Les espèces vivantes qui sont présentes aujourd’hui sur la surface de notre planète doivent leur longévité à une qualité essentielle : leur capacité d’adaptation à un environnement changeant. La terre n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, que ce soit en terme de conditions climatiques, de relief ou de végétation. De la jungle au désert, il n’y a presque qu’un pas qui peut rapidement être engagé… Comme pour les activités économiques, en définitive. La conjoncture change rapidement, et les périodes de crise ou de reprise s’enchainent continuellement.
Nos artisans boulangers ne sont pas à l’abri de toutes ces variations, et ils doivent donc être en mesure de s’adapter pour survivre. En réalité, leur attention doit être autant portée sur l’état du marché que sur les attentes des consommateurs. Une boulangerie est le reflet d’un quartier, d’un environnement. Il serait donc bien difficile de développer une gamme qui ne corresponde pas à la clientèle locale. Certains artisans peinent parfois à trouver la « bonne note », la mesure vis à vis des moyens et des goûts développés au sein de leur chalandise : c’est un élément à ne pas négliger lorsque l’on s’installe ou que l’on reprend une affaire. Pour les chaines, difficile d’adapter complètement un concept, qui repose justement sur l’uniformité des points de vente et les économies d’échelle que cela permet. D’autres parviennent à se multiplier tout en cherchant à mettre en avant leur « singularité locale ». Eric Kayser le fait avec une certaine habileté, en proposant dans ses boutiques des « pains signature » portant le nom des quartiers où il s’implante, même si les bases demeurent bien souvent identiques. Si l’on va au delà de cette pratique marketing, on peut s’intéresser à des démarches plus poussées et honnêtes. Même si l’on peut reprocher à Gontran Cherrier son caractère médiatique et sa propension à se multiplier, l’artisan et ses équipes n’en savent pas moins capter la couleur locale et lui proposer une offre adaptée.
C’est le cas notamment à Saint-Germain-en-Laye, dans sa toute dernière boutique. Ici, les adaptations ont été nombreuses : côté pâtisseries, de grands classiques de notre répertoire sucré sont déclinés, alors que c’est beaucoup moins le cas sur Paris : éclairs chocolat ou café, forêt noire, … Dans cette commune des Yvelines, la population assez bourgeoise et aisée apprécie les produits traditionnels. Même constat du côté des pains, où les créations les plus « agitées » n’ont pas franchi les portes : ainsi, pas de pain à la banane et au poivre, et une offre plus réduite en propositions vendues au poids. En effet, la clientèle ne comprenait pas l’intérêt de ce mode de vente, et s’orientait plus naturellement vers des pièces « figées ». Dès lors, difficile d’aller contre.
Pour d’autres, les contraintes se situent plutôt sur le plan tarifaire : il serait bien difficile de demander à une population peu aisée de mettre 8 euros du kilogramme dans un aliment de base tel que le pain. Est-ce un tort ? Cela devrait-il les contraindre à consommer un pain médiocre ? Certainement pas. Quelques uns le prouvent, comme le fait de façon admirable Anis Bouabsa et sa boulangerie Au Duc de la Chapelle ou bien Swan Casenove et son équipe chez Tembely, en plein coeur du quartier de la Goutte d’Or. Ici, pour des prix très doux, on peut s’offrir de délicieuses baguettes de tradition, des pains au levain savoureux, entre autres spécialités.
Je parlais également de conjoncture et d’environnement, et en la matière, l’artisanat a bien du soucis à se faire. Les industriels ou semi-industriels redoublent d’efforts pour s’implanter au plus près des consommateurs et leur proposer des équivalents « crédibles » à ce que sait produire un boulanger aujourd’hui : boulangeries « Ange », Marie Blachère et autres… mais aussi grandes et moyennes surfaces. A mon sens, la vraie réponse s’inscrit dans une adaptation par la qualité de l’offre artisanale : que ce soit en terme de matières premières, de méthodes de travail (longues fermentations, utilisation de levain naturel…) ou de diversité des produits, il est nécessaire de sortir des carcans imposés par certains réseaux boulangers ainsi que des recettes standardisées que la profession a développé au fil des années. Au delà du pain, ce sont des gourmandises accessibles mais néanmoins porteuses de marge qui doivent se développer… sans recours à l’industrie !
Caméléons d’aujourd’hui et de demain, nos artisans doivent donc développer leur souplesse et leur ouverture d’esprit… pour que les boulangeries vivent, et ce le plus longtemps possible.
Y aurait-il une propention à la schizophrènie chez certain de nos collègues boulanger?
Je m’interroge toujours sur la capacité de certain à vouloir se « multiplier » tout en veillant à changer l’idendité qui a fait leur succès de départ. Finalement est-ce que le client s’y retrouve avec une image qui finit par être brouillée par tant d’écart entre le « bruit médiatique originel » et la réalité de ce qu’il découvre dans les nouvelles installations?