Les restaurateurs s’intéressent de plus en plus à la boulangerie, et même si ce n’est pas tellement visible en France, on compte à l’international quelques exemples plutôt intéressants de diversification : ainsi, Joël Robuchon s’est lancé dans l’aventure avec des espaces dédiés au pain et douceurs variées en Asie (Japon, Taïwan, …). Alain Coumont, le fondateur du Pain Quotidien (aujourd’hui revendu), avait commencé par être restaurateur avant de prendre un virage vers la boulangerie. Les exemples sont nombreux, et à ce propos, le bruit court qu’un chef étoilé chercherait actuellement des emplacements sur Paris… affaire à suivre.
D’autres suivent bien entendu le chemin inverse, et transforment leurs boulangeries en restaurants (suivez mon regard !), mais ce n’est en tout cas pas le projet de Lionel Favario, boulanger de formation, qui a repris il y a tout juste 4 mois la boutique située au 10 rue des Petits Pères. Déjà tenancier du Vide Gousset attenant, cet entrepreneur frôlant tout juste la quarantaine porte un dynamisme vivifiant, précisément celui qu’il fallait pour redonner à cette superbe boulangerie d’époque un souffle de vie.
Son objectif ici ? Réaliser des produits simples, dans la plus pure tradition boulangère. Rien de plus actuel. A l’origine, il souhaitait se concentrer sur 4 produits « phare » : le pain des Petits Pères, la Fouace, le Flan aux oeufs et la tarte fine aux pommes. Bien entendu, nous sommes à Paris et il y a une équation économique à réaliser. On retrouve donc quelques sandwiches, deux pâtisseries assez boulangères au demeurant (millefeuille, Paris-Brest) et des douceurs à consommer sur le pouce. Dans chacun des cas, les matières premières sont sélectionnées avec soin : beurre AOC de Montaigu pour les viennoiseries, chocolat Michel Cluizel premier cru de Papouasie pour les pains au chocolat et financiers cacao, farines des Moulins Bourgeois… Le résultat ne saurait être savoureux sans de bonnes bases.
Des bases, Lionel Favario en a trouvé en se portant acquéreur de l’endroit, qui portait il y a quelques semaines encore l’enseigne « Au Panetier ». Du côté de la clientèle, tout d’abord, habituée à un certain type de produits et peu portée sur le changement. Dès lors, c’est un véritable travail de pédagogie qu’il a fallu mener pour montrer la valeur et l’intérêt des nouvelles gammes. Moins visible, l’aspect production n’était pas à négliger : difficile de changer des habitudes prises depuis plusieurs années pour certains membres du personnel, lequel n’a pas quitté les lieux lors du changement de propriétaire. Cet aspect est pour beaucoup de la période de « rodage » que l’on doit observer et respecter lors d’une reprise.
Pour autant, on aurait peu de choses à reprocher à l’offre de la boulangerie du Vide Gousset. Son pain des Petits Pères possède un caractère bien trempé, avec une mie très hydratée tout en conservant une croûte assez fine, comme l’a souhaité Lionel Favario. Travaillé sur levain (avec des temps de fermentation très longs, sur plusieurs jours), avec un mélange de trois farines, sa mie est assez peu alvéolée même si l’artisan propose à sa clientèle différentes « versions », plus ou moins développées. L’homme est intarissable sur le caractère addictif d’un tel produit consommé frais : l’humidité incite en effet à se saisir de la mie « au naturel », avec les doigts. Le temps faisant, le pain acquiert des arômes différents, qui peuvent être mis en valeur en le toastant légèrement. Ainsi, il a plusieurs vies… Tout comme la Fouace, cette brioche aveyronnaise peu beurrée, à la mie dense. Réalisée à l’époque le week-end par les paysans pauvres, cette création « festive » se parfume légèrement à la fleur d’oranger et est enrichie d’un peu d’angélique, à l’époque cueillies dans les champs en toute simplicité. Aujourd’hui, on peut très bien la consommer au petit-déjeuner, mais aussi en version salée avec du foie gras ou différents fromages. Elle s’intègre en version grillée dans des propositions du restaurant attenant, pour preuve de l’intérêt d’avoir lié ces deux maisons.
Le lien pourrait même aller plus loin : au delà des travaux de rénovation déjà entamés, l’entrepreneur envisagerait même d’aller plus loin et de regrouper les deux entités en un seul et même lieu, ce qui permettait de faire vivre la boulangerie au fil de la journée : un comptoir dédié à la vente à emporter au déjeuner, un espace salon de thé après 15h… tout cela dans ce magnifique décor, qui sera remis en valeur grâce à l’investissement mené ici.
Le bouleversement concerne aussi l’aspect production, car l’outil avait lui aussi été négligé par les précédents propriétaires. Il faut savoir que cette boulangerie compte 2 fours à bois : l’un d’entre eux est inexploitable et sert de soutien, mais l’autre pourrait tout à fait reprendre du service… c’est en tout cas l’ambition du boulanger, et on ne peut que l’encourager dans cette voie.
Même si du chemin a été parcouru, la route reste longue et pleine de possibilités : c’est ce qui motive Lionel Favario, jamais à court d’idées. La dernière en date : un cake « à l’ancienne », dont la mise au point vient juste de commencer. Voilà donc une aventure et un projet à suivre, d’autant plus qu’ils apportent du renouveau dans un quartier en mal de bon pain…
Infos pratiques
10 rue des Petits Pères – 75002 Paris / tél : 01 42 60 90 23
ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 19h.