Je passe sans doute mon temps à le répéter, mais l’humain est un des éléments clés dans le pain, que ce soit dans sa réalisation au quotidien, dans son processus de vente, mais aussi dans toutes les étapes qui aboutissent à la mise en place d’une recette de pain. C’est d’ailleurs là que l’on trouve ce qui va différencier un artisan passionné d’un simple boulanger « exécutant », se contentant de suivre des diagrammes et autres procédés bien souvent édictés sur les sacs de farine eux-mêmes…

Ainsi donc il faudrait donner de l’âme au pain ! et celle-ci se développe au travers des rencontres, des voyages, des expériences. Les produits d’un jeune artisan ne sont sans doute pas les mêmes que ceux créés par un boulanger aguerri. Du temps, toujours du temps… Il en faut pour laisser fermenter les esprits et les pâtes !

Cette idée de partage et de voyage est bien présente chez les Compagnons du Tour de France, dont notre boulanger du jour a d’ailleurs fait partie. En effet, Laurent Bonneau a pu exercer et développer son talent dans de nombreuses régions françaises, et ne semble pas avoir perdu le goût des rencontres que cela peut engendrer. J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de son travail autour des farines moulues par Roland Feuillas à Cucugnan, mais ce n’est pas le seul produit – et fort heureusement ! – qui est pétri dans le fournil du 75 rue d’Auteuil.

Le dimanche, on a parfois l’occasion de retrouver un pain « Grand Cru » en boutique. Grand Cru ? On rapproche souvent la filière pain à celle du vin, avec l’existence de notions de terroirs, du soin que portent les vignerons à leurs vignes comme les agriculteurs devraient porter à leurs blés… Les enjeux se rejoignent : il faut entretenir la qualité des sols, revenir à des méthodes plus naturelles. Certains défendent même le fait que le blé devrait être cultivé puis moulu par les mêmes personnes : quel vigneron laisserait quelqu’un d’autre écraser son raisin ?
Les choses sont beaucoup plus simples dans le cas présent, puisque le pain de Laurent Bonneau rapproche pain et vin. En effet, ce produit est né d’une rencontre avec avec M. Gratiot, vigneron de Saint Emilion. Une pré-fermentation au levain liquide de moût de raisin est réalisée, et des grains sont incorporés en fin de pétrissage.

L’intérêt de ces deux éléments se situe sur le plan santé, mais aussi gustatif. Grâce au raisin, le pain est riche en polyphénols, dont les effets antioxydants préviennent le vieillissement cellulaire et par la même occasion limitent les risques de cancer et autres maladies cardiovasculaires. Néanmoins, le plus important reste le plaisir que l’on peut éprouver à la dégustation de ce pain : en effet, on y retrouve une belle douceur sucrée, accompagnée par la mie moelleuse et bien hydratée. Les pépins des raisins du Grand Cru Classé Larcis-Ducasse – dernière récolte, s’il vous plaît ! – craquent sous la dent et rendent la dégustation encore plus surprenante. La qualité de la farine n’est pas oubliée, puisque la pâte est réalisée à partir d’une farine de Meule Bio type 110.
On peut prendre plaisir à déguster ce pain seul, comme une gourmandise, mais il se révèle très agréable dans le cadre d’accords sucré-salé, avec du fromage par exemple.

Laurent Bonneau et son ami vigneron rapprochent donc pain et vin pour un résultat savoureux, un clin d’oeil souriant à découvrir.

Pain Grand Cru, Boulangerie Bonneau – Paris 16è, vendu à la pièce, 3,5€ les 500g.

S’il y a bien une chose à laquelle on ne prête pas forcément beaucoup d’attention, c’est la qualité de la relation entretenue entre une boulangerie et sa clientèle. Son caractère de commerce de proximité créé tout naturellement un lien entre l’artisan et ceux qui, chaque jour, viennent chercher leur pain ou leurs gourmandises. Pourtant, sous cette apparente simplicité se cachent des enjeux bien plus sérieux, car on voit de plus en plus de consommateurs se tourner vers des offres bien moins artisanales, telles que celles proposées par des enseignes de la Moyenne ou Grande Distribution, ainsi que vers divers « points chauds ».

A l’occasion d’Univers Boulangerie 2012, Gérard Baillard, directeur de Mercuri International Business Partners, une entreprise spécialisée dans le conseil en marketing opérationnel et l’efficacité commerciale a tenu une intervention au sujet de cette fameuse Relation Client. Un exposé bien ficelé pour un homme qui se décrit lui-même comme un « vendeur », malgré tous les titres qu’on a pu lui attribuer au cours de sa carrière. Un vendeur brillant et éloquent, néanmoins, malgré ses difficultés… En effet, ce dernier a pu nous parler de l’instance de divorce… commercial qu’il connaît depuis plusieurs années.

Gérard Baillard

Que ce soit en boulangerie ou dans d’autres métiers, les entreprises ont peu à peu perdu le contact, ou plutôt la compréhension, des clients qu’ils avaient en face d’eux. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été inactifs : ils ont développé nombre de stratégies visant à offrir au consommateur ce qu’il recherchait. Ainsi, en 1980, on écoutait le client afin de s’adapter au maximum, et certainement de façon excessive. Dans les années 90, on a cherché à donner des preuves d’amour, puis à partir de 95 à analyser le processus. Puis vint en 2000 l’âge des cadeaux, pour se mettre au service du client… ce qui a eu pour fâcheuse tendance de mettre en valeur des profils générant de gros volumes tout en étant en définitive peu fidèles.

Cela n’a pas répondu aux attentes du client, car une évolution individuelle était en train de se préparer sans que l’on s’y intéresse. Même si l’avis des pairs a pris une importance considérable (notamment avec les partages d’avis), de véritables « autonomistes » sont apparus et ont contribué à faire perdre à l’entreprise et à ses représentants le caractère reconnu et légitime de leurs discours ou conseils. Plutôt que de tenter de développer de nouvelles stratégies de Relation Client, il devient alors nécessaire de se différencier.

Cette différenciation se joue sur trois pôles : rationnel, relationnel et émotionnel. Pour un boulanger, il faut donc apporter un produit de qualité, mais aussi offrir des facilités telles que des horaires d’ouverture adaptés aux attentes de la clientèle, organiser ses fournées en fonction des « moments forts » de la journée…
Sur le plan relationnel, on doit apprendre à dépasser la supériorité naturelle que l’on reconnaît à l’artisan vis à vis des grandes enseignes. Certes, l’affectif a de l’importance, mais il ne créé pas de mémoire active et de reconnaissance comme savent si bien le faire les outils de Gestion de la Relation Client déployés par de grandes structures. Date de naissance, habitudes de consommation, … tout y passe, et c’est une excellente façon de créer des « occasions », comme offrir un pain ou une sucrerie à l’occasion de l’anniversaire de son client. Ajoutez à cela des dégustations, des fêtes, et vous obtenez un commerce vivant et ouvert sur sa clientèle.

Nos artisans boulangers doivent aussi mettre en avant leur savoir-faire, dépasser les évidences apparentes pour remettre un peu de « complexité » dans le discours : certes, les nouveaux médias et réseaux sociaux savent répondre à beaucoup de questions mais cela ne reste que très superficiel, bien loin de couvrir la palette de cas et de particularités que les pains et leur consommations peuvent présenter. L’expression « ça dépend » catalyse assez bien cette idée de savoir-faire auquel il faut ensuite associer du faire-savoir.

Au fil du temps, en apportant conseil et produits de qualité, le boulanger doit parvenir à se distinguer, à développer une identité et une signature propres. Cela lui permet de reprendre de l’importance dans le parcours d’achat du consommateur, puisqu’il est davantage visible et porte son pain en dehors de l’achat de commodité sur lequel il serait bien plus remplaçable, quasi-interchangeable. Bien sûr, certains clients ne seront pas sensibles à cette démarche et rechercheront avant tout de « l’excellence opérationnelle », tout au plus un sourire, un bonjour et un merci. Néanmoins, pour des occasions particulières, ils seront toujours en recherche d’un conseil et d’une écoute auxquels il faudra savoir répondre.

Justement, c’est là que les nouvelles technologies peuvent être employées de façon pertinente : tout d’abord en développant sa présence sur les différents moteurs de recherche et réseaux sociaux, puis en créant une véritable base de connaissance permettant d’améliorer la qualité du conseil fourni : aussi bien les allergènes, les associations mets-pain voire vins, les ingrédients… peuvent être référencés dans des catalogues virtuels qu’il est ensuite aisé de présenter au client, par internet ou même en boutique avec des outils simples et de plus en plus accessibles (tablettes tactiles, notamment).

C’est une nouvelle idée de la Relation Client qui se profile en boulangerie, l’artisan doit savoir y imposer ses choix et contraintes tout en restant attentif aux besoins de ses clients. Hors de question de fabriquer des tartes aux fraises en hiver « pour faire plaisir » ou bien de produire plus que l’on ne devrait pour assurer une qualité optimale : un échange basé sur la confiance et le respect doit s’instaurer avec le temps.

En plus de l’intervention de Gérard Baillard, différents boulangers ont pu s’exprimer sur la question, et c’est notamment le cas d’Eric Cagnot et Franck Pinaud, boulangers à Caussols dans les Alpes-Maritimes. Ces deux associés, dont le second est issu d’une reconversion professionnelle, ont fait le choix de s’installer à 1200m d’altitude, dans un village de 300 habitants, où les habitants ont apprécié d’avoir en face d’eux de vrais artisans, ce qui les a incités à venir toujours plus nombreux. Une véritable relation de confiance s’est instaurée, même s’il est important de savoir dire « non » et d’imposer des choix, notamment en terme de quantité de production, pour éviter les pertes et le gâchis.
Thierry Auvin, boulanger à Vouillé (Vienne), nous a quant à lui donné un exemple de la différence entre une adresse de Centre Ville et une autre en périphérie. En effet, dans le premier cas, il doit faire face à une importante demande en pain blanc, ce qui est beaucoup moins le cas en périphérie, où il a pu mettre en place un système Paneotrad (avec à la clé une production 100% Tradition, sans baguette de pain courant).

Dans l’ensemble, les conseils donnés me semblent plutôt intéressants pour nos artisans boulangers, qui doivent réellement chercher à se distinguer pour exister et faire face à la concurrence des grandes enseignes. Cependant, est-ce bien compatible avec l’uniformisation toujours plus marquée des gammes et recettes proposées en boutique ? Les « grands réseaux » tels que Baguépi, Ronde des Pains, Banette, Festival… sont appelés à se réinventer pour permettre cette montée en puissance de l’identité de chacun des artisans. Encore faut-il qu’ils y mettent du leur en exprimant une véritable volonté dans ce sens.
Sur le plan des nouvelles technologies et des outils de relation client, il faut parvenir à les rendre accessibles au plus grand nombre, et c’est loin d’être le cas aujourd’hui : là dessus, le painrisien devrait être en mesure d’apporter quelques réponses à l’avenir… à suivre !

Il m’est difficile de résister à des boulangeries qui affichent un univers, un ancrage dans des traditions voire une région. Peu d’artisans peuvent se vanter de proposer cela à leur clientèle, au vu de l’uniformité croissante des aménagements de boutique et des gammes de produits au sein de la capitale et même ailleurs.

Parfois, il m’arrive d’en rencontrer par hasard, au détour des rues. Ce fût le cas ici, pour la boulangerie « La Bretagne », située au 70 boulevard Soult, dans le 12è arrondissement. Une devanture bleue, un nom qui nous transporte directement à l’Ouest, l’annonce de quelques spécialités régionales (gâteau & far breton, Kouign-Amann), il ne m’en fallait pas plus pour passer la porte. Certes, quelques détails auraient du m’inciter à me poser des questions, mais voilà, l’irréparable était commis. J’étais entré.

« Artisan boulanger et fier de l’être », c’est le slogan développé par le groupement Festival des Pains pour mettre en avant l’engagement de leurs clients. L’idée n’est pas mauvaise, mais si seulement elle trouvait un quelconque sens dans la qualité des produits… car c’est bien ce qui pèche, ici.
On nous parle d’un pain qui serait la spécialité de la maison, le « Breizhig », réalisé à partir de levain et d’un mélange de farines. Proposé à 5,5€ le kilogramme, il est décliné en différents formats : bâtards de plusieurs tailles, baguettes et ficelles. Spécialité, vous dites ? En définitive, au goût, cela tiendrait plutôt du prémixe à la mie cotonneuse et aux notes de seigle persistantes. Ce n’est pas mauvais, non, mais rien de bien exceptionnel.
Dans tous les cas, on le préférera nettement à la baguette de Tradition insipide, au façonnage peu appliqué et donnant la nette impression de déguster de l’air, à l’image d’une baguette de pain courant.
Les autres pains de la gamme reprennent les prémixes Festival sans trop de succès ni d’aventures, avec quelques petites boules rapidement dégustées rapidement oubliées.

Pour le reste, le Kouign-Amann ne nous fait pas quitter terre, de même que le gâteau breton, bien consciencieusement emballé dans du film alimentaire (?!). Ne citons pas les autres viennoiseries et pâtisseries, ni les sandwiches et autres produits salés.

On appréciera uniquement le charmant accueil de la tenancière des lieux, qui, accompagnée de ses vendeuses, parviendrait sans doute à nous faire passer le goût, ou plutôt l’absence de goût, de ses produits. Malheureusement, il en faudrait tout de même un peu plus.

Infos pratiques

70 boulevard Soult – 75012 Paris (métro Porte de Vincennes, ligne 1) / tél : 01.43.43.30.97
ouvert du lundi au vendredi de 7h à 20h30.

Avis résumé

Pain ? Chouette, on nous promettait une spécialité, le « Breizhig », réalisé à partir de levain, d’un mélange de farines et de sel de Guérande – bien sûr ! -. Seulement voilà, le résultat s’apparente plutôt à un prémixe de type pain de campagne traditionnel, à la mie cotonneuse et aux notes de seigle et de levain assez peu équilibrées. On le préférera tout de même à la baguette de Tradition, qui n’en a que le nom tant elle se rapproche de la baguette blanche, de par sa mie presque vaporeuse et son absence de saveurs. Pour le reste, la gamme Festival des Pains est représentée, au travers des différents prémixes développés par la marque.
Accueil ? La propriétaire des lieux nous accueille avec le sourire, tout comme ses sympathiques vendeuses. En définitive, le lieu est agréable, le service tout autant, si seulement les produits étaient à l’avenant…
Le reste ? Les spécialités bretonnes (gâteau breton, Kouign-Amann) ne parviennent pas à convaincre, le côté gras et sucré l’emportant sur nos espoirs de saveurs. Rien de mieux à dire au sujet du reste des viennoiseries et pâtisseries, ainsi que du traiteur.

Faut-il y aller ? On peut passer devant, regarder, et se dire que ça aurait été chouette si l’on nous avait vraiment amené un petit bout de Bretagne, avec toute les saveurs que cette région sait proposer. Malheureusement, c’est une déception, le pain est à l’Ouest, vraiment pas un Festival.

Pour susciter l’intérêt des participants potentiels à une manifestation, les organisateurs ne lésinent généralement pas sur les moyens pour s’assurer un certain nombre de « têtes d’affiche » qui marqueront les esprits et créeront des moments forts. Rien de mal à cela, vu que ces personnalités sont généralement porteuses de messages et discours de qualité, riches en enseignements.

La Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française a bien compris le processus, puisqu’elle avait invité le chef étoilé Thierry Marx lors de son congrès Univers Boulangerie 2012. Non content d’oeuvrer au sein des cuisines du Mandarin Oriental Paris, le cuisinier travaille également sur des projets autour de la « cuisine de rue », qu’il tente d’imposer comme une alternative saine et responsable au fast-food et à la malbouffe proposés par de grandes chaines mondialisées. Il développe ainsi des programmes de formation destinés à des publics en difficulté, réfléchit à de nouvelles façons de consommer nos grands classiques de la gastronomie… tout en gardant un oeil attentif sur la viabilité économique de ces initiatives.

Thierry Marx, Joël Defives (Formateur INBP), Christina Colombier (boulangère en reconversion), Jean-Jacques Marie (boulanger à Agen) et Dominique Saibron sur scène, le dimanche 14 octobre, en introduction d’Univers Boulangerie 2012

La restauration rapide, le « snacking », ce sont des activités que nos artisans boulangers connaissent bien… de mieux en mieux, en réalité, puisqu’ils ont pris ce tournant de façon importante au cours des cinq dernières années. Nous sommes loin du jambon-beurre et de ses quelques déclinaisons qui ornaient les vitrines jusqu’alors. Sandwiches toujours plus élaborés, mais aussi salades, quiches, parfois plats chauds, … le traiteur est devenu un savoir-faire que la boulangerie s’est accaparé, pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Pour être efficaces et cohérents, soyez réguliers et ne cherchez pas à rogner sur les coûts. De par son expérience en restauration, Thierry Marx a pu comprendre l’importance de la régularité sur l’expérience client : en effet, rien de plus désagréable que de se sentir spolié un « mauvais jour », si le produit est de moins bonne qualité. La force des grandes enseignes est justement la capacité à développer des process, des recettes millimétrées dans lesquelles le hasard n’a pas ou peu de place : les ingrédients sont pesés de façon précise, et leur mise en oeuvre suit une méthode élaborée et éprouvée. Ainsi, le consommateur sait à quoi s’attendre : son casse croûte ne sera sans doute pas exceptionnel, mais il sera conforme à un certain « standard ».
Les boulangers devraient s’inspirer de ces méthodes, en sélectionnant des matières premières de qualité tout en gardant la maîtrise des coûts au travers d’un contrôle méticuleux des quantités. En plus de l’intérêt économique, cela permet de conserver l’équilibre de la recette : il ne faut pas chercher à trop en donner, ou pas assez. Egalement, pas question de préparer tout cela sur « un coin de table » : dès lors que l’on se lance dans cette activité, il est nécessaire d’être rigoureux et d’y consacrer les ressources nécessaires.

Ne pas oublier où est la valeur ajoutée du boulanger : dans son savoir-faire autour du pain. C’est sans doute l’un des points qui m’a le plus interpellé dans ce discours, car Thierry Marx est sans doute le seul à l’avoir abordé dès lors qu’il s’agissait du « snacking ». Originaire du quartier de Ménilmontant, il avait été fasciné dans son enfance par le travail réalisé par Bernard Ganachaud au sein de son fournil. Au cours de son intervention, le chef a donc insisté sur l’importance que pouvait avoir le travail du boulanger sur sa clientèle : en portant à leur vue les différentes tâches réalisées au sein du fournil, il « fait le show » en plus de réaliser son produit. Ce fameux produit, le pain, n’est pas à négliger : non content de servir de base pour les différents sandwiches, c’est avant toute chose le savoir-faire de base du boulanger. Si on choisit de le mettre de côté, en fabriquant uniquement du pain blanc, ou bien en utilisant des « prémixes » variés, plus rien ne peut distinguer à terme une boulangerie d’un autre acteur du secteur de la restauration rapide.
Au delà de la réalisation du pain en lui-même, le boulanger possède une compétence sur le plan de l’accord entre le contenu et le contenant, ce qui permet d’obtenir un résultat savoureux… Une gastronomie simple et accessible au plus grand nombre.

Développer une « boulangerie hors-les-murs » ? Thierry Marx incitait les boulangers à sortir de leurs échoppes pour développer des « kiosques », où ils pourraient proposer uniquement des produits de restauration rapide. Je ne suis pas certain que ce soit un axe de développement qui parvienne justement à développer la qualité du produit, et en particulier du pain. Une des intervenantes, Christina Colombier, en pleine reconversion professionnelle, souhaitait quant à elle développer une boulangerie « ambulante ». Ce principe pourrait permettre de redonner accès à un pain de qualité dans des zones rurales, souvent désertées par les artisans, faute de rentabilité. La mise en place de « fournils mobiles », qui réaliseraient la cuisson sur place, tout en assurant une certaine dimension théâtrale, a également été évoquée : certes, la transparence est assurée (et elle est importante dans une période où les produits industriels remplissent les fournils…) mais est-ce que toutes les conditions pour produire un pain de qualité sont réunies ? Pas convaincu.

La consommation sur place, un facteur de proximité avec son artisan boulanger. De plus en plus de boulangeries ont mué en de véritables « salons de thé » au cours des dernières années. En effet, il est bien différent pour le consommateur de prendre un petit déjeuner, une viennoiserie, chez son artisan ou dans un établissement de restauration. La relation entretenue avec le boulanger est bien plus forte et certains l’ont compris. Le consommateur peut alors profiter de l’ambiance spécifique au lieu… mais tout cela a un coût, les loyers sont toujours plus élevés et peu de commerçants peuvent s’offrir ce « luxe ». Cela laisse alors plus de place et de latitude aux grandes marques du secteur, dont la qualité est loin d’être aussi intéressante que celle proposée par un artisan.

Thierry Marx n’était pas seul sur scène, d’ailleurs, et c’est l’un des boulangers représentant sans doute le mieux cette « réussite » de la boulangerie-salon de thé, Dominique Saibron, que l’on a pu entendre. Aussi bien au Japon que dans le 14è arrondissement, la « reality-boulangerie » telle qu’il la nomme, avec son fournil visible et ses places assises créé de véritables lieux de vie.

Pour enfoncer le clou, les intervenants ont terminé le « débat » en réalisant une démonstration autour des produits de Thierry Marx. Croque Monsieur, sandwich au pastrami… l’idée était de démontrer qu’il était possible de concevoir une restauration rapide simple, de qualité, qui puisse être exécutée par les boulangers sans difficultés. Un peu laborieux et pas franchement convaincant en définitive, mais pourquoi pas. Notre chef, arborant fièrement ce soir là une veste « Badoit Express » (en référence à une opération de communication anecdotique, transformant une rame du RER C en restaurant gastronomique), a pu au moins assurer le show comme il sait si bien le faire…

Certaines villes font vivre leur héritage historique au quotidien, parviennent à le conjuguer au présent en raison de sa force encore vive aujourd’hui. Cela se caractérise souvent par des dorures, des touches qui attirent l’oeil, peut-être pas le mien mais sans doute celui des touristes. D’un côté, rien de plus compréhensible : il faut savoir utiliser ses atouts.

A Versailles, le fameux roi Louis XVI a laissé une trace quasi-indélébile, ne serait-ce qu’en façonnant le paysage de la cité au travers du majestueux château et de son parc, largement garni de fontaines et autres jardins aménagés. Au quotidien, cela a forcément un impact sur la façon de vivre des habitants, qui côtoient des visiteurs venus de toute la planète pour observer la légende. Pas question de les décevoir, pensez-vous.

J’ai été faire un petit tour dans cette ville, par ailleurs fort bien desservie par les transports en commun puisqu’elle ne compte pas moins de… trois gares. Jolie performance.
Dans les grandes artères qui tronçonnent le territoire, je me suis un peu promené pour vous ramener les adresses les plus «painrisiennes». Avant toute chose, il faut noter que les grandes enseignes se sont engouffrées dans la masse de revenus potentiels que constitue cet afflux de touriste, et qu’elles sont ainsi présentes en nombre dans les rues du centre-ville. Rien de bien dépaysant ni royal là dedans, à peine quelques points de repères pour des étrangers. Les loyers et prix sont donc fortement comparables à ceux que l’on peut retrouver à Paris, plutôt compréhensible me direz-vous.

La Maison Guinon, ex-Julien.

D’ailleurs, la comparaison ne s’arrête pas là puisque certains «grands noms» de notre univers boulanger ont pris part à l’aventure versaillaise… C’est le cas de la famille Julien, qui avait ouvert ici une succursale. La boutique a depuis été revendue, mais leur empreinte reste bien présente dans les produits proposés autant que sur le logo qu’affiche l’endroit. Au delà d’une question d’apparence, la gamme de produits est toujours aussi large… Abondance dans les vitrines, mais pas dans la qualité. Le pain est juste passable, tout comme les viennoiseries. Pâtisseries, produits traiteur et autres gourmandises jouent la carte d’un classicisme ennuyeux.

Quelle abondance en entremets, pour un jour de semaine… La Maison Guinon semble attendre de grandes tablées !

Une autre dynastie boulangère a marqué la cité royale, en effet, les Bigot sont implantés historiquement sur le territoire avec deux boutiques – dont l’une intègre un espace salon de thé. A noter que la famille a également essaimé au sein du centre commercial Parly II, en plus d’avoir tenté pendant quelques temps l’aventure parisienne, à quelques pas de la rue Montorgueil (la boutique a d’ailleurs été reprise par Midoré).
C’est sur la rue du Maréchal Foch que l’empire versaillais (un comble, n’est-ce pas) a jeté son dévolu, avec une présence au 38 et au 69. A une époque venait s’ajouter le numéro 16, repris en 2005 par Cyril et Nathalie Darras.

Boulangerie Darras

D’ailleurs, parlons de leur boutique, installée à quelques mètres du marché de Versailles, composé d’une partie extérieure et de halles permanentes. Le couple Darras vient tout juste de refaire à neuf sa boulangerie, en lui offrant un mélange de marron et de vert très réussi. On appréciera ici les différentes gammes réalisées avec un bel esprit de qualité et de simplicité : à l’entrée, les propositions salées (sandwiches, salades, quiches…) nous accueillent, rapidement suivies par les pâtisseries variées (éclairs, charlottes, tartes…), dans un style classique et soigné. Les viennoiseries ne sont pas forcément le plus grand intérêt du lieu, mais cela est largement compensé par le pain, réalisé à partir d’une farine livrée par Foricher. La baguette de Tradition et ses notes acidulées est d’un excellent niveau, tout comme la tourte de Seigle ou le fameux pain des Gaults, vendu au poids. J’ai eu l’occasion de rencontrer Cyril Darras, et je reviendrai sur son entreprise prochainement.

D’autres boulangeries sont également présentes dans la ville, comme la très honorable maison Hervet, dans le secteur de la gare de Versailles-Chantiers, ou encore la boutique Lebreton, dont la baguette Rétrodor se révèle plutôt décevante, surtout quand on sait ce que certains artisans parviennent à réaliser avec la même farine et recette. Citons aussi l’affaire tenue par Karine et Yvan Rousier, sur la rue Hoche.

Pour les pâtisseries et le traiteur, la fameuse maison Gaulupeau s’impose certainement comme la référence locale, avec des gammes variées et même une sélection d’épicerie fine (dont les épices de chez Terre Exotique). Le tout est très soigné, et même si la note aura tendance à se faire très parisienne, il n’y a pas grand chose à redire sur la prestation.

Même constat chez Gaulupeau : les versaillais semblent avoir de gros appétits en semaine !

Déception par contre du côté de chez Franck Daubos, dont les chocolats sont pourtant tellement vantés par le Club des Croqueurs de Chocolat. D’apparence terne (mauvaises conditions de conservation, manque de fraicheur ou problème à la fabrication ?), les diverses ganaches testées se sont révélées pâteuses et aux saveurs bien fugaces. On passera également notre tour sur le pain que distille la maison, ainsi que sur les pâtisseries plutôt moyennes.

Versailles ne manque donc pas d’occasions gourmandes, et ce à l’intérieur même du château, où le groupe Bertrand a pris ses quartiers, en profitant pour multiplier encore une fois sa demoiselle Angelina… certainement pas l’adresse la plus authentique de la ville, mais que voulez-vous, dès lors qu’il y a des touristes !

Le marché et ses halles, organisées en différents « carrés » – au premier plan, le carré aux Herbes.

Nous avons besoin de créer des événements pour nous souvenir de l’importance des choses simples qui façonnent notre quotidien. C’est triste mais c’est ainsi. Triste parce que beaucoup d’organismes commerciaux, plus ou moins bien intentionnés, en profitent pour s’accaparer ces instants et les détourner dans leur intérêt. Journée de la femme, fête des mères, des pères, de la gastronomie… Difficile de toutes les citer.

Nous sommes en plein dans la semaine du Goût. Enfin, en plein, elle s’achève. Comme chaque année, cet événement aura concentré les attentions de quelques entreprises de restauration scolaire, soudainement soucieuses de l’éducation culinaire de nos têtes blondes, d’industriels variés mais tout de même de quelques restaurateurs, qui ont fait l’effort de proposer une « table du Goût », avec une réduction de 50% sur leurs tarifs pour les étudiants. Pour d’autres, cela se concrétisait par des ateliers disséminés au fil des jours. Des initiatives un peu timides à mon sens, mais il faudrait savoir se contenter de peu en la matière.

Toujours est-il que certains en ont profité pour nos faire partager un peu de leur créativité, et c’est le cas des boulangers de la Conquête du Pain, à Montreuil. J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de cette boulangerie autogérée, porteuse d’un véritable projet social. Un exemple ? Le tarif « de crise » mis en place pour les personnes dans le besoin, dans l’esprit de toujours proposer du bon pain à ceux qui d’ordinaire ont du mal à se l’offrir.
En dehors de ces pratiques et de leur engagement, ces artisans ont également à coeur de faire bouger les papilles de leur clients, avec des pains éphémères (au boudin et aux pommes en octobre, au figues et aux noix en septembre…) mais aussi des gourmandises plus surprenantes.

C’est ainsi que j’ai pu découvrir une pomme bien particulière. Elle avait perdu son habit de peau pour en revêtir un autre, certes plus épais mais non moins élégant… Une croûte, en réalité… de brioche ! On la retrouvait ainsi comme déposée dans un cocon, fondante et presque confite. Les attentions portées à son égard ne s’arrêtaient pas là, puisque son coeur de pépins avait été remplacé par des fruits rouges, apportant quelques notes acidulées bien agréables. Le tout avait été nappé d’un miel aux épices, avec des parfums dominants de cannelle. La brioche qui entourait l’ensemble contribuait à nous transporter dans un doux univers, avec son caractère beurré et moelleux, bien que j’aurais tendance à la trouver un poil sèche.

Le plus beau dans tout cela était sans doute dans le caractère généreux du geste, puisque ces curiosités étaient offertes aux gourmands qui en faisaient la demande… Une bien jolie découverte, que j’espère retrouver en dehors de cette période particulière, ayant été séduit par l’idée.

Pomme en croûte de brioche (aux fruits rouges et son miel aux épices), La Conquête du Pain – Montreuil (93), produit proposé à l’occasion de la semaine du Goût, du 14 au 19 octobre 2012.

Les centres commerciaux sont loin d’offrir des perspectives particulièrement réjouissantes pour les painrisiens que nous sommes. Ils concentrent bien souvent de grandes enseignes de la restauration ou de la « boulangerie », proposant des produits standardisés et industriels. Les nouveaux centres auraient bien du mal à faire exception, même s’ils font des efforts considérables pour proposer une offre de services toujours plus qualitative.

Ce 18 octobre était un grand jour pour Unibail-Rodamco, puisque c’était aujourd’hui qu’ouvrait sa toute nouvelle vitrine en très proche bordure de Paris : en effet, c’est à Levallois-Perret, à quelques minutes du 17è arrondissement, que se situe So Ouest.

Le bailleur d’espaces commerciaux a mené au cours de ces dernières années une véritable politique d’élévation de la gamme de son parc, à l’image des centres comme Carré Sénart (Lieusaint – 77) ou le CNIT de la Défense, avec des espaces toujours plus lumineux et une attention particulière portée à l’expérience client : développement de programmes de fidélité avec le centre en plus de ceux proposés par les boutiques elles-mêmes, accompagnement lors de périodes d’affluence… Rien n’est laissé au hasard, au point même qu’à Lieusaint et à Levallois, on parle de shopping « 4 étoiles ».

Au delà du marketing, j’avais envie de découvrir la réalité sur le terrain, et en particulier du côté du magasin Marks & Spencer, qui se vantait d’être l’un des plus grands d’Europe, avec un rayon… boulangerie.
J’ai déambulé dans les allées, contemplé ce mélange hétéroclite de cuisines du monde, observé avec beaucoup de tristesse tous ces fruits et légumes vendus sous emballage, ai été surpris par le coin traiteur en « service assisté » avec confection sur place de pâtes fraiches… pour me retrouver face à ce fameux fournil.

Le caractère industriel de ces pains fait peu de doutes…

Fournil, vous dites ? Parlons plutôt d’un terminal de cuisson. Les employés qui y oeuvrent ne sont pas plus boulangers que vous et moi, malgré les charmants tabliers et chapeaux qu’ils sont contraints de porter. Leur rôle ? Assurer le show, puisque c’est bien le concept redoutable développé ici. Du pain chaud toute la journée, avec des cuissons en permanence. Le choix ne manque pas, entre baguettes, bagels, bâtards et autres pains aux ingrédients, accompagnés par des viennoiseries. De l’industrie, et des additifs, à l’image de l’acide ascorbique que l’on retrouve dans la composition des produits vendus sous emballage dans les étagères toutes proches.
On retrouve également quelques produits ethniques (naans, pains italiens…) à réchauffer, du côté des vitrines réfrigérées, ainsi qu’un espace Café au 2è étage.

J’avoue avoir du mal à comprendre l’enthousiasme que peut susciter l’enseigne, comme si les français avaient gardé vis à vis d’elle un rapport presque « affectif » depuis son départ de nos contrées il y a quelques années (l’affluence lors de l’ouverture sur les Champs-Elysées n’en est qu’une autre preuve !).

Un présentoir boulangerie-pâtisserie qui n’a rien à envier à celui développé dans nos boutiques artisanales

So Ouest, c’est aussi un hypermarché E. Leclerc, avec son inévitable rayon boulangerie-pâtisserie. Ce dernier a été très soigné, avec des présentoirs reprenant les codes de la boulangerie artisanale, et un service humain en plus des produits déjà emballés. On notera la présence d’une large gamme de petits pains, traditionnels ou aromatiques (à la moutardine, notamment), ainsi que d’une baguette de Tradition. Son prix est d’ailleurs loin d’être particulièrement attractif : certes, elle est proposée à 88 cts… les 200g ! Le prix au kilogramme est donc très proche de celui pratiqué par les artisans boulangers, pour un produit à peine médiocre.

Un petit tour au travers des allées de la galerie marchande nous laisse aussi l’occasion de découvrir la boutique Berko, dont l’expansion semble irrémédiable, ou encore du point de vente Paul, quasi-indéboulonable pour les centres commerciaux. On notera tout de même l’ouverture du 4è restaurant français de l’enseigne de restauration rapide haut de gamme Prêt à Manger (même si là encore, rien d’exceptionnel côté pain pour les sandwiches).

Vous l’aurez compris, So Ouest ne révolutionne pas le genre en boulangerie, ce qui est regrettable mais certainement pas surprenant.

J’aurais pu me contenter d’être un blogueur parcourant les rues de Paris pour goûter du pain et partager mes découvertes. Seulement, ce n’est pas tout à fait ma vision de l’engagement que je peux avoir vis à vis de mes lecteurs, et plus généralement du sujet que j’ai choisi de traiter. Le pain n’est certainement pas un produit comme les autres, et il mérite une attention toute particulière pour en saisir tous les aspects et enjeux.

C’est pourquoi je vais plus loin, pourquoi je prends de mon temps pour participer aux événements qui ponctuent la vie de la profession. Dans cette optique, j’avais sollicité la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française afin de participer au congrès Univers Boulangerie 2012, qui se tenait les 14 et 15 octobre au Palais des Congrès du Futuroscope, près de Poitiers. L’organisme n’a pas rechigné à m’inviter, et je les en remercie.

Ainsi, j’ai pu prendre la température dans cette institution qui se veut fédératrice des artisans boulangers français, tout en portant l’évolution des pratiques du secteur. De « grands thèmes » ont été évoqués au cours de ces deux jours :

  • Le « snacking » – restauration rapide en français – et la place que les boulangers peuvent y prendre, avec notamment l’intervention du chef étoilé Thierry Marx ;
  • Les évolutions de la relation client, avec Gérard Baillard, Directeur de Mercuri International Business Partners ;
  • Les mutations de l' »entreprise boulangerie », avec une attention portée sur la proximité, le Rural et l’Urbain et l’intervention de Sylvia Pinel, Ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme ;
  • Les sources de croissances pour demain, au travers d’un débat animé par le fameux Franz-Olivier Giesbert.

Je reviendrai plus en détails sur ces différents sujets au cours des prochains jours, mais l’objet de ce billet était avant toute chose de faire un bilan global de l’événement et de sa teneur. Si j’ai parlé de « Grand Messe » en titre, ce n’est certainement pas par hasard. Univers Boulangerie avait tous les attributs d’un grand show, avec en vedette le président Crouzet. Un animateur, une mise en scène, de la musique pour ponctuer les entrées des intervenants, … en bref, une organisation sans faille, seulement il ne faudrait pas oublier le contenu.

Magic-Crouzet est dans la place !

L’intitulé de la manifestation était « La boulangerie autrement, une nouvelle donne ». Cela met bien en valeur le fait que la profession est au fait des enjeux auxquels elle doit faire face, avec notamment une montée progressive de la moyenne et grande distribution dans la consommation de pain. Seulement, il ne suffit pas d’être au fait des problèmes, il faut aussi y répondre de façon pertinente. Ici, on semblait convaincus que la solution était de se tourner toujours plus vers la restauration rapide, génératrice de marges élevées et porteuse d’une certaine valeur ajoutée. Cette tendance a été adoptée depuis bien longtemps par les boulangers parisiens, mais je ne suis pas certain que ce soit l’élément à mettre en valeur avant tous les autres.

En effet, au cours des débats et échanges, j’ai très peu entendu parler de qualité… et de pain, en définitive. Il ne semble pas être à l’ordre du jour de chercher à soigner le savoir-faire de base de l’artisan, en commençant par réaliser des pains savoureux, dépourvus d’additifs et ne faisant pas appel à des pré-mixes douteux. Pour cela, il serait aussi intéressant de se pencher sur la matière première, à savoir la farine… A Univers Boulangerie, ces sujets semblaient faire partie du passé : la boulangerie de demain devra se faire traiteur et développer sa capacité à entretenir une relation forte avec sa clientèle pour exister.

Je ne remets aucunement en question ce dernier point, et il y a du bon sens là dedans : nos artisans boulangers doivent communiquer et devenir visibles, sortir de leurs fournils, pour exister face à de grandes enseignes et mettre en valeur leur savoir-faire unique. Le rapport entretenu avec le client doit se faire plus « intense » et ponctué de moments forts afin de susciter l’envie et le plaisir de se rendre chez son artisan boulanger. Egalement, la dimension de conseil est importante, et je pense qu’elle demeure encore trop souvent négligée.

Le contenu des sacoches remises aux participants

Pour autant, je ne suis pas certain que l’on aille vraiment dans la bonne direction. Des détails ne trompent pas, comme la remise à chaque participant d’une charmante sacoche à l’effigie de la mutuelle MAPA, remplie de documents mettant en valeur la fameuse enseigne développée par la confédération (et facturée à un prix loin d’être modique, d’ailleurs), les prestations de banques et assurances ou encore des bienfaits de la levure… On comprend rapidement qui tient les cordes des bourses de la filière, ce qui est plutôt fatigant à la longue.

Si un mot m’a bien marqué, c’est sans doute celui de « fierté », accompagné d’un couvert d' »humanisme » que revêtirait la filière. Je ne sais pas si tout cela est bien approprié alors que 80% des boulangers mettent en oeuvre dans leur fournil des viennoiseries industrielles (un sujet rapidement évoqué mais plutôt éludé, pensez-vous, on était à Poitiers pour parler de la boulangerie de demain, pas de celle d’aujourd’hui et de tous ses travers !) ou que la plupart des artisans ne manquent pas une seule occasion de mettre en avant leurs problèmes de personnel… Où sont les raisons d’être fier ? Où est l’humain ?

Je finirai en évoquant rapidement le profil des personnes présentes à cet événement : je n’ai pas vu beaucoup de jeunes artisans, au contraire, les têtes étaient plutôt grisonnantes et les attentions portées autour des somptueux repas qui ponctuaient les débats. Cela représente pour moi le signe que cette confédération ne parvient pas à représenter nos boulangers d’aujourd’hui et surtout de demain… pas plus que beaucoup d’acteurs engagés de la filière dont j’ai pu vous parler au cours des derniers mois, qui avaient fait le choix d’être absents d’Univers Boulangerie. Assez compréhensible, me direz-vous.

Malgré la largeur des gammes développées par certaines boulangeries, la plupart d’entre elles ne brillent pas par leur créativité, ou par la saisonnalité de leur produits.
En effet, peu d’artisans indépendants prennent la peine de proposer des pains adaptés aux saisons, les contraintes liées à d’éventuels fruits n’étant pas aussi présentes que chez les pâtissiers, où les gammes doivent se renouveler afin de susciter l’intérêt des gourmands. A l’inverse, la farine est heureusement disponible toute l’année, qu’elle soit de blé, de seigle ou encore de sarrasin… Seules certaines d’entre elles sont plus soumises à ce type de contrainte, comme la farine de châtaigne dont la disponibilité demeure limitée si l’on fait le choix d’utiliser une matière première d’origine contrôlée, comme l’AOC associée à la châtaigne de Corse.

Certains ont cependant bien compris l’intérêt de proposer des produits différents en fonction du temps et des envies des consommateurs : nous n’avons pas les mêmes aspirations en été ou en hiver, et je dois dire que je me verrais mal manger des pains assez «riches», tels que ceux intégrant des ingrédients variés (raisins, noix, entre autres fruits secs…), dès que la température commence à grimper. On s’oriente alors naturellement vers des pains plus «légers» et moelleux, à l’image des spécialités du sud telle que la ciabatta ou encore la foccacia. Ainsi, les grandes marques boulangères ont développé des gammes de pains saisonniers, je vous avais d’ailleurs parlé de la création proposée par Baguépi/Soufflet l’an passé, même s’ils sont loin d’être les seuls à travailler en ce sens : Banette ou même Ronde des Pains / Grands Moulins de Paris vendent à leurs clients des sacs de «prémixes», sur lesquels leurs marges sont encore plus confortables et où les additifs ne manquent pas d’être présents en grand nombre…

Fort heureusement, nos boulangers les plus talentueux et passionnés se creusent aussi les méninges, associant farines et ingrédients supplémentaires. Je n’y avais pas été habitué dans les établissements de Philippe Tailleur, mais je ne peux que m’en réjouir : depuis quelques semaines, un sympathique «Pain d’Automne» a rejoint les pains Puissance 10, de Petit ou Grand Epeautre ou encore de Campagne que l’on retrouve habituellement ici.
Ce dernier associe les farines de châtaigne et de petit épeautre, accompagnées par des noix et des raisins. Une composition qui répond bien au nom, ces ingrédients évoquant bien les ballades dans les bois, les heures passées à ramasser des châtaignes que l’on prendra ensuite plaisir à griller au coin du feu…

Même si cette dernière est moulue, elle nous apporte ses notes douces et sucrées, qui enveloppent et contre-balancent la légère amertume des noix. Le petit épeautre apporte quant à lui un peu de gluten, ce qui permet d’assurer une bonne tenue à la mie et un pain relativement développé, à la bonne conservation. On appréciera ce choix pour toutes les qualités nutritionnelles que présente cette céréale, comme sa forte teneur en vitamines et minéraux. Les boulangers de Bread & Roses associent donc santé et gourmandise, pour notre plus grand plaisir.
Les raisins noirs de Corinthe, parfumés et d’excellente qualité, se placent dans le prolongement du caractère doux et sucré que développe la mie.
Le plaisir se fait également visuel, car nous avons affaire à un pain au façonnage élégant, dont la forme de type Bâtard assez allongée permet de couper de petites tranches, idéales dans le cas d’un pain «gourmand» tel que celui-ci.

Comme les autres produits de la gamme proposée ici, le Pain d’Automne bénéficie d’une certification biologique, ce qui explique en partie son prix : 6 euros 80 la pièce de 400g, soit 17 euros le kilogramme… Nous quittons là, à mon sens, les limites du raisonnable et je ne peux que le regretter : ce pain est donc une gourmandise, presque un gâteau, que l’on peut s’offrir de manière occasionnelle. Dans un sens, sa composition assez riche (car les fruits secs y sont représentés en nombre) le justifie tout autant.

En définitive, voilà donc un beau produit de saison – à l’excellente conservation, d’ailleurs, ce qui est bienvenu en ces temps humides -, nous offrant une petite balade dans les sous-bois, même si cette dernière restera plutôt rare en raison d’un prix très élevé…

Pain d’Automne, Bread & Roses – Paris 7è, pain vendu à la pièce – 6,8€ les 400g.

Paraît-il que le XVIIIè arrondissement est le secteur parisien concentrant le plus de « bonnes boulangeries ». Certains attribuent même cela à… l’eau. Certes, cela demeure un ingrédient important dans la réalisation d’un pain, puisque les pâtes sont très largement hydratées, mais je ne suis pas vraiment convaincu par cette explication. En réalité, j’aurais plutôt tendance à dire que c’est lié à une certaine culture du goût et à une tradition développée de longue date.

Au delà des boulangeries, il y a aussi les célèbres vignes de Montmartre. Chaque année, leurs vendanges sont fêtées début octobre au travers de diverses animations réparties sur plusieurs jours. Cette année, elles débutaient aujourd’hui, avec une attention toute particulière portée aux enfants.
En effet, en 2012, Montmartre fête les gourmandises et il est essentiel d’éduquer les plus jeunes au goût, de partager avec eux de bons produits. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, et beaucoup de travail reste à faire dans les établissements de restauration scolaire. D’ailleurs, le chocolat y sera mis à l’honneur demain, à l’occasion de la journée chocolat. Un repas développé autour du cacao sera servi aux écoliers du XVIIIè, en partenariat avec la si charmante SOGERES.

La chorale en prélude du goûter

Aujourd’hui, du côté de la Porte de Clignancourt, un goûter géant et multicolore avait été organisé pour les petits et les enfants. Au programme, de la musique, avec la fanfare théâtrale des Grooms, accompagnée de la chorale de jeunes du 18e Ado dièse dirigée par Claire Dagnicourt et des P’tits Poulbots de Montmartre.

Au moins, les viennoiseries étaient artisanales, ce qui n’est pas toujours le cas dans les goûters que l’on offre aux enfants ! Une belle occasion de les sensibiliser au goût unique des croissants & pains au chocolat « maison ».

Suite à cette introduction musicale, 50 étudiants du CFA de Belliard ont oeuvré derrière les buffets recouverts d’amusantes nappes multicolores. Sur 70 mètres de long, les gourmandises fournies par les meilleurs boulangers de l’arrondissement étaient offertes à l’appétit de nos gastronomes en culottes courtes.

De gauche à droite : Pascal Barillon, Jacky Fradin & Djibril Bodian

Pascal Barillon et Djibril Bodian avaient fait le déplacement, mais Anis Bouabsa, Gontran Cherrier, Arnaud Delmontel, Sébastien Mauvieux ont aussi contribué à l’événement en apportant chocolats, mini-viennoiseries, chouquettes multicolores et autres sucreries… De quoi éclairer l’après-midi de ces bambins, malgré un temps plutôt maussade.
On saluera également la présence de Jacky Fradin, président-adjoint de la Chambre Professionnelle de la Boulangerie-Pâtisserie d’Ile-de-France. Ce boulanger a longtemps proposé ses produits dans l’arrondissement, puisqu’il était précédemment installé… au 4 rue du Poteau, en lieu et place de Rodolphe Landemaine, tout fraichement arrivé dans les lieux !

Les financiers et autres gourmandises ont suscité l’enthousiasme des enfants.

C’est pour moi une belle illustration de la relation que doivent entretenir les artisans boulangers avec la communauté dans laquelle ils s’inscrivent : au delà d’échanges purement monétaires, ils participent à la vie des habitants du quartier et peuvent apporter bien plus que du pain… de la vie, du partage, tout simplement. Un fait qui les différencie nettement des grande enseignes et autres marques impersonnelles, qui se contentent de porter de l’intérêt à leurs profits.

Arnaud Larher avait contribué avec des chocolats multicolores