1 mars 2012. Temps brumeux. Le jour s’est levé lentement, j’ai vaincu la nuit dans une course effrénée, autant contre elle que contre moi-même. Profondes turpitudes de l’âme au réveil.
Cette journée sera sans doute comme beaucoup d’autres. Une course. Une course après le pain. Je suis painrisien, après tout. Je cherche la mie, l’ami. Le pain ne serait-il pas qu’une excuse, après tout, la forme concrète d’un besoin beaucoup plus profond et sensible. Ne recherche-t-on pas dans la douceur chaude de la mie le réconfort apporté par la mère à son enfant, ce confort et cette simplicité que l’on aimerait ne jamais quitter ? L’amour, comme celui qu’a versé l’artisan dans sa pâte, cette fameuse matière tiède, dans laquelle on ne saurait retrouver seulement de l’eau, du sel, de la farine, du levain et/ou de la levure… Non, il y a aussi de la vie. La vie qui nous rapproche ou nous éloigne de toutes ces choses simples qui devraient éclairer notre quotidien.

Je regarde ces pains, ces artisans oeuvrer, cela m’inspire, et dans un sens me rend meilleur : j’ai moi aussi envie de partager, de créer, de me dépasser pour faire en sorte que tout ce savoir-faire soit valorisé, reconnu. Le bon pain est encore meilleur si on le partage.
Alors je reprends ma course. Je marche, je marche, je ne m’arrête pas. Je romps les croûtes, caresse les mies, j’écris, je réécris, je goûte, je regoûte. C’est autant un éternel recommencement qu’un nouveau départ, autant une tâche répétitive qu’un émerveillement quotidien. Parfois c’est agréable, le pain est bon, l’esprit est là. Parfois ça l’est beaucoup moins, rien ne se passe, quelque chose s’est perdu. La vie, peut-être, l’envie, au moins.

Je cours toujours. Après cette muse. Elle m’amuse, m’abuse. J’aimerais pouvoir l’atteindre autant qu’elle me touche, la décrire, en cerner les contours. Peut-être est-ce cette miche de pain que j’aperçois dans cette vitrine, peut-être est-ce cette baguette au fond d’une panière… Comment savoir. Je m’y perds et m’y retrouve, puisque c’est cette question, cette quête, qui doit parvenir à m’accomplir. Sans questionnement, pas d’avenir, pas de vie.
Le problème est récurrent et central : pour quoi sommes-nous faits, à quoi sommes-nous destinés ? Nous passons notre existence à y répondre, plus ou moins bien. Après tout, nous sommes humains, parfaitement imparfaits. Tout comme le pain : chaque jour qui passe le fait différent, plus ou moins hydraté, plus ou moins réussi. Il vit autant qu’il fait vivre.

Cela pourrait être simple, naturel, comme un parcours fluvial sur un canal, mais non, sur ce chemin tout est assez compliqué, torturé. Peut-être est-ce ainsi que cela doit être, mais le risque est de finir par être lassé, de perdre l’envie, de ne plus être attiré par cette fameuse muse. Il faut trouver des moyens de renouveler ses plaisirs, rencontrer de nouvelles mies, de nouveaux amis. Repartir chaque matin avec un oeil vif, juste vivant. Courir, toujours courir, en fait. Toujours sans savoir après quoi, peut-être après les autres, peut-être après soi-même. C’est aussi pour cela que j’aime le pain : il possède une force d’évocation quasi-universelle. Pourquoi n’offrirait-on pas une miche pour fêter un anniversaire ? Pour remercier ses hôtes à un diner ? Trop simple, trop commun, trop quotidien. Pourtant, c’est là que tout se joue. Dans la vie.

Au final, je finis par cerner les contours de cet idéal, de cette envie. Je ne me cherche pas tant que ça, je ne cherche pas le meilleur des pains, je ne cherche pas les goûts les plus marqués… Non. Ce qui importe, c’est l’humain, l’autre, la muse, l’envie… La vie, en bref. Peut-être y perdrai-je, peut-être m’y perdrai-je… mais j’aurais essayé, au moins. C’est le moins que je puisse faire.

4 réflexions au sujet de « Mon pain. Ma mie. Ma muse. »

  1. Ton texte est magnifique. Habité. Comme le précédent, il est très musical, mais à sa façon : l’autre visitait les champs (chants) lexicaux, celui-ci déploie des rythmes, les sonorités et l’introspection du slam.
    Merci pour ces intermèdes poétiques.

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