Signer des chèques en blanc. L’expression n’a pas une connotation très sympathique, certainement à raison. J’évite de le faire, tout autant que la plupart des gens, car les risques d’utilisation malveillante sont réels, et en définitive, cela se résume à accorder beaucoup de confiance sans bien mesurer les conséquences que l’action peut avoir par la suite. Pour autant, certaines opportunités peuvent nous inciter à le faire, à sauter dans l’inconnu. J’admets l’avoir fait récemment en associant le nom du painrisien à celui de M6 pour un concours organisé à l’occasion du lancement de leur nouvelle émission, La Meilleure Boulangerie de France. L’idée était simplement de faire partager des lots à mes lecteurs…
… A tort ? J’ai eu quelques éléments de réponse à ce sujet hier soir, lors de la « conférence digitale » organisée dans les locaux du groupe. Comprenez par ce terme que la chaine avait invité un groupe de blogueurs positionnés autour des thématiques « cuisine » et « gastronomie ». Un sympathique groupe d’excités du tweet, en définitive, qui consomment et zappent aussi vite que leur ombre. Pour assurer le show, des représentants de chez Shine France étaient présents, ainsi que les responsables du projet chez M6. Gontran Cherrier avait fait le déplacement, Bruno Cormerais étant quant à lui en vacances.
A force, vous avez du saisir le pitch : 84 boulangeries visitées, inscrites par leurs clients sur le site m6.fr, toutes placées en compétition pour prétendre au titre de Meilleure Boulangerie de France. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer ce que je pensais de ce type de concours, à plus forte raison quand on prétend juger l’accueil et la tenue d’une boutique. N’est-il pas évident que les artisans, prévenus à l’avance de la venue des caméras, mettront tout en oeuvre pour présenter « le meilleur » d’eux-mêmes et de leurs équipes ? C’est sans compter sur le fait que la sélection opérée en amont a exclu des artisans pourtant très talentueux : entre ceux qui ne souhaitaient pas participer (et ils ont été nombreux à Paris), ceux qui ne présentaient pas un profil particulièrement « vendeur », …
Nous sommes à la télévision, univers de paillettes et d’images. Il faut raconter des histoires, si possible de belles. Parcours atypiques, familles de boulangers, … des éléments qui parleront forcément plus à l’audience de la chaine qu’un artisan sans histoire particulière, comme si cela lui enlevait le droit d’être un excellent professionnel, généreux et passionné par son travail. Anecdotes, situations « amusantes », cela ne manque pas, pour un programme qui aurait du mal à prétendre développer un quelconque caractère sérieux.
Ne vous méprenez pas sur mes intentions et sur le fond de ma pensée : je pense que c’est toujours une bonne chose que l’on parle du métier de boulanger, que c’est une profession trop discrète et pourtant profondément ancrée dans notre quotidien. Chaque jour, des hommes et des femmes rejoignent leurs fournils pour donner du plaisir à leur clientèle. Sur ce point, je pense que les équipes de Shine seront parvenues à saisir de beaux clichés, d’autant que des artisans de valeur sont représentés. Pour autant, nous ne sommes pas au cinéma, et ce quotidien ne doit être pas être « surjoué » comme il a pu l’être à l’occasion de ce tournage. Des boulangers intimidés qui ont tendance à en rajouter, un jury lancé dans des dégustations particulièrement démonstratives… autant d’ingrédients qui ne font pas franchement lever la pâte… ou élever le niveau.
Au final, le programme tourne tout particulièrement autour des spécialités, régionales ou développées par les artisans. Où est le pain, la baguette de Tradition, le produit de base qui devrait être mis en valeur ? On entend plutôt les noms de pré-mixes développés par de grands groupes meuniers… si c’est ainsi que l’on entend défendre notre savoir-faire artisanal, j’avoue être plutôt perplexe. Bien sûr, la production avait imposé que l’ensemble des boulangers réalisent eux-même la totalité de leur offre. Utiliser un sac où tout est pré-dosé, suivre la recette indiquée, c’est simple et cela reste « fait maison ». Oublions le reste, voulez-vous.
Bien sûr, je n’ai pas manqué de faire part de mes doutes à l’équipe de M6, devant un buffet pris d’assaut par des affam…, pardon, gastronomes, lesquels n’avaient pas manqué de tweeter le-dit assortiment avant de débuter la « dégustation ». On m’a réaffirmé la profonde volonté de valoriser l’artisanat français, de créer des vocations auprès des jeunes, de… Bref. Je ne suis pas persuadé que cette vague idée de compétition soit compatible avec ces ambitions, d’autant plus quand le tout se joue face à des caméras de télévision.
C’est légèrement pétrifié, sonné, que je suis rentré chez moi. Les douces effluves des sucreries de la fête des Tuileries, en passant en métro, n’ont pas vraiment réussi à m’apaiser. Rendez-vous dès lundi, 17h35, sur l’antenne de M6…
« 84 boulangeries visitées, inscrites par leurs clients sur le site m6.fr » ???
Je connais un boulanger qui s’est inscruit lui-même, en son nom, et qui a été sélectionné, qui passera sur M6 (et qui ne gagnera pas d’ailleurs).
Comme quoi on a encore beaucoup à apprendre sur ce programme…
bonjour je suis un amateur de bonne nourriture et de la bonne cuisines et comme je peux constater avec stupeur qu’il faut aller très loin pour trouver un bon pain je trouve ça très triste.!!
Un bien bel article que voilà! Tout y est résumé, le pour comme le contre, sans langue de bois. Rémi, tu devrais envisager de te tourner vers le journalisme si ce n’est déjà fait tant tes articles sont rédigés avec talent. Je passe quotidiennement ici et ne dépose que très rarement de messages hormis ceux relatifs à ma quête d’un bon oranais à Paris. Grâce à ton site, je me suis parfois, voire souvent baladé dans la capitale afin d’y déguster du bon pain, faisant parfois des kilomètres pour trouver la pépite. Parfois je suis sorti déçu de ma dégustation, souvent, j’en suis sorti râvi. J’ai parfois reçu un accueil exécrable, rarement fort heureusement. Grâce à mes quotidiennes visites sur ce site, j’ai pu, voilà déjà longtemps me faire un avis sur ton impartialité et sur ta totale liberté. Je n’aurai qu’un conseil à te donner, laisse dire les médisants et les frustrés. Qu’est ton site si ce n’est un poème dédié à un bel art? Balaie d’une main les susceptibles et continue sur ta voie. Paris, c’est ma vie. Mais j’habite à la campagne et je suis loin de me réjouir de la qualité du pain que je trouve aux alentours de chez moi. C’est un crève-coeur que de le dire, mais la profession semble gangrenée par le profit. Sans langue de bois, c’est quand même incroyable de devoir effectuer des kilomètres pour trouver enfin une bonne baguette digne de porter son nom. Bientôt on ira à la recherche d’un bon pain comme on partirait à la ruée vers l’or. Mais il reste de nombreux bons artisans qui redonnent leurs lettres de noblesse à ce pan de la culture française. Merci pour ton site Rémi. Et comme on dit par chez moi: M…. aux c….
Bonjour Pierre,
Merci pour ton commentaire.
Pour le journalisme, je ne suis pas certain que j’y serais excellent, j’ai du mal à écrire sous la contrainte 😉
Si je suis encore là, c’est que j’essaie de mettre de côté les retours négatifs que je peux avoir, cela fait partie « du jeu » et je les intègre dans ma réflexion.
Pour le bon oranais, je n’ai pas oublié! Il faudra bien que je le trouve, quand même. Dans l’attente, je suis toujours preneur des retours vis à vis des adresses que j’ai visité, et notamment des déceptions que tu as pu rencontrer. Cela m’intéresse car je peux ainsi mieux mesurer la régularité d’une boulangerie… et saisir ce qui m’a échappé.
Je te rejoins tout à fait sur le risque réel de voir le bon pain se faire de plus en plus rare, et de cette obsession du profit. La boulangerie pourrait bien devenir un business comme les autres si l’on n’y fait pas attention… mais ne perdons pas espoir.
Belle journée et à bientôt,
Rémi
« Nous sommes à la télévision, univers de paillettes et d’images. Il faut raconter des histoires, si possible de belles. Parcours atypiques, familles de boulangers, … des éléments qui parleront forcément plus à l’audience de la chaine qu’un artisan sans histoire particulière, comme si cela lui enlevait le droit d’être un excellent professionnel, généreux et passionné par son travail. Anecdotes, situations « amusantes », cela ne manque pas, pour un programme qui aurait du mal à prétendre développer un quelconque caractère sérieux. »
Bien hélas, c’est ça un media, une entité qui n’a pour but que d’agiter les foules, les divertir, faire tourner les regards, déclencher les passions, les déconcentrer en faisant du « flood »
Je vous suggère, si vous en avez un jour l’opportunité, de vous associer avec Arte la prochaine fois, je suis certaine que vous ne serez pas deçu.
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