08
Sep
Carnets de tendances : Le marketing en boulangerie artisanale
2 commentairesJ’ai toujours voulu défendre une position : le pain n’est pas un produit comme les autres, et on ne devrait pas le vendre comme on vend aujourd’hui la plupart des biens de consommation courante, c’est à dire sans âme ni conscience. Seulement voilà, à l’épreuve des faits, je devrais bien m’avouer vaincu. Ce serait bien mal me connaître : je persiste et je signe, je continue avec mon baton de pèlerin. Baton de pèlerin ou baton de berger, c’est selon, car il y a des fois où j’aimerais bien l’utiliser pour faire filer droit le troupeau…
Une belle histoire de têtes pensantes et de gros sous
L’histoire avait pourtant si bien commencé. Dans les années 90, quelques têtes pensantes ont mis sur pieds une idée révolutionnaire : plutôt que de chercher à valoriser la singularité de l’artisan, il fallait tout miser sur le marketing « de masse », développer des réseaux de boulangeries aux produits uniformes en créant de nouveaux repères pour les consommateurs. Banette, Baguépi, Ronde des Pains, Festival, … vous les connaissez aussi bien que moi, sans doute. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, ce serait dommage et un peu criminel : ils ont participé à leur façon au « sursaut qualitatif » de la boulangerie. L’exemple de la Banette et ses fameux bouts pointus est frappant : tous les consommateurs voulaient une « Banette » et la demandaient à leur artisan… qui ne la proposait pas forcément, mais était contraint à se remettre en question face à un tel mouvement.
En coulisses, les entreprises porteuses de ces marques ont vécu leurs belles années, en enfermant autant que possible les boulangers dans ces concepts qui leur échappaient complètement, au point de perdre leur savoir-faire et le sens de leur métier. Forcément, il est tellement rentable de vendre des préparation prêtes à l’emploi, tout comme des produits industriels. Le double jeu de ces acteurs est devenu aujourd’hui flagrant et leurs pots de peinture marketing ne suffisent plus à cacher le fond de leurs préoccupations.
Revenez, promis, on a compris !
Il ne fallait pas espérer que cette situation soit éternelle : au fil des années, la puissance de ces marques s’est essoufflée, que ce soit par la lassitude des artisans ou celle des consommateurs, du fait de la qualité plus que relative des produits. Bien sûr, certaines zones géographiques restent encore très marquées par leur présence, et la région parisienne s’est plus fortement émancipée de ces groupements que le reste du territoire.
Pour tenter d’inverser la tendance, certains ont changé leur fusil d’épaule pour donner l’impression de développer une stratégie mieux centrée sur l’artisan et sur le développement de son identité propre. C’est ainsi que l’on a vu naitre « Le Pain Boulanger » chez Banette, le nouveau concept Campaillette chez les Grands Moulins de Paris plus récemment, mais aussi l’avènement de « marques » plus diffuses chez des acteurs artisanaux comme les Moulins Bourgeois, les Moulins de Chars ou de Chérisy. L’enseigne « Artisan Boulanger » s’est vue accompagner de nombreux adjectifs (« de qualité », …) puis déclinée en de nombreuses couleurs.
Seulement voilà. A mon sens, il ne suffit pas de comprendre, il faudrait apprendre. Chercher à renouveler profondément le genre, arrêter de produire du marketing pour lui-même et re-bâtir l’approche sur le produit, sur le goût et les émotions qu’il peut produire. Au delà de ça, c’est un véritable travail de recentrage sur les fondamentaux du métier qui est à mener : faire du ménage dans toutes ces marques, dont certaines sont des doublons volontaires, et inciter les boulangers à s’exprimer.
Quand les industriels s’en mêlent, un beau mélange des genres
Comme s’il fallait en rajouter, les industriels s’en mêlent et invitent leurs marques au sein des boulangeries artisanales. Récemment, le groupement Banette a eu la fine idée de proposer la « Banette Carambar », un pain viennois garni de crème au carambar. On se demande encore si la blague est le produit lui-même ou si elle est seulement inscrite sur le sachet.
Mieux encore, certains artisans, sans doute portés par leur notoriété et par l’appât du gain, signent des partenariats au goût douteux. Le meilleur exemple est sans doute celui de Gontran Cherrier, qui fait une fantastique publicité au groupe Ferrero dans ses boutiques. Petits pots de Nutella, éléments de communication présents en abondance, rien ne manque… est-ce vraiment cohérent avec les valeurs que devrait porter un boulanger, d’autant plus quand on connaît la qualité de cette fameuse pâte à tartiner ? Les consommateurs ne valent-ils pas mieux que cela ?
Communiquer oui, mais sur en parlant vrai et concret
A mon sens, les artisans ne savent pas assez communiquer. Il faudrait que leurs partenaires prennent en mains la chose pour les accompagner sur ce terrain en leur apportant des solutions personnalisées et porteuses de leur histoire, sans chercher à les « canaliser » dans des concepts. Bien sûr, certains éléments de communication peuvent être développés de façon globale, dès lors qu’il s’agit de parler de matière première, de santé, … autant de points sur lesquels les réponses ne varient pas.
Ensuite, plutôt que de vendre des pré-mixes et autres poudres de perlimpinpin, c’est sur l’humain qu’il faudrait investir pour impliquer les artisans dans une démarche qualitative et riche en savoir-faire. Dès lors, plutôt que d’inventer de nouvelles marques, il y aurait beaucoup plus de choses à dire… et les histoires prendraient une toute autre tonalité. Quelques acteurs ont déjà travaillé le sujet : le Label Rouge (sur la baguette de Tradition et plus récemment le croissant) porté par le Club le Boulanger s’inscrit dans cette dynamique, même si cela ne suffit pas. Fort heureusement, quelques artisans ont bien compris l’intérêt de porter leur propre histoire et de développer une identité singulière. Ce sont eux que j’ai à coeur de mettre en avant ici depuis avril 2011. Leur parcours est souvent semé d’embûches, et le sentiment de solitude qu’ils peuvent ressentir est accentué par une forte tendance à la marginalisation de la différence, que ce soit en boulangerie ou dans la société en général.
Je pense que beaucoup de meuniers disposent des moyens suffisants pour mettre en place de telles démarches et outils auprès de leurs clients. Seulement, ils préfèrent souvent se décharger du sujet et le confient à des entreprises ne comprenant pas les spécificités du métier qu’elles doivent traiter. Dès lors, elles préconisent des solutions inadaptées, bien souvent portées par leur seul intérêt financier. Le système s’entretient lui-même et nous n’en sortons pas : il faudrait faire du ménage là-dedans et faire rentrer des idées neuves. En bref, revenir à une définition saine du marketing, qui ne serait pas de stimuler les besoins du consommateur mais créer des produits répondant vraiment à leurs attentes tout en assurant une commercialisation efficace.
Je n’avais pas remarqué la banette carambar, c’est cocace… Blague à part, merci pour cette analyse qui fait réfléchir. À nous aussi consommateurs de mieux nous informer sur le pain qu’on nous vend.
Il ne faut pas oublier que les boulangers, quand bien même, authentiques, ne vendraient pas de viennoiserie et pâtisserie industrielle, transforment, dans leur très grande majorité, un produit industriel et bourré d’éléments chimiques par son mode de culture et de transformation, à savoir : la farine de blé ! Dans les régions, où le blé panifiable est cultivé, il est difficile de trouver, sur ces surfaces dévitalisées qu’on appelle champs, un autre être vivant que l’agrotechnicien dans son tracteur…