Il y a des secrets qui feraient mieux d’être gardés, tant ils illustrent les dérives de notre société moderne. L’un d’entre eux ? Celui qui entoure nombre de viennoiseries vendues en boulangerie. On imagine toujours le travail passionné de l’artisan en train de découper des triangles de pâte feuilletée pour façonner ses croissants, après avoir préparé amoureusement ses détrempes… La réalité est tout autre aujourd’hui, dans nombre de fournils.
Il suffit d’ouvrir le congélateur, de prélever quelques viennoiseries, de les passer au four… et l’affaire est dans le sac. Pré-cuit surgelé, voilà comment cela s’appelle. En fait, nous pourrions tous le faire, cela revient un peu à acheter ce type de produit dans les circuits de distribution classiques puis les faire cuire. Le coût est au final plus faible, de plus le résultat est plus « frais ».

Je trouve que tout cela est honteux. C’est un mensonge, une tromperie : les clients pensent acheter des produits de qualité supérieure en se rendant chez leur artisan, ils pensent encourager une certaine démarche à contre-courant de l’industrialisation croissante de l’alimentaire et y mettent le prix, car les viennoiseries ont un coût non négligeable. Au final, on se moque d’eux. Drôle de façon de remercier sa clientèle !

Cela pourrait être une pratique isolée, mais en réalité, c’est le cas dans plus de 80% des boulangeries. Employer un ouvrier compétent pour le tourage présente un coût non négligeable, ce sont des compétences assez rares. En effet, il n’existe plus de formation spécifique pour ce métier. Le savoir-faire se perd… De plus, la réalisation de la pâte feuilletée prend plus de 12 heures au total, du fait des temps de repos à respecter entre les différents tours. Forcément, il est plus simple d’ouvrir un congélateur. Entre simplicité et moralité, beaucoup semblent avoir fait leur choix. Je ne vais pas les condamner, c’est un peu compréhensible, ils veulent faire perdurer leur affaire. Je ne sais pas si je pourrais agir ainsi, tout de même.

Bien sûr, il reste des passionnés, des gens chez qui vous trouverez des douceurs réalisées dans les règles de l’art. Au final, elles seront peut être à peine plus chères que ces produits surgelés. Tant qu’à faire, il faut bien s’octroyer des marges confortables. Sur Paris, ces adresses sont peut être moins introuvables qu’ailleurs, même si au vu du nombre de boulangeries le pourcentage doit être très faible. On pourra notamment citer Des Gâteaux et du Pain dont les viennoiseries sont superbes, le feuilletage très fin et les cuissons bien marquées, ainsi que Du Pain et des Idées pour sa gamme d’escargots, Dominique Saibron et ses nombreuses spécialités, Gontran Cherrier, … J’en oublie sûrement, mais cela fait déjà une bonne entrée en matière !

4 réflexions au sujet de « Les viennoiseries de la honte »

  1. Il devrait y avoir une législation qui encadre tout çà. Soit interdire d’utiliser le terme « boulangerie » pour ceux qui utilise ce genre de viennoiseries soit une obligation d’indiquer clairement que les viennoiseries ne sont pas artisanales.

    • La législation existe… uniquement pour le pain. Ne peuvent porter le nom de boulangerie que les boutiques fabriquant leur pain sur place (pétrissage, façonnage & cuisson). Cela devrait effectivement être étendu à ces autres produits… mais comme ce n’est pas le cas, beaucoup en profitent !

  2. C’est effectivement une honte. Toutefois, pour avoir été patron d’une boulangerie pendant 4 ans, j’ai pu retourner le problème dans tous les sens. Partisan du savoir faire, j’ai toujours employé des touriers, au global cela représente un investissement. Je n’ai jamais jeté la pierre à mes confrères qui achetait leurs viennoiseries congelés, car les charges dans une entreprise boulangère sont prohibitives et la concurrence rude. Communiquer reste notre planche de salut, pourquoi ne pas instaurer un principe de croissantier (obligation de pétrir, tourer, façonner sur place)au même qu’il existe un statut de boulangerie ?

    • Oui, je comprends bien qu’employer un tourier représente un coût non négligeable, et de plus en plus élevé d’ailleurs car c’est un savoir-faire qui se perd. Pour autant, cela dénote un manque profond d’amour de leur métier chez les artisans ayant fait ce choix, et c’est bien dommage, même si les raisons économiques demeurent.
      Effectivement, un tel principe devrait être mis en oeuvre, mais je ne suis pas persuadé que le sujet passionne vraiment nos pouvoirs publics 😉

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