Je suis souvent perplexe quand je vois des entrepreneurs se positionner sur des sujets sensibles, notamment dans le domaine de la santé. Leur démarche répond-elle à une véritable conviction, ou bien ne font-ils que profiter d’une tendance pour faire du chiffre ? On ne peut le mesurer et l’apprécier que sur la durée, par la qualité de leurs propositions et leur engagement quotidien. Il y a parfois de beaux pétards mouillés, mais aussi -et heureusement- de belles découvertes.
En découvrant la marque Eugène et son projet de développer une boulangerie-pâtisserie adaptée aux diabétiques, mon enthousiasme était modéré. Cela était lié aux allégations particulièrement fortes : moins de matières grasses (les matières animales étant remplacées en partie par des huiles végétales, comme l’huile de pépins de raisins), moins de sucre (substitué par du sirop d’agave ou du fructose)… sachant que ces deux éléments comptent parmi les principaux vecteurs de goût en pâtisserie, il me semblait difficile de parvenir à proposer des créations intéressantes. La communication associée ne manquait pas de vigueur, c’était d’ailleurs un peu trop à mon goût. Qu’importe, j’ai tout de même été déguster quelques produits, qui ne m’ont pas convaincu à l’époque. J’ai fait part de mes remarques à Christophe Touchet et Luc Baudin, les deux créations de l’enseigne, et j’ai laissé le temps passer.
Revenons d’ailleurs sur le parcours de ces deux hommes : le premier a bâti sa réussite sur des activités immobilières puis dans le domaine des produits sans gluten outre-Atlantique, tandis que le second a développé ses compétences au sein de l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie. Le duo s’y est d’ailleurs rencontré, Christophe Touchet l’ayant rejointe suite à la découverte de son diabète. Pour ce grand gourmand, difficile de se passer de douceurs, il fallait donc trouver comment proposer des produits adaptés à cette pathologie sans perdre le plaisir.
Au delà du travail sur le sucre et le gras, il aura fallu intégrer des fibres (avec notamment des farines de Meule) pour ralentir le passage du sucre dans le sang et améliorer l’effet de satiété, intégrer des épices pour relever les saveurs… bref, une réflexion poussée, visant notamment à réduire l’index glycémique des produits.
Comme je l’ai indiqué précédemment, la mise en place aura pris un peu de temps, mais le résultat s’avère à présent tout à fait probant.
Côté pains, toute la gamme est élaborée à base de levain naturel, avec des farines livrées par la Minoterie Hoche. Une baguette de Tradition (sur farine T65) a récemment fait son apparition dans la gamme pour répondre à une demande des consommateurs, la « baguette Eugène » (sur farine de Meule T80) étant assez typée et segmentante. Réalisés en non-façonné, les produits ne manquent pas de saveurs et d’identité. Dans le 17è arrondissement, le jeune Florent Lehmann (passé chez les Compagnons du Devoir et des entreprises comme Eric Kayser) participe activement au projet.
La pâtisserie n’est pas en reste avec des créations au visuel abouti et souvent inventives : associations de saveurs originales, finitions nettes, on serait bien en peine de les distinguer de douceurs plus conventionnelles. Bien sûr, certaines textures sont plus « légères », le sucre est peu marqué, c’est parfois déroutant. Il faut voir cela comme autre chose, une expérience différente, sans avoir d’à-priori. La pâte à choux, réalisée à partir de farine de lentilles, se révèle particulièrement convaincante en terme de texture et de goût.
La viennoiserie est un terrain où la réduction des matières grasses peut paraître être un combat perdu d’avance. Pourtant, les croissants, pains au chocolat et autres roulés proposés ici demeurent relativement gourmands. Je préfère bien sûr un feuilletage traditionnel et son côté riche qui enveloppe les papilles, mais le croustillant est bien là. La dégustation reste agréable.
Le chocolat est un domaine où Luc Baudin excelle tout particulièrement. Il a d’ailleurs participé aux World Chocolate Masters en janvier 2015, où il a présenté de superbes pièces tout comme il l’a fait en boutique à l’occasion de Pâques. Ses tablettes et bonbons n’ont rien à envier aux produits traditionnels : de la tablette chocolat blanc-thé vert-baies de goji à la demi sphère sauge-combawa, les créations sont élégantes et savoureuses.
Aujourd’hui, Eugène ouvre sa seconde implantation en plein coeur de Paris. C’est à présent au 28 rue des Lombards, dans le 4è arrondissement, que l’on pourra découvrir cet univers particulier. Le lieu est beaucoup plus passant et accessible que ne l’est la boutique « historique » du 17è arrondissement, ce qui devrait contribuer à donner à la marque la visibilité dont elle a besoin pour continuer à se développer.
Au laboratoire, la pâtisserie est entièrement réalisée sur place, ce qui permet de libérer l’espace rue Guillaume Tell pour développer l’activité chocolaterie. Léa, la compagne de Luc Baudin, gère la production au quotidien… une histoire de coeur et de confiance, comme celle entretenue par Christophe Touchet avec ses équipes, qui a à coeur de mettre à disposition ses moyens financiers pour l’épanouissement de ces jeunes talents.
Les défis auxquels doit faire face Eugène sont nombreux : difficile en effet de se cantonner à une clientèle exclusivement diabétique, l’entreprise ne serait pas viable économiquement. Dès lors, il faut aussi s’adresser à un public « au régime » ou faisant attention à ses apports en sucre et matières grasses. Le positionnement me paraît un peu glissant, mais il faut croire que l’on doit vivre avec son époque…
L’entreprise doit parvenir à s’imposer sur son créneau, et cela passe notamment par la communication et la mise en avant des produits. Quand on connaît la jungle que représente l’espace médiatique, difficile de s’affirmer. Il faut également parvenir à former le personnel de vente pour assurer un conseil pertinent au quotidien.
Le travail ne manque pas… mais en présence d’entrepreneurs courageux et convaincus, on ne peut que saluer l’initiative et l’accompagner.
Infos pratiques
28 rue des Lombards – 75004 Paris (métro Châtelet, Métro lignes 1, 4, 7, 14 & RER A, B, D)
ouvert du mardi au samedi de 7h30 à 20h, le dimanche de 9h à 13h30
Le jour où la boulange indiquera la quantité de sel dans le pain …. On rigolera un peu moins, Quant au sucre, j’apprécie tes articles mais là tu passes à côté d’une évolution irréversible. Faire de la pâtisserie comme il y a 30 ans ou moins d’ailleurs, ce n’est plus possible.
le pain chez Eugene est salé 18 g/ Kilo conformément à la prescription de l OMS ce qui représente une baisse 17 %par rapport aux pratiques habituelles (22g)
l objectif d Eugene n est pas de faire de la pâtisserie comme il y 30 ans mais d essayer d équilibrer les ratios sucres simples /sucres complexes/ fibres tout en limitant les graisses d origines animales
J’ai déjà essayé la boutique du 17 eme avec satisfaction.
je ne vais pas tarder à venir essayer la boutique du 4 éme plus proche de mon domicile.