Certaines boulangeries proposent un « concept » plutôt surprenant, un peu hybride entre le restaurant et la vente de pains et gourmandises ou en-cas à emporter. L’un prend souvent le pas sur l’autre, et malheureusement c’est le pain qui finit généralement relégué comme une activité presque accessoire. Tout dépend en réalité de la volonté – ou non – de l’artisan de conserver un certain équilibre entre ses gammes.

A quelques pas des Halles, au détour de la rue des Lavandières Sainte-Opportune, une boulangerie fait l’angle avec la rue Jean Lantier. De l’extérieur, on se demande d’ailleurs si c’est bien un artisan boulanger qui oeuvre ici, puisque la façade nous annonce parmi les activités du lieu celle de… cafétéria. Plutôt surprenant. Néanmoins, cela s’explique aisément par le caractère touristique, dynamique et passant de la zone : inévitablement, pour exister, nos artisans sont appelés à développer leurs activités autour de la restauration. Dans le cas présent, le trait est particulièrement poussé, puisque l’on se croirait presque dans un bistrot, un peu enfermé dans les années 80, comme si le souffle du 21è siècle n’avait pas soufflé ici. Un charme désuet qui se retrouve un peu dans les produits… même si je ne vous cache pas que je préfère des lieux plus « actuels ». Installé ici depuis fin 2008 (Alain Yhuel tenait précédemment une boulangerie au 29 rue Saint-Antoine, dans le 4è arrondissement – le trajet n’aura pas été très long !), l’artisan ne semble pas avoir voulu changer l’aspect du lieu.

Tout d’abord, il semblerait que le temps ait fini par éclaircir les pains et viennoiseries vendus ici… En effet, les cuissons ont plutôt tendance à être courtes, ce qui est synonyme de croûtes claires, voire pâles. Fort heureusement, ce n’est pas le cas sur l’ensemble des produits, et les tourtes de seigle sont aussi caramélisées qu’elles doivent l’être. Malgré tout, la baguette de tradition ne démérite pas et nous offre, en plus d’un façonnage très élégant – élancé et offrant ainsi un rapport mie/croûte appréciable – et de ses croutons « en pointe », une mie fraiche et bien alvéolée, exprimant un parfum de froment soutenu, accompagné de quelques notes de levain. Craquant et bonne conservation sont également au programme, même si l’on aimerait une cuisson plus aboutie.
Le reste de la gamme est plus décevant, et on passera rapidement sur les pains dits de campagne, sur le pavé de Châtelet et autres propositions aux céréales ou petits pains variés. Néanmoins, la tourte de Seigle est honorable, et le pain « Volcan », une douce spécialité à la mie douce et soyeuse sans être grasse (un peu de crème fraiche y est incorporée) et enrichie de nombreux éclats d’amande et de noisette, accompagnera avec chaleur les petits-déjeuners.
Dans tous les cas, on peut apprécier le fait qu’Alain Yhuel ait fait le choix de proposer une gamme assez développée de pains, malgré l' »importance » des autres activités qu’il développe.

En effet, si l’on s’arrête ici, c’est bien souvent pour y prendre un café ou déguster un repas simple, qu’il soit gourmand ou plus conventionnel. De nombreuses tables sont disposées dans l’établissement, ainsi qu’en terrasse. Cela permet de s’arrêter quelques instants pour profiter des croissants généreux et au feuilletage bien développé que l’on trouve ici, et qui méritent bien leur récent classement au concours du Meilleur Croissant Francilien (Alain Yhuel y a en effet été classé 4è), même si leur cuisson mériterait – là encore – d’être plus poussée pour développer leurs arômes. Le reste de la gamme demeure de bon niveau, sans élément particulier cependant.
Un rapide tour d’horizon des pâtisseries, lesquels déclinent tartes aux fruits, éclairs, religieuses babas ou forêts noires. Des classiques honnêtes, dans une bonne moyenne. N’y cherchez pas de fantaisie, nous sommes là dans le périmètre de la tradition pure et simple.

La boutique ne pourrait pas arborer sa vocation de cafétéria sans proposer des en-cas salés. Ainsi, la maison Yhuel a développé une large gamme de sandwiches, dont une partie sur base de pains spéciaux (moelleux type bun, pain aux olives, …). Quiches, croque-monsieur, cakes salés, salades ou encore fougasses, tout est là pour composer un repas en variant régulièrement les plaisirs. Produits frais et soignés, rien à redire, tout comme sur les tarifs qui demeurent dans une moyenne acceptable, d’autant plus compte tenu du quartier. Les formules déjeuner débutent à 5,40€.

Pour servir la clientèle nombreuse et souvent pressée, un personnel efficace et bien formé s’active derrière les comptoir, tout en faisant preuve d’une belle patience, ce qui n’est pas toujours facile à l’heure des repas. Les produits et leurs spécificités sont bien maîtrisés, les questions à leur sujet répondues sans aucune difficulté ni hésitation. De plus, on appréciera le fait que tout soit en accord avec le lieu, sans artifice particulier ni mondanités.

Infos pratiques

11 rue Jean Lantier – 75001 Paris (métro Châtelet – Les Halles, métro lignes 1, 4, 7, 11 et 14 ou RER A, B et D) / tél : 0142338268

Avis résumé

Pain ? La baguette de tradition (1,15€ les 250g) s’en tire très honorablement, avec une saveur de froment agréable, quelques notes de levain sans acidité, un façonnage élancé et élégant offrant un rapport mie/croûte mettant bien en valeur la croûte fine et craquante. On regrettera simplement sa cuisson un peu courte, à l’image du reste de la gamme, qui a tendance à afficher une pâleur maladive. Néanmoins, sa conservation est très correcte. Dans le reste de la gamme, rien de bien intéressant, mis à part la tourte de seigle plutôt correcte, et un amusant « pain Volcan », très moelleux, à la crème fraiche et aux éclats d’amande et de noisette.
Accueil ? Le service est efficace tout en n’oubliant pas de conserver un caractère humain et patient. Bien sûr, la clientèle nombreuse et la diversité des produits à servir ne facilite pas des échanges de longue haleine, mais l’organisation et la formation du personnel, visiblement en poste depuis plusieurs années, aide à rendre l’attente agréable et modérée.
Le reste ? Alain Yhuel s’est distingué à plusieurs reprises, et cette année encore, pour la qualité de ses croissants. Effectivement, on trouve ici des produits au feuilletage d’excellente facture, même si là encore un peu plus de cuisson serait appréciable. Quelques spécialités, tels que des feuilletés au citron ou aux poires-chocolat complètent la gamme gourmande, conjointement aux brownies et autres cakes. Les pâtisseries sont honnêtes, très traditionnelles, cela peine à attirer l’attention de façon particulière.
Le salé occupe une place importante dans les présentoirs, et pour cause : c’est là une des activités principales de la maison, du fait de son large espace dédié à la restauration sur place et à sa vocation de… cafétéria. Cakes salés, quiches variées, fougasses, salades composées ou au poids, sandwiches divers (moelleux, baguettes, pains spéciaux…), je pense que l’on peut dire que rien ne manque, et que l’ensemble des appétits seront satisfaits. L’ensemble est soigné et sérieux.

Faut-il y aller ? La maison Yhuel propose des gammes de produits plutôt cohérentes, larges et proposées à des tarifs relativement abordables. On pourra reprocher le caractère un peu traditionnel de l’ensemble, et l’aspect « dépassé » du lieu, mais cela n’en demeure pas moins une boulangerie sérieuse. Le seul point noir demeure le fait que ce lieu perd presque sa vocation première, à savoir vendre du pain. La plupart des produits issus de la panification sont en effet désespérément blancs et dépourvus d’intérêt. Mieux vaudra se concentrer sur les viennoiseries, la baguette de tradition ou les en-cas.

4 réflexions au sujet de « Alain Yhuel, Paris 1er, une boulangerie au succès… croissant »

  1. Kesta contre les années 80, sale jeune ? 😀

    Merci pour cette enquête sur *la* boulangerie intrigante du coin ! (Et dommage qu’on n’ait pas de photo des croissants à succès, en vedettes principales, pour saliver 8-p )

    • Ah mais je n’ai rien contre, il faut juste savoir évoluer avec son temps 😉
      Pour le croissants, j’y repasserai sans doute…

  2. Ping : Boulangerie Mozart, Francis Rault, Paris 16è, là où les viennoises rient | painrisien

  3. J’ai bien connu la maison Yhuel dans le 4e. Leurs produits ont toujours été de 1er ordre bien que le magasin s’y prête peu.
    Par contre je dois souligner qu’ils nous ont fait (au quartier :c’était la meilleure boulangerie du coin, et de loin!) un coup de p*** en partant du jour au lendemain en prévenant a peine leur perdonnel… Ca a été très mal pris, les successeurs s’en sont pris plein les dents… D’autant que la qualité s’en est ressenti.

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