L’argent et les enjeux financiers écrasent les hommes. C’est un des maux principaux de notre société, et nous devons malheureusement vivre avec, l’accepter et continuer à avancer. En matière de boulangerie, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’argent tient une place importante. Les enjeux sont énormes : la variation des cours du blé de ces derniers mois l’a bien montré, et le secteur de la meunerie ne se contente pas de fournir de la farine, il développe ses activités bien au delà, notamment dans les projets d’installation des artisans, en leur proposant divers fonds de commerce et même en finançant leur installation.
Dans ce contexte, où est l’humain, que représente une petite boulangerie ? Pas grand chose. Ma crainte est qu’au final le secteur finisse écrasé par ces préoccupations qui sont bien loin de porter un quelconque retour au goût et à des produits bons et sains pour les consommateurs.

Face à cela, quelques projets se développent dans une autre éthique, et c’est tout à fait ce que je peux rechercher en tant que painrisien et citoyen. Souvenez-vous, je vous avais parlé il y a quelques mois de la Conquête du Pain, une boulangerie autogérée à Montreuil. Cette petite entité continue à s’épanouir discrètement, à quelques mètres de la station Croix de Chavaux sur la ligne 9, en s’intégrant à la vie sociale et associative locale. Par exemple, la galette des rois aura été l’occasion d’aller à la rencontre des personnes âgées ou des plus jeunes… Une belle façon de partager des produits gourmands et de sortir de la simple relation commerciale que peut entretenir une boulangerie avec ses clients. Je n’avais pas eu l’occasion de vous faire partager quelques images de ce lieu, voilà un manque que je corrige aujourd’hui.

Dès que l’on entre dans cette petite boutique d’angle, on sent que quelque chose de différent se passe. Dans quelle autre boulangerie ai-je pu trouver des tracts anarchistes ou bien des livres « en libre circulation » (via le réseau Bouq’Lib’) ? Aucune. Comme j’ai pu l’écrire précédemment, la boulangerie ce n’est pas seulement de la technique, c’est aussi de l’humain et de l’esprit. On retrouve bien les deux ici. Peut-être est-ce pour cela que le pain est bon, aussi, et que la clientèle est fidèle. Les habitudes de chacun sont connues et le service est presque amical, chaleureux, maîtrisant ses produits sur le bout des doigts.

Parlons-en, d’ailleurs, des produits. Cette « boulangerie révolutionnaire » aime bien surprendre les papilles et appliquer les mêmes principes anarchistes du côté des saveurs. Ainsi peut-on découvrir des pains au potiron, une « brioche serpent » au caramel, mais aussi des créations sorties toutes droit de l’imagination de boulangers un peu spéciaux, comme ce surprenant pain au riz au lait, miel et riz soufflé.
Le résultat est plutôt curieux. Cela n’a pas à proprement parler de croûte, le pain est cuit dans un moule qui forme ses « extrémités » au goût de caramel, le reste étant constitué d’une « mie » très blanche, collante et quasiment dépourvu de tenue. Au goût, on obtient un parfum presque vanillé, le miel fournit quelques notes sucrées. Cela se mange sans façon, avec ces quelques éclats de riz soufflé qui apportent un peu de craquant à l’ensemble. Drôle de gourmandise.

Les livres "en libre circulation"

Bien entendu, on trouve également des produits plus classiques, même si les noms restent assez originaux. Baguette Baobab ou Préhistorique (mélange de farines T80 et T65), Sarrasin de l’Espace, Arbre, Tourte Auvergnate, pains aux céréales, Blumblum (équivalent du pain noir)… Le choix ne manque pas et on appréciera les cuissons bien abouties ainsi que les façonnages plutôt réussis sur les pièces les plus volumineuses. Côté saveur, conservation et qualités de la mie, cela se tient très honorablement.
L’ensemble des pains sont réalisés à partir de farines biologiques, ce qui fait partie de l’engagement de la boulangerie, qui parle de l’importance de la qualité et de la salubrité des matières premières employées.

Les sandwiches proposés le midi expriment également un certain caractère communiste, qui peut prêter à sourire. On déguste ainsi un Louise Michel, un Lénine ou encore un Marx, pour des prix tout à fait raisonnables. Les plus gourmands pourront les intégrer dans des formules, rien de révolutionnaire là dedans.

Je pense que ce type de structure correspond tout à fait aux valeurs que doit porter la boulangerie aujourd’hui et demain : partage, humanisme et liberté, tout en proposant des produits sains et de qualité. Quand on prend en compte les aspects politiques se rattachant au pain, on ne peut que trouver l’idée pertinente et digne d’être reproduite ailleurs. J’en parle et je trouve important que l’on mette en avant de telles initiatives face à des entreprises où les salariés ne sont pas respectés, et qui vantent pourtant la qualité de leurs produits, tout en affichant des tarifs élevés et des marges confortables. Il est dans l’intérêt de tous de sortir de l’ombre de tels schémas.

Infos pratiques 

47 rue de la Beaune – 93100 Montreuil (métro Croix de Chavaux, ligne 9)
ouvert du lundi au vendredi de 11h30 à 14h et de 16h à 20h.
Actualités, horaires et détail des produits sur leur blog : http://laconquetedupainmontreuil.wordpress.com/

Plus d’informations dans mon premier billet : Détours en banlieue : La Conquête du Pain, Montreuil, une boulangerie révolutionnaire

4 réflexions au sujet de « En Conquête du Pain, à Montreuil… toujours une aventure ! »

  1. Article stimulant, notamment en terme d´innovation sociale. Du coup, rétrospectivement j´ai été un peu surpris par la phrase introductive, une entame en contradiction certaine avec la suite de l´article et heureusement 😉 « L’argent et les enjeux financiers écrasent les hommes. C’est un des maux principaux de notre société, et nous devons malheureusement vivre avec, l’accepter et continuer à avancer ». Il faut croire que non^^.

  2. et bien non je crois que ce boulanger (et beaucoup d’autres personnes) n’acceptent pas que les enjeux financiers et l’argent écrasent les hommes.
    luc

  3. David > C’est la rhétorique du chapeau et Rémi a bien raison de ne pas manger le sien. Et je lui tire le mien pour cet article.
    (Oui, c’est bien ça : je travaille du chapeau ;-p)

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