Je vous avais déjà parlé de course de fond pour décrire ma démarche painrisienne, mais avec le temps je me découvre d’autres talents… de nageur, notamment. En effet, je nage à contre-courant pour remonter la filière pain, en visitant aussi bien boutiques, fournils, moulins et à présent champs. Ce parcours me permet de mieux appréhender l’engagement d’hommes et de femmes pour aboutir à un produit de qualité, et en la matière, chaque maillon de la chaine compte. On parviendrait difficilement à faire du bon pain avec des farines moulues à partir de blés de piètre qualité, dépourvus de tout intérêt nutritionnel et technique.
Ce fait-là, Yvon Foricher l’a bien compris en choisissant, depuis le début de son activité au Moulin des Gaults, de sélectionner une matière première de haute qualité. Faire de la Tradition, c’est bien. La faire avec des blés cultivés dans des conditions acceptables, c’est mieux. En effet, si le cahier des charges définissant la baguette de Tradition impose l’absence d’additifs, il ne présume pas des traitements administrés aux céréales, ni à l’environnement dans lequel elles sont produites.
CRC, voilà un acronyme bien mystérieux pour la plupart des consommateurs. Trois lettres pour signifier Culture Raisonnée Contrôlée. Cette démarche a vu le jour en 1989, à destination de l’alimentation infantile. Plasmon, un marque italienne spécialisée dans la « Baby Food », a été parmi les premières à souhaiter s’engager sur la qualité de ses produits et la traçabilité de l’ensemble de ses matières premières, avec bien évidemment le blé en ligne de mire. Le crédo est simple : Obtenir des produits sains et de qualité tout en respectant l’environnement.
Ainsi, l’histoire commence chez Capserval, une coopérative céréalière implantée non loin de Sens. A cette époque, le législateur n’a pas encore pris conscience de l’importance des pratiques culturales sur l’environnement et sur la santé des consommateurs. Cette initiative privée revêt un caractère précurseur, qui sera reconnu en 1999 avec l’obtention d’une Certification de Conformité Produit. Ce sigle de qualité officiel permet de crédibiliser l’ensemble, avant d’aboutir un an plus tard à la création d’un GIE regroupant différents acteurs de la filière : Agriculteurs, Organismes stockeurs, Meuniers, Industriels, … Chacun est impliqué dans le développement de la démarche.
Pour parvenir à associer qualité, respect de l’environnement et performance, il est indispensable de mener un travail de recherche et développement. Ce dernier se concrétise par l’implantation de champs d’essais, comme celui que j’ai pu visiter en cette fin de semaine.
Accueillis par Michel Deketelaere, responsable qualité et développement de Capserval, et Catherine Robillard, ingénieure agronome chez Seine-Yonne – un groupement de coopératives -, nous avons découvert les différents éléments qui font la démarche CRC au quotidien.
Lorsque l’on veut cultiver du blé CRC, il est nécessaire de s’éloigner des grosses artères routières : le groupement a en effet intégré dans ses critères une distance de « sécurité » pour protéger les cultures de la circulation automobile. Nous nous retrouvons ainsi au calme, perdus quelque part sur la commune d’Evry. Les variétés de blés sont bien alignées, divisées en petites parcelles. Leur développement est étudié au quotidien par les équipes de Seine-Yonne (Capserval & 110 Bourgogne) afin de déceler maladies, attaques d’insectes, résistance au vent… Autant d’éléments qui influent sur la qualité d’une récolte et son utilisation en Meunerie ou ailleurs.
Le catalogue de semences est en perpétuelle évolution : chaque année, de nouvelles variétés sont développées puis expérimentées. Ici, des noms bien connus tels qu’Apache (un blé cultivé depuis déjà plusieurs années, et en perte de vitesse) côtoient des numéros qui représentent autant de céréales en devenir. Chacune aura ses spécificités : barbue ou non, résistante à la fusariose (une des nombreuses maladies atteignant le grain), plus ou moins précoce … En fonction des constatations réalisées ici ou sur l’un des nombreux sites d’expérimentation, on pourra établir un « tableau » précis et orienter les agriculteurs vers une variété plutôt qu’une autre, en fonction de leurs besoins, du type de sol qu’ils possèdent, de leur terroir, etc.
L’objectif sous-jacent demeure une utilisation minimale de produits insecticides ou de désherbants : les résidus (de mycotoxines – provenant du développement de champignons sur les blés – ou de pesticides) sur le produit final ne doivent pas excéder un certain seuil, exprimé… en microgrammes, soit bien en dessous des limites fixées par les pouvoirs publics ou même dans le cadre de l’agriculture Biologique. Le CRC démontre là son objectif de qualité supérieure.
Cette même qualité doit se retrouver à la panification, avec des caractéristiques techniques (force, taux de protéines…) permettant un emploi facilité suite à l’écrasement en Meunerie. Chaque blé suit ainsi un processus de certification, visant à aboutir à un label « Blé Panifiable Supérieur », puisque c’est ce que souhaite cultiver Capserval. D’autres types existent, à l’image des blés biscuitiers, des blés améliorants, ou des blés autres usages. La classification attendue n’est pas toujours celle remise par l’organisme certificateur, et certaines variétés sont donc « déclassées ». L’Association Nationale de la Meunerie Française – ANMF – rend elle aussi son avis au travers de son catalogue de variétés recommandées, dites « VRM ».
Au fil du temps, les blés cultivés dans les champs changent. On en oublie certains au profit de nouveaux, aux caractéristiques plus intéressantes.
Qui dit grain dit aussi stockage. En la matière, le groupement CRC a décidé d’avoir son mot à dire en imposant un stockage sous ventilation à l’air naturel, avec absence d’insecticide de stockage. Une exigence très pointue là encore, puisque le label Biologique n’oblige à rien de tel de son côté.
Cela a poussé Capserval à investir dans ses outils, et notamment à bâtir des silos modernes, tel que celui-ci : inauguré en 2008, il présente une capacité de stockage de 35000 tonnes de grain. Sa conception a été entièrement pensée afin de s’inscrire dans une démarche d’économie d’énergie.
A l’intérieur des cellules, la température est régulée afin de la maintenir toujours inférieure à celle présente à l’extérieur, pour rendre le silo bien peu attirant aux yeux des insectes. Une innovation a également été développée sur ce site, avec un silo « homogénéiseur » : il permet en effet de réaliser un mélange homogène de variétés, grâce à une division en 6 parties sur le principe d’un camembert. Le grain pénètre par le haut, et est entrainé par la gravité. Cela permet d’éviter d’avoir plusieurs « couches » comme c’est le cas dans un silo traditionnel.
On retrouve bien sûr d’autres équipement plus traditionnels, comme des cellules de séchage (très utilisées pour le maïs, mais aussi lorsque les blés sont trop humides), et trois voies de chargement : fer (le premier convoi ferroviaire partira d’ailleurs la semaine prochaine), eau ou route. Voilà de quoi distribuer le bon grain CRC, mais aussi l’orge à destination des brasseurs, entre autres céréales stockées ici.
Vous l’aurez compris, Capserval s’est profondément engagé dans le virage du CRC, et Foricher y a bien participé. Michel Deketelaere se rend très régulièrement au Moulin des Gaults et les échanges avec les équipes techniques du meunier sont permanents, afin d’assurer qualité et régularité. Ce partenariat est valorisé auprès des clients finaux, puisque des représentants de la coopérative sont dépêchés lors des animations organisées autour de la baguette Bagatelle : de cette façon, le consommateur peut faire connaissance avec l’ensemble de la filière blé-farine-pain et mieux comprendre le rôle de chaque acteur. Cette démarche prend tout son sens dans une période où il faut rassurer et défendre des produits de qualité face à une industrie aux pratiques déviantes.
Le CRC a donc de beaux jours devant lui, preuve en est de ses clients toujours plus nombreux : Saint-Michel a fait le choix d’utiliser une farine CRC pour l’ensemble de sa production, l’alimentation infantile est toujours plus demandeuse, la plupart des meuniers ont intégré une offre Label Rouge/CRC dans leur catalogue…
Ping : Du Blé au Pain en Ile-de-France ? Oui… au Moulin des Moissons, à Grosrouvre (78) ! | painrisien
Vous avez pris de très belles photos ! Quand j’étais enfant, j’aimais trop les tracteurs et les machines et voir les silos dans le paysage me fait plaisir comme ceux-ci (photos). Je trouve les pratiques de l’agriculture moderne fascinants. Physiquement, c’est plus facile que par le passé, mais c’est plus compliqué que l’on n’aurait jamais pu imaginé. Merci d’avoir partagé !