Dans la vie, on a tous nos petites histoires, nos petits papiers. Etant enfant, on les passait à nos voisins, comme si le partage pouvait se faire librement, avec toute la légèreté qui caractérise ces âges… puis l’on grandit, jusqu’à devenir « adulte ». Toutes ces choses deviennent des broutilles, des détails à ranger dans de grands classeurs, puis à oublier soigneusement. Parfois cet empire de raison se fissure, il laisse alors s’échapper ce poids devenu trop lourd, les feuilles volent et c’est toute une vie qui se trouve emportée par ce tourbillon. L’automne, l’hiver, … les saisons seront longues, très longues, le temps de réapprendre à marcher, lire, partager… les petits papiers.
J’ai fait le chemin inverse. J’ai redonné de l’importance à ces mots que je négligeais, j’ai laissé le temps à l’adulte que je suis devenu d’écouter l’enfant que je n’ai pas été. Chaque jour, j’essaie d’écrire une histoire empreinte de simplicité et d’honnêteté, aussi bien vis à vis de moi que des autres.
L’an passé, j’avais pris le chemin du CAP Boulanger sur les rives de la Loire, en choisissant de suivre mon stage de pratique à Beaugency (45). Souvenez-vous, je vous avais parlé de la boulangerie de Karine et Franck Collas, le Four à Bois, il y a déjà deux ans et demi. L’espace de quelques semaines, je suis passé côté coulisses pour mieux appréhender le métier de boulanger…
Beaugency est une tranquille cité médiévale du Loiret, qui compte environ 7500 habitants. Son château et son centre typique en font une ville agréable, portée par le vif courant de la Loire. Positionnée sur la route des châteaux de la Loire, elle constitue une halte sympathique pour les touristes mais aussi pour des habitués, qui viennent passer leurs week-ends et vacances dans le secteur.
Le plus surprenant reste sans doute la concentration en boulangeries dans une commune de cette taille : elles sont aujourd’hui 7, ce qui laisse à chacun le loisir de sélectionner sa préférée… et créé une forte concurrence.
Dès lors, il n’a pas été évident pour le couple Collas de se faire une place dans ce paysage, d’autant plus qu’ils étaient vus comme des étrangers de par leur récente arrivée. Un autre professionnel a fait le choix de s’implanter sur le même axe routier, à quelques centaines de mètres du Four à Bois, et a ouvert ses portes pendant les travaux de ce dernier. Par un mécanisme de promotion permanente – trois baguettes achetées, une offerte -, il a su capter une clientèle sensible aux prix.
Quand on a autant investi, réalisé d’importants sacrifices, pris des risques, … une telle situation aurait eu de quoi en faire chavirer plus d’un. Ils ont su garder le cap et rester fidèles à leurs convictions : la qualité de la prestation, que ce soit en terme de produit ou de service, avec des facilités de parking, ont contribué à les différencier du reste de l’offre locale.
Si l’offre de pains particulièrement accessible -avec en fer de lance la baguette de Tradition Bagatelle- a toujours été le point fort de l’endroit, la pâtisserie connaît les mêmes attentions avec une remise en question permanente sur les recettes et les créations, qui s’affinent grâce à des formations réalisées auprès de professionnels reconnus. Inévitablement, le traiteur connait aussi son succès, de par l’emplacement en bordure de route touristique.
Lorsque l’on fait le choix de développer ses gammes de cette façon, et ainsi de compter de nombreuses références à réaliser chaque jour, il faut parvenir à assumer l’enjeu de la régularité, du respect de la saisonnalité et de la sélection des matières premières. Le risque est de se faire dépasser par son projet et son envie de satisfaire toutes les demandes. L’artisan doit aussi savoir dire non, ne pas s’engager sur des terrains glissants.
Une des belles réussites du Four à Bois est aussi de s’être intégré dans la communauté qui l’entoure, notamment en livrant des écoles et en participant à des événements sur le thème de la gastronomie. Franck Collas s’implique beaucoup pour partager son exigence et sa vision du métier, que ce soit au sein des organismes professionnels, auprès du grand public ou en accueillant des apprentis. Salons, fête du Pain, … Toute l’équipe répond présent, comme c’était le cas pour le week-end de la Saint-Honoré où le four à bois du Château de Beaugency avait été rallumé. Au delà de son statut de commerçant, un artisan boulanger est aussi un acteur de la vie de la cité, à plus forte raison dans de petites villes. Beaucoup de professionnels devraient s’inspirer de cet exemple, car il faut parvenir à transmettre le goût du bon pain au plus grand nombre… et aux générations futures, que ce soit au sein des futurs ouvriers et patrons mais aussi des consommateurs.
J’ai été heureux de partager quelques semaines du quotidien de cette belle entreprise, où l’on fabrique tout. Que ce soit au façonnage des baguettes, au rafraîchissement des levains, à la préparation de la viennoiserie, au fonçage des tartes ou à l’incontournable pesée et préparation des matières premières, j’ai beaucoup appris. J’ai appris sur la boulangerie, j’ai appris à mieux appréhender la vie d’une entreprise artisanale, j’ai appris à exécuter chaque jour les mêmes tâches avec plus d’humilité et de sensibilité. J’en profite pour remercier David et Manon pour leur patience, car il faut bien dire que je n’étais sans doute pas le plus efficace des stagiaires.
Et puis il y avait aussi l’après. Ces balades au bord de la Loire. Le calme. Le calme. Encore le calme. Un peu de liberté, d’envie d’aller plus loin, voir un peu comment c’est là-bas. Avec le temps, on finit par comprendre que ce sont nos petits papiers, nos histoires, qui donnent aux paysages leurs couleurs singulières. Nos stylos deviennent alors des pinceaux pour écrire et peindre une toile unique.