Mes goûts personnels influent forcément sur les produits que je présente ici, sur les adresses que je sélectionne et ma façon de les aborder. Même si une parfaite neutralité est impossible, et que je ne cherche pas à y prétendre, il me paraît indispensable d’aller au delà des limites que me fixe cette culture du goût, ces aspirations. La démarche est aussi positive pour moi que pour vous, mon lectorat, en définitive : de cette façon, vous découvrez de nouvelles approches du pain… et moi aussi, même si les expériences sont parfois un peu particulières.
Pain, charcuterie, fromage. Trois éléments qui peuvent ensemble constituer la base d’accords et la promesse de repas savoureux. Une réelle démarche gastronomique se déploie entre ces produits et de plus en plus de restaurateurs en prennent conscience pour créer de la cohérence sur leurs tables. Farines, levains, fermentations, … tout compte. En boulangerie artisanale, on ne peut pas vraiment dire que l’on ait attendu ce mouvement. Depuis longtemps, l’accord est proposé en « prêt à consommer », sous entendu que les pains incorporent déjà fromages, chorizos et autres lardons. Un mélange autant pratique que source de marge pour les boulangers, puisque ces produits sont bien souvent vendus relativement cher, malgré une qualité relativement défaillante : à cela, plusieurs raisons. Tout d’abord un sourcing contestable des matières premières, puis l’action de la fermentation. En effet, cette dernière transforme autant la pâte que tout ce qui peut s’y trouver. Ainsi, des fromages ou des charcuteries de grande valeur pourraient être gâchés, dégradés, par cette action naturelle.
Dès lors, il est apparu normal pour certains artisans d’y renoncer. Ce serait bien loin de me déranger, vous l’aurez compris, je ne suis pas un adepte de ces « pains repas », à la frontière entre le déjeuner complet et la gourmandise salée un peu riche. Néanmoins, cela peut avoir du sens quand on y donne une dimension « cuisinée »… A l’image du pain Wasabi-Sésame & Saucisse de Morteau, proposé dans la boulangerie-pâtisserie de Cyril Lignac et Benoît Couvrant, dans le 11è arrondissement.
La création est autant atypique que multiculturelle. On s’envole pour l’Asie avec le Wasabi, tandis que l’on rend visite à notre sympathique Jura français. L’association des deux est intéressante, la saucisse et son fort goût de fumé étant relevée habilement par le piquant du Wasabi. Seulement voilà, ce dernier ingrédient demeure assez peu présent, et on le retrouve surtout en enrobage des graines de sésame. Saupoudrées sur la croûte supérieur du pain, elles ont malheureusement tendance à prendre la poudre d’escampette, sans doute pressées de retrouver les régions chaudes dont elles sont issues. Peut-être aurait-il été plus opportun d’en incorporer une partie à la pâte afin d’en garantir la saveur, et mieux retrouver ces petites notes chaudes et craquantes.
Parlons justement de la mie, assez dense, fondante et de bonne tenue. Même si notre amie mortuacienne y laisse une forte empreinte, elle parvient tout de même à exprimer une note d’acidité agréable, qui prolonge le goût. Malgré une caramélisation bien réalisée, la croûte reste quasi-absente à la dégustation, et elle a tendance à perdre rapidement de sa consistance.
Un peu surprenant de retrouver ce pain comme une nouvelle création en plein été, la saucisse de Morteau n’étant certainement pas le mets tendance par ces températures. Pour autant, incorporée en morceaux de taille mesurée et en « éclats », elle parvient à se fondre dans la masse autant qu’en bouche. Le résultat évite l’écueil de l’écoeurement, et accompagnera sans difficulté champignons ou salades assez « vives », telle que la roquette, même si le mieux reste sans doute de consommer ce drôle de pain seul, à l’apéritif par exemple. Un format plus réduit aurait peut-être été plus adapté : en effet, il n’y paraît pas de prime abord, mais cette boule pèse plus de 300 grammes !
Cyril Lignac et ses équipes nous proposent là un pain très cuisiné, qui correspond bien à ce que l’on pourrait attendre de ce chef télévisuel. Même si je ne suis pas adepte de l’idée , sa réalisation demeure plutôt convaincante et utilise bien le pain comme support de saveurs et de créations.
Pain Wasabi-Sésame-Saucisse de Morteau, La Pâtisserie Cyril Lignac – Paris 11è, vendu à la pièce, 3,50€ la boule d’environ 300g.