Billets d'humeur

04
Fév

2013

Il est beau, mon congélo

5 commentaires

Même si ces dernières années ont vu marquer le retour à la « tradition » en ce qui concerne les pratiques de fabrication du pain, il faut savoir vivre avoir son temps et recourir à des technologies modernes. D’ailleurs, les « chambres de pousse » en font partie et permettent de faciliter le travail du boulanger en régulant l’activité de la pâte, tout en offrant la possibilité de réaliser des temps de fermentation très longs, nécessaires pour obtenir un pain savoureux et de qualité (conservation, texture, etc.).

Parmi les outils fortement utilisés dans les laboratoires, on compte le… congélateur. Vous savez, ce fameux ami qui permet de, selon la terminologie utilisée, « bloquer » les pâtes, « passer au dur », ou tout simplement et prosaïquement de… congeler. Le froid négatif a fini par avoir une image tout aussi peu reluisante que son nom, car il est souvent rattaché à des produits industriels. En effet, difficile de transporter viennoiseries, pâtisseries et autres gourmandises que sous forme congelée… pour autant, ce n’est pas la seule utilisation que l’on peut faire du processus, et nos artisans sont amenés à y recourir pour les produits issus de leur fabrication.

A cela plusieurs raisons : dans certains cas, elle peut être technique : en pâtisserie, les pièces moulées ou floquées doivent nécessairement passer en dessous des 0°C, ne serait-ce que pour des questions de tenue et de consistance. Ensuite, il est souvent question d’organisation. Quand l’entreprise grandit et ouvre plusieurs points de vente, la logique de rationalité suggère de regrouper des postes plutôt coûteux : ainsi, la viennoiserie peut être réalisée dans un seul fournil puis envoyée dans les autres boutiques, où elle sera cuite. Rien de bien répréhensible là dedans, puisque cela permet au contraire une meilleure uniformité de résultat entre adresses, et ainsi une plus grande satisfaction de la clientèle. De plus, les produits restent fabriqués « maison », avec – on l’espère ! – des matières premières sélectionnées et une attention toute particulière portée au goût et à la qualité.
A l’inverse, les plus petites boulangeries pourront y recourir pour des questions d’organisation : difficile de se consacrer au tourage tous les jours dans un espace restreint et avec des moyens humains tout aussi limités. Si tout cela est réalisé avec soin et dans de bonnes conditions, la qualité du produit n’en est pas altérée.

Des viennoiseries industrielles et surgelées à la mise en scène alléchante

Des viennoiseries industrielles et surgelées à la mise en scène alléchante

Là où cela se gâte, c’est quand la technologie est mise au service de pratiques discutables. Bien entendu, la première qui nous vient à l’esprit est celle que j’ai évoqué plus haut, le recours à des produits industriels. Ce n’est malheureusement pas la seule : certains l’utilisent ainsi pour « bloquer » des douceurs et les remettre en vente le lendemain… La surgélation de pâtisseries déjà finies et décorées n’est vraiment pas souhaitable, mais dans ce cas, c’est pire : certaines des bases utilisées (inserts de fruits, notamment) ont parfois déjà subi un processus de décongélation. Les risques sont donc élevés en bout de chaine, mais cela ne semble pas être la préoccupation première pour les « brebis galeuses » que compte – comme toutes les autres, d’ailleurs – la profession.

Ces donuts ne sont pas sans rappeler ceux que l'on retrouve fréquemment en boulangerie artisanale...

Ces donuts ne sont pas sans rappeler ceux que l’on retrouve fréquemment en boulangerie artisanale…

Il y a aussi d’autres excès, plutôt anecdotiques et finalement lassants au quotidien. Par exemple, on trouve encore dans les vitrines de certaines maisons (dont certaines réputées) des… parts de bûche de Noël. Nous sommes début février, je crois que la saison est passée depuis quelques semaines. Seulement, hors de question de perdre des « trottoirs », comme on les surnomme dans le jargon… Peut-être aurait-il mieux valu faire preuve d’un peu plus de clairvoyance en amont, en limitant les quantités produites plutôt que d’en faire trop. Au final, cela traine dans les congélateurs, et je n’ose pas imaginer depuis combien de temps : la préparation des fêtes débute bien souvent dès la rentrée de septembre, en phase avec les diverses présentations presse que connaît le milieu. Le goût est un peu amer, même si cela tient plus d’une impression générée par l’esprit que d’un ressenti réel.
Je crains d’ailleurs que l’on puisse faire le même constat pour les galettes des Rois, qui risquent fort de nous être servies encore quelques temps. Au final, plus de saison (en terme d’ingrédients, comme les fruits, mais aussi de produit fini !) et des habitudes de consommation toujours plus étranges. Il est beau, mon congélo, tiens.

Ne reculons devant rien : la gamme s'étend aussi du côté des pains, et notamment pour la restauration rapide.

Ne reculons devant rien : la gamme s’étend aussi du côté des pains, et notamment pour la restauration rapide.

Les restaurateurs s’intéressent de plus en plus à la boulangerie, et même si ce n’est pas tellement visible en France, on compte à l’international quelques exemples plutôt intéressants de diversification : ainsi, Joël Robuchon s’est lancé dans l’aventure avec des espaces dédiés au pain et douceurs variées en Asie (Japon, Taïwan, …). Alain Coumont, le fondateur du Pain Quotidien (aujourd’hui revendu), avait commencé par être restaurateur avant de prendre un virage vers la boulangerie. Les exemples sont nombreux, et à ce propos, le bruit court qu’un chef étoilé chercherait actuellement des emplacements sur Paris… affaire à suivre.

Carte de visite, Au Vide Gousset, la boulangerie

D’autres suivent bien entendu le chemin inverse, et transforment leurs boulangeries en restaurants (suivez mon regard !), mais ce n’est en tout cas pas le projet de Lionel Favario, boulanger de formation, qui a repris il y a tout juste 4 mois la boutique située au 10 rue des Petits Pères. Déjà tenancier du Vide Gousset attenant, cet entrepreneur frôlant tout juste la quarantaine porte un dynamisme vivifiant, précisément celui qu’il fallait pour redonner à cette superbe boulangerie d’époque un souffle de vie.

Son objectif ici ? Réaliser des produits simples, dans la plus pure tradition boulangère. Rien de plus actuel. A l’origine, il souhaitait se concentrer sur 4 produits « phare » : le pain des Petits Pères, la Fouace, le Flan aux oeufs et la tarte fine aux pommes. Bien entendu, nous sommes à Paris et il y a une équation économique à réaliser. On retrouve donc quelques sandwiches, deux pâtisseries assez boulangères au demeurant (millefeuille, Paris-Brest) et des douceurs à consommer sur le pouce. Dans chacun des cas, les matières premières sont sélectionnées avec soin : beurre AOC de Montaigu pour les viennoiseries, chocolat Michel Cluizel premier cru de Papouasie pour les pains au chocolat et financiers cacao, farines des Moulins Bourgeois… Le résultat ne saurait être savoureux sans de bonnes bases.

La boutique il y a encore quelques semaines. A présent, plus de consommation sur place, et plus d'enseigne. Les teintes ont également changé pour adopter un marron assez foncé de très bon effet.

La boutique il y a encore quelques semaines. A présent, plus de consommation sur place, et plus d’enseigne. Les teintes ont également changé pour adopter un marron assez foncé de très bon effet.

Des bases, Lionel Favario en a trouvé en se portant acquéreur de l’endroit, qui portait il y a quelques semaines encore l’enseigne « Au Panetier ». Du côté de la clientèle, tout d’abord, habituée à un certain type de produits et peu portée sur le changement. Dès lors, c’est un véritable travail de pédagogie qu’il a fallu mener pour montrer la valeur et l’intérêt des nouvelles gammes. Moins visible, l’aspect production n’était pas à négliger : difficile de changer des habitudes prises depuis plusieurs années pour certains membres du personnel, lequel n’a pas quitté les lieux lors du changement de propriétaire. Cet aspect est pour beaucoup de la période de « rodage » que l’on doit observer et respecter lors d’une reprise.

Pour autant, on aurait peu de choses à reprocher à l’offre de la boulangerie du Vide Gousset. Son pain des Petits Pères possède un caractère bien trempé, avec une mie très hydratée tout en conservant une croûte assez fine, comme l’a souhaité Lionel Favario. Travaillé sur levain (avec des temps de fermentation très longs, sur plusieurs jours), avec un mélange de trois farines, sa mie est assez peu alvéolée même si l’artisan propose à sa clientèle différentes « versions », plus ou moins développées. L’homme est intarissable sur le caractère addictif d’un tel produit consommé frais : l’humidité incite en effet à se saisir de la mie « au naturel », avec les doigts. Le temps faisant, le pain acquiert des arômes différents, qui peuvent être mis en valeur en le toastant légèrement. Ainsi, il a plusieurs vies… Tout comme la Fouace, cette brioche aveyronnaise peu beurrée, à la mie dense. Réalisée à l’époque le week-end par les paysans pauvres, cette création « festive » se parfume légèrement à la fleur d’oranger et est enrichie d’un peu d’angélique, à l’époque cueillies dans les champs en toute simplicité. Aujourd’hui, on peut très bien la consommer au petit-déjeuner, mais aussi en version salée avec du foie gras ou différents fromages. Elle s’intègre en version grillée dans des propositions du restaurant attenant, pour preuve de l’intérêt d’avoir lié ces deux maisons.

Le fameux Pain des Petits Pères et sa cuisson bien menée. Vendu au poids (8€/kg), ce pain se conserve très bien grâce à une mie fort hydratée qui évolue au fil du temps. On notera également la croûte assez fine, qui laisse beaucoup de champ à la mie dense mais tout de même relativement alvéolée. Lionel Favario souhaite, à l'avenir, travailler sur le caractère aromatique du levain utilisé pour la confection de ce pain, en y incorporant des épices, renforçant ainsi les arômes du produit.

Le fameux Pain des Petits Pères et sa cuisson bien menée. Vendu au poids (8€/kg), ce pain se conserve très bien grâce à une mie fort hydratée qui évolue au fil du temps. On notera également la croûte assez fine, qui laisse beaucoup de champ à la mie dense mais tout de même relativement alvéolée. Lionel Favario souhaite, à l’avenir, travailler sur le caractère aromatique du levain utilisé pour la confection de ce pain, en y incorporant des épices, renforçant ainsi les arômes du produit.

Le lien pourrait même aller plus loin : au delà des travaux de rénovation déjà entamés, l’entrepreneur envisagerait même d’aller plus loin et de regrouper les deux entités en un seul et même lieu, ce qui permettait de faire vivre la boulangerie au fil de la journée : un comptoir dédié à la vente à emporter au déjeuner, un espace salon de thé après 15h… tout cela dans ce magnifique décor, qui sera remis en valeur grâce à l’investissement mené ici.
Le bouleversement concerne aussi l’aspect production, car l’outil avait lui aussi été négligé par les précédents propriétaires. Il faut savoir que cette boulangerie compte 2 fours à bois : l’un d’entre eux est inexploitable et sert de soutien, mais l’autre pourrait tout à fait reprendre du service… c’est en tout cas l’ambition du boulanger, et on ne peut que l’encourager dans cette voie.

Même si du chemin a été parcouru, la route reste longue et pleine de possibilités : c’est ce qui motive Lionel Favario, jamais à court d’idées. La dernière en date : un cake « à l’ancienne », dont la mise au point vient juste de commencer. Voilà donc une aventure et un projet à suivre, d’autant plus qu’ils apportent du renouveau dans un quartier en mal de bon pain…

Infos pratiques

10 rue des Petits Pères – 75002 Paris / tél : 01 42 60 90 23
ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 19h.

Si j’aime le pain, c’est aussi parce que c’est un formidable vecteur d’échanges. On ne s’en rend pas forcément compte de l’extérieur, mais il existe une véritable « communauté » autour de l’aliment, et cette dernière prend parfois de bien curieuses formes. Bien sûr, il y a celle qui existe naturellement entre nous, consommateurs et amoureux de pain, puisque nous avons tous nos avis sur la façon de le consommer, sur le goût qu’il devrait avoir, sur les artisans les plus talentueux… mais de l’autre côté de la barrière, en coulisses, d’autres échanges se font pour parvenir à faire aboutir le processus, à nous délivrer chaque jour un produit savoureux.

Le plus évident est celui qui a lieu entre le boulanger et son meunier. Recettes, variétés de farine, souvent mélanges pré-conçus et autres questions ou mises au point au quotidien, l’artisan en appelle souvent à son premier fournisseur pour lui apporter des solutions.
Ce qui est plus intéressant à mon sens, c’est quand les spécialités plus ou moins régionales donnent lieu à des dialogues plus complexes, plus poussés. En effet, autant la baguette de Tradition doit se contenter de farine, d’eau, de sel et de levain et/ou levure, ce qui laisse peu de place à la fantaisie, autant les pains « spéciaux » constituent parfois des mélanges bien étudiés.

Foccacia, des Gâteaux et du Pain

Prenons la Foccacia, cette spécialité italienne moelleuse et aromatique. On la voit bien souvent maltraitée en restauration rapide, car réalisée de façon industrielle et avec des matières premières de piètre qualité. Seulement, quand on s’y intéresse, elle peut exprimer tout autre chose, nous raconter des histoires… et justement, ces fameux dialogues.

C’est précisément le cas chez des Gâteaux et du Pain. Non seulement la Foccacia aux Graines de Fenouil nous transporte directement en Italie, mais elle met en valeur la qualité exceptionnelle des matières premières mises en oeuvre pour sa fabrication. Il y a bien sûr la farine de Tradition T55 fournie par la minoterie Viron, mais aussi l’huile d’olive et les graines de chez Cédric Casanova. Aucune boulangerie n’avait fait le choix de se fournir chez lui pour réaliser du pain, et ce fut pourtant vers « La Tête dans les Olives » – le nom de sa boutique – que David Granger s’est tourné. Après une sélection minutieuse de la variété, nous retrouvons aujourd’hui un résultat particulièrement fruité et entêtant.

Foccacia, des Gâteaux et du Pain

A la dégustation, c’est une succession de saveurs et sensations qui s’offre à nous. On commence bien sûr par le moelleux et le fondant de cette mie légère, la douceur de l’huile d’olive, puis on rencontre les fameuses graines de fenouil et leur fraicheur anisée… pour terminer sur les grains de fleur de sel, qui relancent le plaisir, l’envie et contribuent à donner à l’ensemble de la longueur en bouche. Bien sûr, on peut choisir de la consommer seule, en l’émiettant presque sans façon… mais ce serait négliger sa capacité à sublimer des mets venus des douces contrées italiennes. Ainsi, une fois tranchée en deux, il est possible de la garnir de fromages frais – type ricotta -, de tomates, de jambon ou de Bresaola, d’un peu de roquette… puis d’écouter chanter les cigales, vous savez, une douce soirée d’été…

Je dois dire également que j’apprécie tout particulièrement l’idée d’avoir incorporé des graines de fenouil et pas un mélange d’herbes – généralement dites « de Provence » – comme c’est souvent le cas. La spécificité de cette herbe aromatique donne une dimension toute particulière au produit et le relève avec beaucoup de succès. David Granger et son équipe signent encore une fois un pain de caractère, en mettant en valeur des matières premières de qualité.

Foccacia aux Graines de Fenouil, des Gâteaux et du Pain – Paris 15è, vendue à la pièce – 3€ les 250g.

La force de l’imaginaire collectif, des souvenirs, des émotions, est impressionnante. La société peut changer, évoluer, être bouleversée comme elle a pu l’être ces dernières années, mais ces éléments demeurent et il en faut peu pour raviver cette flamme qui brûle discrètement au fond de nous. Nous sommes tous de grands enfants, heureusement dans un sens, car nous continuons et continuerons à courir après cet univers rassurant dans un monde désenchanté.

Les parisiens ont la Pâtisserie des Rêves pour combler leurs envies de douceurs régressives, même si le concept est plutôt marketé… Dans le Val d’Oise, à Beaumont-sur-Oise, on peut dire que l’on a la Boulangerie des Rêves, incarnée en toute simplicité et sincérité par la boulangerie Rouget.
Des rêves, des envies, Christophe Rouget n’en manque pas, et c’est toujours avec beaucoup d’enthousiasme qu’il me parlait lors de ma précédente visite de son projet d’acquérir une voiture d’époque pour réaliser ses livraisons… Oui, mais pas n’importe laquelle.

Garée face à la boulangerie, la Juvaquatre ne manque pas d'allure !

Garée face à la boulangerie, la Juvaquatre ne manque pas d’allure !

Depuis quelques semaines, la Juvaquatre bleue stationnée devant la boulangerie interpelle les passants. Entièrement rénovée à l’aide d’artisans sélectionnés à proximité ou parmi les plus talentueux dans leur métier, elle reproduit fidèlement le véhicule dans lequel le boulanger pouvait réaliser ses livraisons à l’époque… après 1945, dans une France libérée, où le pain – malheureusement souvent blanc ! – pouvait circuler sans difficulté à nouveau. C’est toute cette histoire, liée à sa famille présente dans la boulangerie depuis plusieurs générations, que Christophe Rouget a voulu faire revivre.
Si la couleur – le bleu « Air Royal Fly » – est d’origine, les décors ne le sont pas et c’est au rouennais Laurent Savisky que nous les devons. Dans son atelier de Darnétal, il a suivi avec beaucoup de précision les instructions de l’artisan boulanger, dont les exigences sur le logo – et ses fameux coquelicots – ou le pain à l’arrière du véhicule – dont le grignage se devait d’être fidèle à la réalisation – étaient nombreuses.

Sur le côté, on remarque les épis de blé bien dorés qui ornent la carrosserie.

Sur le côté, on remarque les épis de blé bien dorés qui ornent la carrosserie.

Aujourd’hui, les écoles et divers clients de la boulangerie sont livrés à l’aide de la Juvaquatre. Peu importe les difficultés que peut impliquer l’utilisation d’une voiture ancienne (démarrage compliqué, manoeuvres bien moins souples…), la récompense est là : entre articles de presse, plébiscite sur Facebook et questions passionnées d’enfants ou de curieux, on comprend bien que tout cela touche profondément les souvenirs et sentiments des gens. Ainsi donc Christophe et son frère David ne livrent plus que du pain… mais aussi des rêves. C’est inclus dans le prix, et le tout acquiert une saveur bien particulière. Sûrement celle d’un temps où le monde était moins empressé qu’il ne l’est maintenant, où l’on accordait plus d’importance au beau… et au bon.

Aucun détail ne manque à l'appel : le pain dessiné avec précision, la plaque d'immatriculation peinte à la main... Un véritable travail d'orfèvre !

Aucun détail ne manque à l’appel : le pain dessiné avec précision, la plaque d’immatriculation peinte à la main… Un véritable travail d’orfèvre !

Rêver est une activité bien louable, mais chez les Rouget, on sait aussi faire vivre ces rêves au quotidien, en gardant toujours un pied dans la réalité. Lors de ma précédente visite, l’artisan m’indiquait qu’il allait ouvrir un jour supplémentaire par semaine, le mardi. Une pratique qui lui a permis d’accroître sa clientèle, et ainsi d’embaucher un boulanger et un pâtissier supplémentaire, parmi ses anciens apprentis.
Il ne fait aucun doute que ce succès est lié au dynamisme de la maison : ainsi, ce week-end, une nouvelle création était proposée à la clientèle. La « brioche façon Tiramisu » (aux éclats de chocolat revenu dans du café) a eu un certain succès, avec plusieurs dizaines de pièces écoulées. Proposer des produits changeant un peu de l’ordinaire, susciter l’intérêt, voilà deux clés d’un artisanat boulanger qui perdure et fait face à la concurrence de l’industrie ou de la semi-industrie comme les « boulangeries de Marie » ou de Louise, très bien implantées dans le Nord.

Le décor sur le côté, Juvaquatre Rouget, Beaumont-sur-Oise

Rien n’arrête en tout cas Christophe Rouget, qui a déjà pour projet de reprendre le triporteur de la boulangerie de son père afin, une fois rénové, de réaliser des animations devant sa boutique aux beaux jours… sans compter des idées autour des macarons, sablés et autres gourmandises. A chaque visite dans cette boulangerie, je ressors vivifié par la simplicité, la générosité, le dynamisme et l’enthousiasme de la maison, que ce soit en vente, en production ou à présent devant la boutique, avec cette fameuse automobile. Vous aussi, si le coeur vous en dit, prenez le chemin de Beaumont-sur-Oise un jour, en semaine ou plus facilement le week-end… on y trouve du bon pain et des rêves.

Réflexions

27
Jan

2013

Transmettre le savoir… et le goût

Peu de choses parviennent à se développer si on les partage, ce serait même plutôt le contraire. Si je partage ma baguette, il m’en restera forcément moins à consommer, mais pour autant l’acte n’est pas anodin et inintéressant : cela exprime une volonté d’aller vers l’autre, de dépasser un état purement égoïste qui pourrait subsister si l’homme n’était pas un animal social par nature… même si l’affirmation pourrait largement être remise en question aujourd’hui.
Dès lors que l’on entre dans le domaine de l’esprit et de la connaissance, l’acte de partage propose à l’inverse un enrichissement manifeste auquel nous devons attacher la plus grande importance.

En boulangerie, pâtisserie et gastronomie, il est essentiel de savoir transmettre des compétences, des tours de main, une certaine vision du métier. C’est en effet l’assurance de pouvoir faire perdurer l’artisanat : certes, les organismes de formation font leur travail et certains parviennent à réaliser de véritables miracles sur des élèves pas toujours chanceux, mais la pratique, le terrain et la passion sont des vecteurs d’enseignement particulièrement riches.
Ainsi, l’apprentissage s’est développé et on compte de nombreux aspirants boulangers ou pâtissiers dans les rangs des grandes, ou même des plus petites, maisons parisiennes… Une pratique qui a malheureusement tendance à dériver vers de l’exploitation pure et simple, ces entreprises appréciant particulièrement le faible coût de la main d’oeuvre mise à leur disposition sans pour autant porter une quelconque attention à leur avenir et à l’intérêt que peuvent avoir les travaux réalisés par les apprentis pour ces derniers. Il n’est plus question de transmission…

Au fournil de la boulangerie Rouget, à Beaumont-sur-Oise, beaucoup de jeunes apprentis... visiblement heureux d'accomplir leur travail !

Au fournil de la boulangerie Rouget, à Beaumont-sur-Oise, beaucoup de jeunes apprentis… visiblement heureux d’accomplir leur travail !

A l’inverse, on ressent chez certains artisans une véritable passion pour cette mission. Je l’ai notamment retrouvée chez Christophe Rouget, qui place les jeunes au coeur de sa démarche. Ce fut notamment le cas pour la mise en place du concours de la Meilleure Baguette du Val d’Oise, où il souhaitait que les apprentis soient bien mis en valeur dans leur catégorie. Le résultat parle de lui-même : plusieurs des membres de son équipe ont été primés, une belle récompense pour le boulanger et les professeurs du CFA de Villiers-le-Bel. Pas de mystère : des individus qui se sentent valorisés auront bien plus tendance à donner d’eux-mêmes.
D’autres portent la même vision, à l’image de Benoît Castel pour qui l’apprentissage est tout aussi capital.

Lors du goûter multicolore organisé dans le cadre de la fête des Vendanges de Montmartre, les enfants avaient pu se régaler de douceurs offertes par les artisans du 18è arrondissement... Une belle occasion de leur transmettre le goût des bons produits.

Lors du goûter multicolore organisé dans le cadre de la fête des Vendanges de Montmartre, les enfants avaient pu se régaler de douceurs offertes par les artisans du 18è arrondissement… Une belle occasion de leur transmettre le goût des bons produits.

Au delà de cette transmission « professionnelle », il y a aussi celle du goût, et elle n’est pas moins importante : en effet, c’est à partir de cette dernière que se construisent nos habitudes de consommateur. Malheureusement, ce savoir se perd : nos têtes blondes sont éduquées avec des produits industriels, consomment en restauration collective des mets aux saveurs discutables, ne sont tout simplement pas habitués à reconnaître un « bon produit ». Peu à peu ils perdent l’habitude d’aller chez un artisan pour acheter quelques douceurs ou un morceau de pain, ils préfèrent la facilité offerte par la grande distribution…
Je pense sincèrement que l’école a un rôle à jouer dans l’éducation au goût, et ce dernier commence à être pris en compte au travers d’initiations et d’événements ponctuels. Là encore, nos amis boulangers ont certainement leur rôle à jouer en fournissant les établissements scolaires et en participant aux manifestations qui ponctuent la vie d’une commune.

Il y a tout un savoir à transmettre : savoir-faire, savoir consommer, savoir être tout simplement… si l’on oublie tout cela et que l’on adopte une attitude égoïste, je ne donne pas cher de l’artisanat boulanger ou pâtissier dans les années à venir.

Lorsque l’on élabore un plat, un pain ou une pâtisserie, on y incorpore parfois des décors, des détails qui le rendent visuellement plus attrayant. Seulement, il ne faudrait pas que leur intérêt se limite à satisfaire les yeux, ils doivent en effet apporter une touche supplémentaire en terme de goût ou de textures. Que ce soit un fruit, une fleur, une épice… il s’agirait presque de faire en sorte que son absence manque profondément au résultat final.

Bien sûr, cela ne peut pas toujours être le cas, mais en l’occurrence, le pain que je vous présente aujourd’hui n’aurait pas la même saveur et surtout pas le même esprit sans sa finition.
En effet, ce vendredi, le maïs Grand Roux du Pays Basque était à l’honneur dans la fameuse boulangerie Du Pain et des Idées, au travers d’une création que je n’avais pas eu l’occasion de retrouver depuis quelques temps. Cette variété de maïs avait disparu avec l’apparition des cultures industrielles, à tort, puisqu’elle demande très peu d’eau et résiste donc bien à d’éventuels épisodes de sécheresse. Il a fait son retour depuis peu de temps sous l’impulsion de quelques agriculteurs passionnés, à la recherche de variétés oubliées et « hors normes ».

Pain au maïs Grand Roux du Pays Basque, Du Pain et des Idées, Paris 10è

L’idée était de nous faire littéralement croquer dans l’épi, mais avec un pain. Pour ce faire, il fallait proposer un produit plutôt doux et sucré. Cela explique l’utilisation dans le cas présent d’une base de tradition, plutôt que de levain et de farines plus complètes comme c’est souvent le cas pour les « créations du vendredi » proposées dans cette boulangerie. Des essais avaient été réalisés, et cela masquait complètement le goût du maïs. Au final, c’est un mélange de 80% de farine de tradition et de 20% de farine de maïs qui a été retenu. Le résultat est convaincant, avec une mie assez dense, très hydratée, qui contraste bien avec la croûte épaisse et dorée, « signature » des produits proposés au 34 rue Yves Toudic. La douceur sucrée qui se dégage à la dégustation est renforcée par la présence de grains de maïs frais, qui fondent doucement sous la langue au fil des bouchées.

Si j’ai commencé par vous parler de décors et de détails, ce n’est pas sans raison : en effet, ce pain est recouvert d’un mélange bien particulier, un clin d’oeil à la façon habituelle de déguster un épi de maïs. Il est commun de le faire cuire entier, puis de croquer dedans avec une noix de beurre demi-sel. Une façon simple mais très savoureuse de profiter de ce légume, c’est certainement la meilleure façon de profiter du produit en saison. L’idée de Christophe Vasseur et de son équipe était ici de nous faire retrouver cette sensation. C’est pourquoi on retrouve ce fameux beurre demi-sel, accompagné d’un peu de shoyu. On retrouve là la patte de Kenji Kobayashi, preuve d’un travail en équipe réalisé au sein du fournil de la boulangerie. L’association de ces deux produits assaisonne le pain, les notes salées qu’ils expriment viennent « bousculer » la dominante sucrée du maïs. A cela s’ajoute la texture légèrement poudreuse du mélange, cette dernière amuse délicieusement notre langue. Voilà un décor qui n’en a que le nom, car il intègre pleinement notre expérience de dégustation.

J’ai donc pris plaisir à manger un Grand Roux, et même si l’expression peut être terrifiante sortie de son contexte, il est intéressant de voir comment certains boulangers réfléchissent à des façons de nous proposer des produits sortant de l’ordinaire. Le pain sort de sa place habituelle pour devenir un véritable objet d’évocation, de mémoire. Cela devrait être plus souvent le cas, je suis persuadé que nous consommerions alors beaucoup plus de cet aliment, nourriture du corps et de l’esprit…

Pain au maïs Grand Roux du Pays Basque, Du Pain et des Idées – Paris 10è, proposé aléatoirement le vendredi – 4,2€ le morceau de 450g.

Le pain est sans doute l’ingrédient que je placerais par excellence au dessus de toutes les tendances, modes et autres changements que peuvent connaître la plupart des autres produits de notre vie courante. Certes, sa qualité, son goût et ses formes ont pu varier mais c’est plus souvent pour des raisons de culture ou de contraintes extérieures. Pas toujours facile de se procurer une farine de qualité, surtout quand notre agriculture était moins « réglée » qu’elle ne peut l’être aujourd’hui. Sur le plan de la culture, le goût évolue selon les époques et nous ne sommes certainement pas habitués à la même alimentation que nos ancêtres. Pour autant, le pain demeure sur nos tables.

Malgré tout, certaines formes et spécialités peuvent avoir plus ou moins le vent en poupe. C’est actuellement le cas du bagel, qui a quitté ses contrées américaines d’origine pour déferler sur notre pays. Tout le monde s’y met, que ce soit de grands acteurs généralistes comme Mc Donald’s ou des enseignes spécialisées. A Paris, nous en connaissons déjà plusieurs : Ari’s Bagels, Bagel Tom, Bagels and Brownies, ou les strasbourgeois de Bagelstein. Ces derniers ont d’ailleurs entrepris une véritable offensive sur la capitale, en multipliant les points de vente très rapidement, ce qui peut amener à se poser quelques questions sur le caractère purement artisanal du produit. Bien sûr, le Marais et ses boulangeries yiddish en proposent également.

Certes, il s’agit de restauration rapide, mais celle-ci s’articule autour d’un pain rond, ferme mais moelleux et percé. Ce dernier est directement issu de la culture juive, ils ont suivi les immigrants juifs d’Europe de l’Est aux États-Unis et au Canada où ils sont servis garnis de fromage blanc, de saumon fumé ou d’autres ingrédients selon leur disponibilité et l’imagination du cuisinier. Chez nous, les bagels sont malheureusement souvent issus d’une production industrielle, où le respect du processus traditionnel n’est pas à l’ordre du jour, ce qui ne permet pas de pocher sur une table les produits comme ils devraient l’être.

Stanz, Paris 9è

Depuis septembre dernier, un passionné du pain rond a ouvert sa propre adresse – Stanz, « les Ateliers du Bagel » – à deux pas des Grands Boulevards. Franco-canadien, le fondateur des lieux souhaitait faire des bagels « comme là-bas », et il nous le trouve : dans la cuisine, visible derrière une vitre, sont confectionnées les multiples variétés. Encre de seiche, Pumpernickel, Pavot, Epinards… il y en a pour tous les goûts, et même en sucré, puisque des déclinaisons aux pralines roses, au chocolat et aux éclats de châtaigne ou encore aux raisins et à cannelle complètent la gamme.

Présentoirs, Stanz, Paris 9è

Bien sûr, on les consommera tout naturellement garnis, avec du poulet, de la viande fumée, du saumon… en mini ou en grand. L’intérêt pour les amateurs de pain est qu’il est aussi possible de les acheter « nature » : pour 3,5 euros les 3 pièces salées, les bagels s’avèrent d’excellente facture, à la fois fermes, denses et moelleux. En cette saison hivernale, des soupes sont proposées pour nous réchauffer un peu.
On appréciera aussi les amusantes « chips de bagels » – 1,5€ le sachet, cuites au four et non frites (sans ajout de matière grasse, donc). Leurs saveurs variées en feront des bases de choix pour des apéritifs gourmands, accompagnées de tapenades et autres tartinables divers (guacamole, …).

Les fameuses chips de bagels, très croustillantes

Les fameuses chips de bagels, très croustillantes

Les desserts s’inscrivent dans la même veine américaine : cheese-cakes, brownies et autres cookies, voilà de quoi assouvir une envie sucrée de façon bien rassasiante.
Pour rester dans le domaine de la douceur, penchons-nous du côté du service, particulièrement agréable, jeune et efficace. Ajoutons à cela que les équipiers sont présents en quantité suffisante, ce qui permet d’assurer sans difficulté un service de qualité en heure de pointe.

Cela devrait servir de décoration, mais pour moi, il s'agit plutôt d'un cimetière à bagels, au bon goût plutôt... relatif.

Cela devrait servir de décoration, mais pour moi, il s’agit plutôt d’un cimetière à bagels, au bon goût plutôt… relatif.

Infos pratiques

56 rue la Fayette – 75009 Paris (métro Le Peletier, ligne 7) / tél : 09 80 88 88 40
ouvert du lundi au vendredi de 9h à 20h30, le samedi de 10h à 19h.

Difficile de mentir sur le caractère artisanal et fait main des bagels de Stanz : leur irrégularité parle pour eux ! Ils n'en sont pas moins denses, moelleux et parfumés comme on peut le souhaiter.

Difficile de mentir sur le caractère artisanal et fait main des bagels de Stanz : leur irrégularité parle pour eux ! Ils n’en sont pas moins denses, moelleux et parfumés comme on peut le souhaiter.

Faut-il y aller ? Les amateurs de bagels ne seront pas déçus par le choix, la fraicheur et la qualité des produits. Les recettes élaborées autour de cette base de pain rond sont savoureuses, mais ce qui intéressera sans doute le plus les painrisiens que nous sommes, c’est de pouvoir acheter des bagels artisanaux, fabriqués à la main et pochés sur table, aux saveurs variées et non garnis, tout en restant dans des gammes de prix raisonnables : 3,5€ les 3 pièces salées, 1,1€ la pièce sucrée, rien d’excessif là dedans. En plus de cela, le lieu est simple, sobre et agréable, accompagné d’un service chaleureux et efficace. Voilà qui fait de Stanz un « Atelier du Bagel » bien agréable… et un concept qui sera certainement amené à se développer, voire à se franchiser. Souhaitons-leur en tout cas de la con…stanz, non, constance, dans la qualité.

Je suis parfois comme un touriste des boulangeries et du pain. Vous savez, ce public assoiffé de curiosités, à la recherche d’un peu de folklore local, pour avoir l’impression de bien saisir la culture locale. Bien souvent, ce n’est d’ailleurs qu’assez superficiel, car ce n’est certainement pas dans quelques couleurs un peu tapageuses et spécialités sorties de leur existence quotidienne que l’on peut apprécier une culture. Je fais le parallèle mais, j’espère que vous vous en êtes rendus compte, nous ne sommes pas tout à fait dans la même démarche ici… ou alors mes vacances ont déjà bien duré !

Boulangerie Asselin, Paris 13è

Pour autant, je crois qu’il est toujours bon de s’approcher un peu des adresses qui s’inscrivent dans ce fameux folklore boulanger dont je vous parlais plus haut, des boutiques où le temps semble être arrêté… pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Le pire, pas exactement, mais en tout cas un certain manque de dynamisme.
C’est le cas dans la boulangerie Asselin, située dans le quartier des Gobelins. La devanture annonce la couleur : la maison est restée figée dans les années 80, ce qui a pour conséquence directe de nous proposer une ambiance un peu rétro, qui tranche nettement avec les standards boulangers développés ces dix dernières années.
Il n’est pas uniquement question d’agencement, mais surtout de produit : le pain de Tradition s’est développé et nous a permis, pour beaucoup, de retrouver un produit de qualité accessible.

Le pain, Boulangerie Asselin, Paris 13è

Chez Roger Asselin, installé ici depuis 1990, le pli ne semble pas avoir été vraiment pris : on retrouve en effet beaucoup de pains gonflés à la levure, et les « baguettes de campagne » ou de Tradition ne relèvent pas vraiment le niveau… Voilà qui ne met pas vraiment en valeur les farines des Moulins Bourgeois, mises en oeuvre par cet artisan. Les plus gourmands pourront tout de même se tourner vers les spécialités de baguettes garnies, ces « tradi-apéro » déclinées au choix au roquefort et aux poires, aux olives vertes, noires et au romarin, aux oignons et au gruyère… cet apport d’ingrédients aura pour effet de masquer un peu la faiblesse aromatique du support, au moins.

Sablés et galettes en vitrine, Boulangerie Asselin, Paris 13è

Impossible cependant de passer son chemin et de ne pas s’intéresser à la spécialité affichée de la maison… les sablés. Deux couches croquantes, généreusement garnies. Praliné noisette pour « l’Ecureuil », Poires-amandes pour le Bourdaloue, Pistache pour le Délice Pistache… Le choix ne manque pas. Quant au goût ? Il s’agit là d’une gourmandise régressive, un peu comme un souvenir d’enfant, doux et sucré… Difficile de critiquer tout cela.
Côté sucré, l’autre spécialité des Asselin semble être de proposer des produits que l’on pourrait tout à fait retrouver dans les circuits de distribution traditionnels : confitures Francis Miot, caramels Saint-Michel, chocolats Milka et autres Coucougnettes… le caractère distrayant de ce curieux spectacle nous en ferait presque oublier les viennoiseries sans intérêt, les millefeuilles noyés sous leur glaçage, les fraisiers en hiver, les religieuses inélégantes… Ne nous attardons pas.

Pâtisseries, Boulangerie Asselin, Paris 13è

On pourra tout de même se consoler avec ces amusantes gougères aux olives, proposées en marge des habituels sandwiches et fougasses à oublier. Il y aurait de quoi se laisser tenter par l’attrait de la « nouvelle formule » à 7 euros 20, incluant 1 « salé », 1 pâtisserie et 1 boisson mais… non, finalement, non.

Gougères & pâtisseries, Boulangerie Asselin, Paris 13è

Ce qui est rassurant, c’est que l’accueil est à l’image du lieu, délicieusement vieillot. Madame est aux manettes, accompagnée d’une vendeuse. Même si les produits ne sont pas forcément au diapason, l’ensemble respire la douceur et on s’arrêterait presque uniquement pour le « spectacle », pour se protéger un peu de ce monde un peu furieux qui s’agite au dehors.

Tradi-apéro et autres confiseries, Boulangerie Asselin, Paris 13è

Infos pratiques

65 Avenue des Gobelins – 75013 Paris (métro Les Gobelins, ligne 5) / tél : 01 43 31 01 92
ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h15.

Avis résumé

Pain ? Evitons ces produits gonflés à la levure, à la conservation plus que moyenne. Les baguettes de campagne et de Tradition ne parviennent pas à relever le niveau, et seule la « spécialité maison » de baguettes garnies (les fameuses tradi-apéro) a plus de saveur… grâce aux ingrédients aromatiques ajoutés. Les déclinaisons ne manquent pas : au roquefort et aux poires, aux olives vertes, noires et au romarin, aux oignons et au gruyère… ce n’est pas cher et c’est gourmand. Pourquoi pas, après tout.
Accueil ? A l’ancienne. Dans cette boutique à l’allure rétro, le service l’est tout autant : « Madame » et une vendeuse assurent la vente des produits, « Monsieur » est au fournil… C’est un peu comme si rien n’avait changé depuis 1990, date de l’installation de l’artisan.
Le reste ? Mieux vaut sans doute se concentrer sur la spécialité de la maison, les sablés garnis. Praliné noisette, Poires-amandes, Pistache, Caramel-Noix… Une gourmandise régressive qui nous fera oublier le caractère approximatif des viennoiseries, pâtisseries, sandwiches et autres produits issus de l’industrie venus garnir les rayons « confiserie » de la boutique.

Faut-il y aller ? Pour le folklore, sans doute. Cela ne manque pas d’avoir un caractère fascinant, comme si le temps s’était arrêté à la porte de la boutique. Seulement, dehors, même si le monde a pu prendre des couleurs bien sombres, la boulangerie a évolué et propose aujourd’hui des pains bien différents de ceux du début des années 90… Alors on s’imprègne juste de l’ambiance du lieu, on croque dans un des sablés – spécialité de la maison – et on continue notre périple painrisien…

Il faut bien parfois mettre le doigt sur les sujets qui fâchent. Certes, cela ne fait pas plaisir à tout le monde, mais nous n’avons en définitive aucun intérêt à nous enfermer dans des consensus mous et dans une « bien-pensance » plus destructrice que créatrice à long terme : elle n’incite pas à se poser des questions et à rechercher le changement… or, ce dernier est indispensable. C’est d’autant plus important quand cela concerne des questions de santé publique.

Justement, parlons de santé. Le pain devrait être l’aliment santé par excellence, et c’est malheureusement loin d’être toujours le cas : entre des glutens secs ajoutés en abondance pour « corriger les farines », des additifs à ne plus savoir qu’en faire, ou encore des processus de fabrication n’aboutissant pas à des pains très digestes… Faites votre marché.
Le sel est un des autres éléments auxquels il est bon de s’intéresser. Naturellement présent dans la liste des ingrédients du pain, son rôle varie pour certains : exhausteur de goût (et oui, cela relève les pains fades et masque la mauvaise qualité de la farine !), agent de développement (certains boulangers ayant des problèmes d’activité se sont vus conseiller par leur meunier d’augmenter le taux de sel…), nous sommes bien loin de la fonction de nécessité qu’il devrait simplement remplir. Heureusement, nos têtes pensantes et gouvernantes se sont emparées de la question depuis quelques temps déjà, et ont tenté de pousser vers une réduction des quantités : il faut dire qu’au vu des risques (hypertension, notamment), l’enjeu est de taille.

Pain du Coin, Josephine Bakery, Paris 6è

Chez certains boulangers « à l’ancienne », on ne pèse même pas la quantité de sel : une poignée, un sac de sel, un pétrin, vous mélangez tout cela et le tableau est scellé. A l’inverse, d’autres s’intéressent de bien plus près à la question… et c’est le cas de Benoît Castel, jamais avare d’expérimentations. Parmi les dernières en date, l’utilisation du sel Salish dans certains de ses pains, et notamment le fameux Pain du Coin dont je vais vous parler aujourd’hui.
Ce sel fumé est un sel de mer qui provient des Etats Unis et plus précisément du nord de l’état de Washington. Il doit son nom à des populations amérindiennes, originaires du nord de cet état. Ces populations utilisent le bois d’Aulne rouge depuis des siècles pour fumer les saumons et les viandes afin de les conserver. Le sel Salish est ainsi fumé avec le même bois, ce qui lui donne une couleur et un goût de fumé caractéristiques.

L’intérêt d’un goût marqué est de pouvoir réduire la teneur en sel dans le pain sans pour autant perdre sa fonction d’assaisonnement. C’était là la volonté de l’artisan, et le pari est tenu : ce produit ne manque pas de saveur, bien au contraire. Les notes fumées s’y retrouvent, associées à d’autres plus boisées liées au travail sur levain naturel. C’est là l’autre spécificité de cette création : son nom n’a pas été choisi par hasard, car le levain a été développé à base de… coing. Il confère à ce pain quelques accents sucrés, ainsi qu’une excellente conservation. Cette dernière est accrue par une cuisson poussée, permettant la formation d’une croûte épaisse et caramélisée.
Elle contraste ainsi nettement avec la mie, dense mais fondante : on retrouve bien là les avantages des « grosses pièces » vendues à la découpe, comme c’est le cas ici.
Le mélange des farines de Meule et de Seigle réalisé au pétrissage achève d’apporter au produit des saveurs rustiques et marquées.

Mie du Pain du Coin, Josephine Bakery, Paris 6è

Benoît Castel et son équipe nous proposent donc un pain de caractère, ce dernier étant renforcé par l’incorporation récente du fameux sel sus-cité. Même traitement pour son « pain de Ménage », proposé généralement le samedi. Ce dernier incorpore un peu de farine de Sarrasin et reprend une tradition d’un pain « brut de décoffrage », généralement réalisé au sein même des foyers… tout en bénéficiant dans le cas présent de l’ensemble du savoir-faire des boulangers de Joséphine Bakery et d’une réalisation dans un fournil professionnel.

Pain du Coin, Joséphine Bakery – Paris 6è, vendu au poids – 8,5€ le kilogramme.

J’essaie parfois de m’imaginer les enfants que pouvaient être nos artisans boulangers. La tâche est assez difficile, car on évolue inévitablement avec le temps, mais des traces subsistent et j’ose espérer que certains d’entre nous savent préserver ce qui a fait leurs heures les plus tendres et insouciantes… C’est aussi à cette période là que notre « nature » se créé, que nos bases s’affirment avant que nous prenions de l’âge et devenions des personnes bien sérieuses… un peu trop parfois. Premier de la classe, élève travailleur, cancre, … Les possibilités sont nombreuses.

Au quotidien, certains boulangers s’appliquent à respecter scrupuleusement la tradition, sans faillir. Cette application est remarquable même si cela ne fait pas beaucoup changer les codes de la profession. Dans tous les cas, je préfère de loin ces « enfants sages » à ceux qui bafouent délibérément toutes les règles de l’artisanat en réalisant des produits pour le moins… médiocres. Au final, tout le monde se retrouve dans une grande « cour de récré » boulangère où les surveillants sont en définitive les consommateurs et leur appréciation des produits.

Je verrais bien Gontran Cherrier en chahuteur, vous savez, ces garçons un peu agités, gentils et bohèmes, avec tout de même une certaine difficulté à se conformer à l’ordre établi et à l’autorité. Autant on aurait pu l’envoyer au coin à l’époque, autant aujourd’hui il n’y a plus de raison de le faire, puisque c’est de nos papilles qu’il s’agit… et elles découvrent ainsi des accords nouveaux.
Il y a quelques temps, l’artisan s’était déplacé en Bretagne afin d’y sélectionner une farine de sarrasin. Non content de ce fait, on pourrait dire qu’il en a profité pour nous ramener quelques galettes… bretonnes.

Galette Création 2013, Gontran Cherrier

Pas question de sablés ici, mais plutôt d’incorporer du sarrasin dans la traditionnelle galette des Rois. Ainsi, sa création 2013 se compose d’une pâte feuilletée au sarrasin, d’une crème d’amandes… et de grains de Kasha, accompagnés de quelques zestes de pamplemousse confits. Le Kasha est en réalité du sarrasin grillé, généralement consommé dans les pays d’Europe de l’Est. C’est amusant de voir comme ce boulanger joue avec les métissages, emprunte des spécialités un peu partout : autant breton que russe, libanais ou même portugais, il nous donne une vision de ce que pourrait être la « boulangerie monde »… à la fois ancrée dans des traditions mais ouverte sur d’autres horizons. J’apprécie tout particulièrement cette démarche et c’est pour cela que je vous parle de ce produit aujourd’hui.

Revenons à notre épiphanie, une vraie apparition, comme il se doit : comme vous pourrez le constater, la pâte feuilletée est ici bien moins développée qu’elle ne peut l’être chez nombre d’artisans. Plusieurs raisons à cela : la présence de sarrasin – même dans une très faible proportion -, dépourvu de gluten, empêche un fort développement. De plus, Gontran Cherrier cuit l’ensemble de ses créations feuilletées dans un four à sole, ce qui implique un résultat bien différent des cuissons à four ventilé pratiquées dans nombre de maisons.
Justement, parlons de résultat : le produit est en définitif très boulanger, à la fois rustique et rempli de caractère, bien loin du caractère doux et consensuel de nombreuses galettes. Le Kasha apporte des notes croquantes qui contrastent vivement avec le fondant du feuilletage. Ce dernier a tendance à s’effacer – ne serait-ce que par son épaisseur – pour laisser une place entière à la garniture. Au fil de la dégustation, l’amande se mêle aux parfums rustiques et grillés… tout en étant légèrement chahutée par le pamplemousse, lequel exprime fraicheur et amertume. Cette dernière pourrait d’ailleurs se faire trop forte au goût de certains, la gastronomie restant le domaine du subjectif par excellence.
On notera également la légèreté du glaçage appliqué sur le dessus, ce qui rend l’ensemble moins collant et ne perturbe pas les saveurs. Le rayage est appliqué, avec toujours cette « rose des vents » qui nous guide autant qu’elle nous invite au voyage…

Galette Création 2013, Gontran Cherrier

Bien sûr, les galettes des Rois se consomment le plus tôt possible, et les gourmands ne résistent généralement pas à la tentation d’en couper une part dès le retour de course. Dans le cas présent, on peut aussi apprécier l’évolution de la création le lendemain : l’action du rassissement faisant, le sarrasin et ses notes sucrées s’expriment avec plus de vigueur. Ainsi, les arômes et l’expérience sont différents, comme cela peut être le cas avec du bon pain.

Je parlais de gourmandise, et les fèves créées cette année pour le boulanger sont un fameux appel à cette dernière : en effet, elles constituent une mosaïque qui, une fois reconstituée, nous permet d’apprécier le plafond de la boutique du 22 rue Caulaincourt. Voilà une collection qui ne manque pas de sentir le beurre…!

Comme d’habitude, l’artisan propose un produit surprenant et « casse les codes » établis en incorporant des ingrédients inhabituels dans ses recettes. Les amateurs de textures et de goûts seront donc comblés… Profitons-en pour encore quelques jours, puisque la période des galettes s’achèvera bientôt.

Galette Création 2013, Boulangeries Gontran Cherrier (Paris 17 et 18è, Saint-Germain-en-Laye), à partir de 18,40€ la pièce pour 4 personnes.