Le principe des galaxies est de rester en orbite. Comme reliées par des fils invisibles, les étoiles se tiennent les unes les autres et brillent dans un ciel parfois agité. Si l’on ne parvient pas toujours à distinguer leur vive lueur, c’est parce que les obstacles sont nombreux : nuages, pollution, éclairage extérieur surabondant… difficile d’avoir toujours la tête dans les étoiles. Parfois on finit par ne plus avoir envie. Non pas que notre terre puisse satisfaire pleinement notre imaginaire et notre irrépressible envie d’ailleurs, mais les astres ne sont pas toujours aussi brillants qu’ils en ont l’air.
A Gournay-en-Bray (76), le Moulin Paul Dupuis apparaît comme une étoile atypique dans la galaxie Maurey. En effet, la famille est propriétaire de l’entreprise, tout en ayant délégué sa gestion et son développement à Lionel Deloingce et ses équipes.
L’originalité de l’entité se manifeste avant toute chose par son emplacement : c’est un véritable moulin « de centre ville », situé à quelques mètres de commerces et inscrit dans une sympathique cité, même si elle reste de petite taille. Cette spécificité impose ses contraintes, à commencer en terme d’espace. Les plafonds relativement bas peuvent surprendre. L’usine qui se dresse ici a construit son identité, presque son patrimoine. Les escaliers en bois et parquets en témoignent. Si les machines sont récentes – l’outil de mouture date principalement de 1998 -, on sent que le bâtiment a une histoire.
Avoir une histoire, c’est bien, cela permet de savoir d’où l’on vient. Un outil utile pour tracer l’avenir. Chaque année, des investissements sont menés pour améliorer la productivité et rester dans « la course ». Ligne d’ensachage moderne et automatisée, nettoyage de qualité… aujourd’hui, ce moulin à cylindres a une capacité d’écrasement de 100 tonnes par jour, et fonctionne 7j/7, 24h/24. Autant dire qu’il y a de belles possibilités…
… mais à quoi les utiliser ? Artisanat, grande distribution, chaines …? Chez Paul Dupuis, le choix n’a pas été vraiment fait. Bien sûr, il n’était pas question de s’en vanter lors des portes ouvertes qui se sont tenues de dimanche à hier, mais l’entreprise ne fait pas que livrer la boulangerie artisanale. Le Groupe Holder (donc Paul Dupuis livre Paul, ça ne tombe pas au fond du puits) et Auchan sont aussi de la partie. Quitte à se couvrir la tête, autant multiplier les casquettes, cela tient chaud l’hiver. A l’image du reste du « groupe », Lionel Deloingce a participé à la création de Banette et compte encore aujourd’hui parmi ses adhérents. « Une autre idée de la farine » nous vante-t-on…
Pour autant, le chef d’entreprise a développé une vision qualitative et ambitieuse de la boulangerie artisanale. Sa proximité avec Yvon Foricher n’y est sans doute pas étrangère, le fameux meunier d’origine bretonne sachant marteler ses idées avec conviction et finir par acquérir la conviction d’acteurs toujours plus nombreux.
Cette rencontre avec la clientèle était en effet l’occasion d’annoncer l’adhésion au groupement CRC et de mettre en valeur la farine développée avec les céréales certifiées. Répondant au doux nom de Campteclair, elle est proposée avec des diagrammes de fabrication respectueux du temps et des arômes, avec de longues fermentations et, pour certains, du levain naturel.
Alexandre Deloingce – tout juste 23 ans ! – a été chargé de saisir un bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole auprès de la clientèle et tenter de faire évoluer les pratiques. La partie est loin d’être gagnée : ici, les artisans boulangers sont encore très sensibles au marketing de masse et n’ont pas suffisamment fait évoluer leurs méthodes, preuve en est de l’importance que Banette porte encore aujourd’hui dans le secteur. Même si les farines de l’Artisan Bio / Moulin de Brasseuil étaient également représentées, ce n’était sans doute pas le centre d’intérêt de la plupart des visiteurs… qui se préoccupaient plus des caisses enregistreuses ou des idées pour l’offre snacking.
Est-ce pour autant peine perdue ? Non, certainement pas. Il faudra seulement être tout à fait cohérent à un moment et prendre les décisions qui feront réellement avancer l’ensemble de la clientèle dans le même sens. Lionel Deloingce travaille beaucoup sur la formation de ses équipes commerciales, avec comme objectif de les impliquer plus fortement dans une démarche d’accompagnement et de qualité au sein de la clientèle. On ne peut que saluer l’initiative et la vision, car c’est ainsi qu’il faut prendre le problème : les forces de vente sont les premiers interlocuteurs de nos boulangers, et ils doivent sortir du rôle de simples preneurs de commandes qu’ils ont souvent adopté.
Paul Dupuis n’est pas un meunier très visible sur le marché parisien, et pour cause, ce n’est pas son coeur de cible. Chars et Chérisy sont géographiquement les plus à même d’apporter un service adapté. Pour autant, la famille Pichard, rue de Cambronne, a fait le choix de ce partenaire il y a déjà bien longtemps. Ensemble, ils ont mis en place l’engagement et le processus atypique qui donnent toute sa saveur à la fameuse baguette Pichard. C’est une bonne preuve de l’ouverture et de l’intérêt que peut porter ce meunier à l’artisanat… Seulement, après les idées, les petits pas, il est largement temps de passer aux actes et de donner une vraie cohérence à la démarche. Affaire à suivre.