J’ai souvent parlé de l’importance de la farine, des matières premières et des facteurs humains dans la réalisation d’un pain savoureux. Bien entendu, des éléments techniques rentrent aussi en ligne de compte, tels que le four, les pétrins, la configuration du fournil… Cependant, ce ne sont pas les facteurs qui peuvent réellement différencier un boulanger d’un autre, à mon sens. Non, il faut aller plus loin.

Parmi les points auxquels je m’intéresse particulièrement, il y a l’esprit, le personnage. Le pain est également une affaire de culture, d’envie, de goût des autres.
Nos écoles de boulangeries vont former des techniciens. Pour peu qu’ils soient assidus, ils deviendront sans doute de très bon exécutants, parvenant à réaliser sans difficulté des recettes établies dans un fournil. Cette connaissance leur permettra-t-elle de dépasser ce stade, de ‘prendre leur envol’ ? Dans un sens, rien ne les en empêche. Ils peuvent sans difficulté s’installer à leur compte dès lors qu’ils en possèdent les moyens et l’éventuelle assistance financière d’une banque ou d’un meunier. Cela donnera naissance, très souvent, à une boulangerie certes, mais sans ce supplément d’âme, pourtant tellement nécessaire. En effet, la gamme sera généralement calquée sur celle proposée par leur meunier, sans aucune fantaisie ni création. Dès lors, comment se différencier vis à vis de la boutique d’à côté, comment donner envie à la clientèle de consommer du pain ?

Le bon pain se développe au fur et à mesure de la fermentation, et c’est un peu la même chose pour les êtres humains. Ils s’épanouissent au fil de leurs expériences, et la richesse de leur parcours sera pour beaucoup dans la qualité de leur travail. Dans le cas des boulangers, les voyages, le travail dans de nombreux fournils (ayant chacun leurs spécificités, leurs clientèles, leurs méthodes de travail…) seront autant d’opportunités de s’ouvrir et de devenir un boulanger « complet ». En cela, le compagnonnage offre des perspectives intéressantes pour les personnes possédant une certaine soif de découverte, l’envie de se perfectionner chez différents patrons.

Au quotidien, il suffit de se rendre dans quelques unes de ces boulangeries créées par de véritables « têtes » du métier. Comment les reconnaître ? En entrant dans leurs boutiques, on sent immédiatement ce fameux esprit, cette vie. Cela ne tient pas à grand chose, dans l’absolu, mais il suffit de jeter un oeil du côté des produits, de voir qu’ils sortent des standards, qu’il y a quelque chose de plus. Parfois c’est assez frappant, comme chez Gontran Cherrier, où l’on ne peut rater ses buns multicolores, sa baguette à l’encre de seiche et aux graines de nigelle ou bien au curry… Des produits peu communs qui sont l’expression de la démarche gourmande et voyageuse de cet artisan atypique. Dans d’autres cas, cela peut se faire de manière plus subtile.
Comment ne pas citer Jean-Paul Mathon et sa Gambette à Pain, où les produits, d’apparence plutôt classiques, expriment des arômes si particuliers et intéressants ? Bien sûr, d’autres indices chez lui nous mettent sur la voie, comme ces nombreuses illustrations en rapport à Gambetta, ou encore ces références à la farine T80 qui sert de base à nombre de ses produits, et même à ses viennoiseries (qui d’autre que lui pour parvenir à faire cela ?!).

J’en profite également pour parler de ce fameux sac réalisé à partir de sacs de farine usagés, une création originale et tout à fait symbolique de l’état d’esprit de l’artisan, aussi créatif que respectueux de l’environnement qui l’entoure.
Bien sûr, on peut citer également des artisans tels que Dominique Saibron, Franck Debieu ou encore Rodolphe Landemaine, qui sont parvenus à développer leurs univers respectifs au sein de leurs boulangerie, avec le succès que l’on connaît.

Au final, le message que je cherche à véhiculer est de refuser l’uniformité, de chercher à développer la singularité de chacun de nos artisans boulangers. Au delà de cette idée, il y a la notion de partage et de générosité. Certes, un artisan peut exprimer des caractéristiques bien particulières, mais il doit aussi entretenir un état d’esprit d’ouverture et d’écoute sur le monde, sur sa clientèle et sa communauté, en tant qu’acteur de la vie quotidienne et locale. C’est certainement de cette façon que l’on parviendra à redonner ses lettres de noblesse à la boulangerie, et que les consommateurs prendront toujours plus de plaisir à manger du pain. Dans ce fameux pain, ils retrouveront non seulement de quoi nourrir leur corps, mais aussi leur esprit… de quoi les inspirer pour, à leur tour, partager un sourire, une envie, … du pain.

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