtres humains. Ils s’épanouissent au fil de leurs expériences, et la richesse de leur parcours sera pour beaucoup dans la qualité de leur travail. Dans le cas des boulangers, les voyages, le travail dans de nombreux fournils (ayant chacun leurs spécificités, leurs clientèles, leurs méthodes de travail…) seront autant d’opportunités de s’ouvrir et de devenir un boulanger « complet ». En cela, le compagnonnage offre des perspectives intéressantes pour les personnes possédant une certaine soif de découverte, l’envie de se perfectionner chez différents patrons.

Au quotidien, il suffit de se rendre dans quelques unes de ces boulangeries créées par de véritables « têtes » du métier. Comment les reconnaître ? En entrant dans leurs boutiques, on sent immédiatement ce fameux esprit, cette vie. Cela ne tient pas à grand chose, dans l’absolu, mais il suffit de jeter un oeil du côté des produits, de voir qu’ils sortent des standards, qu’il y a quelque chose de plus. Parfois c’est assez frappant, comme chez Gontran Cherrier, où l’on ne peut rater ses buns multicolores, sa baguette à l’encre de seiche et aux graines de nigelle ou bien au curry… Des produits peu communs qui sont l’expression de la démarche gourmande et voyageuse de cet artisan atypique. Dans d’autres cas, cela peut se faire de manière plus subtile.
Comment ne pas citer Jean-Paul Mathon et sa Gambette à Pain, où les produits, d’apparence plutôt classiques, expriment des arômes si particuliers et intéressants ? Bien sûr, d’autres indices chez lui nous mettent sur la voie, comme ces nombreuses illustrations en rapport à Gambetta, ou encore ces références à la farine T80 qui sert de base à nombre de ses produits, et même à ses viennoiseries (qui d’autre que lui pour parvenir à faire cela ?!).

J’en profite également pour parler de ce fameux sac réalisé à partir de sacs de farine usagés, une création originale et tout à fait symbolique de l’état d’esprit de l’artisan, aussi créatif que respectueux de l’environnement qui l’entoure.
Bien sûr, on peut citer également des artisans tels que Dominique Saibron, Franck Debieu ou encore Rodolphe Landemaine, qui sont parvenus à développer leurs univers respectifs au sein de leurs boulangerie, avec le succès que l’on connaît.

Au final, le message que je cherche à véhiculer est de refuser l’uniformité, de chercher à développer la singularité de chacun de nos artisans boulangers. Au delà de cette idée, il y a la notion de partage et de générosité. Certes, un artisan peut exprimer des caractéristiques bien particulières, mais il doit aussi entretenir un état d’esprit d’ouverture et d’écoute sur le monde, sur sa clientèle et sa communauté, en tant qu’acteur de la vie quotidienne et locale. C’est certainement de cette façon que l’on parviendra à redonner ses lettres de noblesse à la boulangerie, et que les consommateurs prendront toujours plus de plaisir à manger du pain. Dans ce fameux pain, ils retrouveront non seulement de quoi nourrir leur corps, mais aussi leur esprit… de quoi les inspirer pour, à leur tour, partager un sourire, une envie, … du pain.