Parfois, certaines personnes, par leurs pratiques, prennent tellement d’avance sur le reste de la communauté que l’on peine à les rattraper. Il ne leur est même pas vraiment nécessaire de continuer à courir, les autres s’en chargent pour eux, à l’arrière. Bien sûr, il ne faut tout de même pas trop s’endormir et s’asseoir sur sa position, mais elle demeure assez confortable malgré tout.
A Lardy, Pierre Delton faisait partie des pionniers du pain biologique et biodynamique. En s’engageant auprès d’agriculteurs certifiés Demeter, il avait mis en place une véritable filière où le pain produit s’inscrivait pleinement dans la continuité des efforts réalisés aux champs : farine moulue à la pierre selon le procédé Astrié, levain naturel, four à bois à cuisson directe, façonnage manuel, eau purifiée… Une démarche entamée en 1982 mais qui reste encore aujourd’hui bien plus engagée que celle développée par la plupart des acteurs du marché. Le plus amusant est sans doute que ce n’est qu’un retour aux sources… et donc que, parfois, pour être en avance, il faut savoir revenir aux fondamentaux.
Dans ce petit village de l’Essonne, c’est d’abord la tranquillité et la verdure qui frappent, d’autant plus quand on est habitué à la grisaille urbaine. Il fallait du courage et de la conviction pour s’installer ici, mais les projets les plus ambitieux murissent sans doute mieux à l’abri du bruit et de l’agitation.
Après avoir été primé à de nombreuses reprises, porté aux nues par sa clientèle, le couple Delton s’en est allé au 1er janvier 2012. Ceux qui ont pris le relais ne sont pas des inconnus, puisqu’ils fournissaient déjà la matière première depuis plusieurs années : en détenant la chaine du grain au pain, ils assurent ainsi leurs propres débouchés et la pérennité du système.
La transition a été assurée sur plusieurs années, et le responsable de la production s’est ainsi vu confier les « clés » du procédé qui doit aboutir à un pain d’exception.
En boutique, l’offre est concentrée sur le pain. Quelques grosses pièces « de campagne », des variations aux céréales et fruits secs, un méteil (mi-blé, mi-seigle), des farines dites « spéciales » (pur Seigle, pur Kamut ou pur petit Epeautre, châtaigne & blé) ainsi qu’une baguette sur farine T80, la Pierrette : la gamme est assez étendue et met le levain à l’honneur, puisque c’est lui qui assure la pousse des pains. Il se révèle parfois trop présent, notamment sur la baguette où ses notes acidulées finissent par devenir agressives. L’hydratation est également sensiblement insuffisante, avec des mies cotonneuses et sèches.
On trouve également quelques gourmandises feuilletées, briochées ou sablées, ainsi qu’une proposition salée anecdotique avec quelques parts de pizza. Ce qui occupe sans doute le plus d’espace est le coin « épicerie bio », avec des produits frais et secs. Cette activité paraît un peu anecdotique pour le quasi-parisien que je suis, mais elle doit trouver du sens dans une zone peu dense comme c’est le cas à Lardy. Les commerces ne sont pas légion, ce qui les incite sans doute à étendre leur champ d’action…
Le service est aussi impliqué et compétent qu’on pourrait l’attendre et il contribue à partager cet univers bien particulier, qui se ressent dès l’entrée dans la boutique.
Infos pratiques
Place de l’Eglise – 91510 Lardy-Bourg (gare de Lardy, RER ligne C) / tél : 01 60 82 77 22
ouvert du vendredi au mardi de 8h à 13h30 et de 15h30 à 19h30, 18h30 le dimanche.
Avis résumé
Pain ? Ici, on ne plaisante pas avec l’engagement : réalisé sur levain naturel, à partir de farines moulues à la meule de pierre et de céréales cultivées en biodynamie, puis cuit dans un four à bois à chauffe directe, le pain proposé ici est le fruit d’une véritable démarche du champ au fournil. Seulement, cela ne suffit pas toujours. Souvent trop acide et manquant d’hydratation, il ne met pas bien en valeur ce cheminement, comme si la dernière étape – la panification – n’était pas la plus importante… alors que c’est justement le cas, puisqu’elle aboutit à la réalisation du produit destiné au consommateur. Cela laisse un goût d’inachevé, en plus de l’acidité marquée du levain. Dommage, d’autant que les tarifs demeurent assez élevés.
Accueil ? Sympathique et engagé, le service a à coeur de partager avec la clientèle les produits atypiques proposés ici et contribue à entretenir l’univers particulier du Pain de Pierre.
Le reste ? En dehors du pain, les gammes sont courtes. Quelques viennoiseries, des sablés, un peu de salé, rien qui ne justifie le déplacement. C’est la gamme d’épicerie qui retient plus le regard, même si les références sont assez classiques, en dehors des farines utilisées pour la production que l’on retrouve également en vente en sachet.
Faut-il y aller ? Pour découvrir une démarche engagée et en profiter pour s’éloigner un peu de l’agitation parisienne, oui, pourquoi pas. Lardy est une ville sympathique et verdoyante, où il fait bon se promener aux beaux jours. On ne pourra que regretter que le produit soit un peu en retrait… peut-être était-ce mieux du temps de M. Delton. Les transmissions ne sont pas toujours évidentes, et la trace du fondateur demeure souvent indélébile.