Billets d'humeur

02
Juil

Raconter des histoires

24 commentaires

Cela ne vous aura sans doute pas échappé, j’aime raconter des histoires. Oui, mais seulement de belles histoires, qui trouvent un sens dans la réalité, qui se basent sur du concret et parviennent à satisfaire mon exigence d’honnêteté et de goût, tout simplement. Seulement voilà, cela ne semble pas être le sens dans lequel tout le monde cherche à aller. Les anglophones parlent de « storytelling », moi j’aurais plutôt tendance à parler de marchands de sable… « Mister Sandman, bring me a dream » chantaient les Chordettes.

Du rêve, oui, le secteur de la gastronomie sait en vendre et en créer. Un univers de paillettes et d’histoires, justement. Plus le temps passe, plus je goûte de produits et échange avec les artisans, mieux je me rends compte de la distorsion entre ce que l’on vend au consommateur et ce qui est vanté. Cela peut se situer sur le plan des qualités gustatives, bien souvent sur-vendues, c’est de bonne guerre et on ne peut pas reprocher à un vendeur de chercher à écouler sa marchandise. Cependant, je n’adhère plus dès lors qu’il s’agit de proposer un produit qui devrait être sain, « honnête » et artisanal… alors que l’on fait tout le contraire.

Des exemples ? Allons-y, n’ayons pas froid aux yeux. Prenez le célèbre traiteur Lenôtre, dont le site regorge d’informations inquiétantes sur la composition de leurs gourmandises. Une tarte au citron ? Oui…

Pâte sucrée 28% (farine de blé, beurre, sucre, amande, oeuf, jaune d’œuf, sel), sucre, œuf, beurre, citron 9%, eau, blanc d’œuf 2%, nappage (gélifiant : pectine, acide citrique, antioxydant : E223 (sulfite)), jus de yuzu, décor (blé), cachet chocolat blanc (poudre de lait entier, colorant : E172), jaune d’œuf, sirop de glucose, beurre de cacao, gélatine de bœuf, matière grasse végétale hydrogénée, jus de citron vert 0,3%, poudre de lait écrémé, zeste de citron 0,03%, émulsifiant : lécithine de soja

Oh, des tartes façon part ! (vu dans le Thuriès Magazine)

Sirop de glucose, matière grasse végétale hydrogénée… C’est un véritable festival qui s’offre à nous. Ce sont loin d’être les seuls à agir de cette façon. De jeunes entreprises aux dents longues et aux fortes prétentions jouent dans la même cour, à l’image d’Hugo & Victor. Alors que leur agence de communication vante à chaque fois que c’est nécessaire une réalisation ‘minute’ de leur pâtisseries, celles-ci sont sous-traitées auprès d’un traiteur parisien. Cela pourrait s’arrêter là, mais non, il faut aller plus loin : les fameuses tartes « façon part » sont assemblées à part d’un fond précuit fourni par PCB Création, un industriel du secteur. Que de belles histoires…

Le secteur du luxe, ou du « haut de gamme », n’est pas le seul à agir ainsi. En boulangerie aussi, quelques artisans ont leur petits secrets. Faire travailler du personnel peu qualifié pour toujours augmenter sa marge, utiliser des farines de qualité douteuse, ajouter des additifs indécelables dans des baguettes dites « de Tradition » pour donner du goût, pratiquer de véritables luttes d’influence entre meunerie et boulangers, guerres internes au sein de la confédération (et ses pratiques moyenâgeuses, bien loin de défendre les artisans)… La liste est longue, trop longue. Pourtant, en façade, la profession tente de donner l’image d’une volonté de progrès, de tendre vers un produit toujours plus sain et savoureux.

Il y aura toujours des gens pour vous raconter des histoires. D’autres le feront mieux que moi. Ce billet clôt une longue série, met en suspension un travail relativement titanesque entrepris depuis avril 2011 : 468 billets, de près de 600 mots en moyenne, j’en ai moi même le tournis. Une expérience exceptionnelle, à tous points de vue. Humainement d’abord, et c’est certainement ce que j’en retiendrai : des rencontres, beaucoup de sourires. Des sourires sincères, que j’ai été heureux de créer. Bien sûr, on ne fait pas tout cela sans commettre des erreurs, c’est inévitable, et je me suis trompé à plusieurs reprises. Cela m’a fait avancer et je peux dire assez fièrement que je ne suis plus le même que lorsque j’ai commencé. painrisien m’a changé – je suis devenu « le » painrisien. Aujourd’hui, je rends ma casquette, certainement par lassitude mais aussi parce que j’ai envie de courir après autre chose que le pain. Des levers de soleil, des lumières, des instants fugaces… Toujours des histoires vraies. Le reste n’est qu’accessoire. Comme disait un fameux renard empli de sagesse « On ne voit qu’avec le coeur, L’essentiel est invisible pour les yeux. ». Une citation du Petit Prince, d’ailleurs, c’est ce que j’ai le sentiment d’avoir été pendant tout ce temps. Le Petit Prince du pain, doté de cette sensibilité exacerbée, de cette envie insatisfaite de rendre le monde plus beau et doux. Je n’aurai sans doute pas changé ce fameux monde en écrivant ici, mais j’aurais tenté de faire entendre un message. A présent, je vais écrire une autre histoire, ou plutôt d’autres. La mienne, pour commencer… D’ailleurs, il faut que je trouve un vrai travail – j’en profite pour re-placer l’annonce de ma recherche toujours non aboutie !
A bientôt, et merci !

24 réflexions au sujet de « Raconter des histoires »

  1. Bonsoir Remi, c’est avec beaucoup de tristesse que je lis votre dernier billet. Celui est toutefois emprunt d’amertume, j’ose espérer que cette lassitude n’est pas acccompagnée d’un dégoût prononcé pour la profession. J’avais à coeur de retrouver votre billet à mes connexions du soir, ils me manqueront c’est une certitude. Vous êtes à mes yeux quelqu’un de talentueux, je vous souhaite plein de bonnes choses pour la suite des événements et surtout une belle réussite. Laissez moi toutefois les coordonnées d’une adresse mail valide.
    Cordialement

    • Merci Carine pour votre commentaire. Mon projet ? Ne pas en avoir 😉 Comme je l’écrivais dans mon billet, j’ai envie de profiter de ce qui est beau dans ce monde…

  2. Bonsoir, je vous ai suivi via Facebook, vos billets ont toujours été riches d’information et je trouve cela exceptionnel d’avoir lancé un site / blog autour du pain / boulangeries. Un grand bravo, vos lectures me manqueront en tous cas je vous souhaite beaucoup d’épanouissement dans la vie à venir.

  3. Merci Rémi, que dire de plus ! J’espère pouvoir lire de temps à autre un p’ti billet sur un coup de cœur ou un coup de gueule. Et qui sait, peut-être que ton prochain billet sera pour moi 😉 …je pense plus à simple au revoir et bon pain.

  4. Bonsoir Rémi,
    C’est avec tristesse que je prends connaissance de ce billet. Tes articles quotidiens étaient une véritable source d’informations et de plaisir. J’ai pû grâce à toi découvrir de nombreux artisans et devenir un véritable painrisien, n’hésitant pas à faire des kilomètres pour découvrir de nouvelles boulangeries.
    Je te souhaite de trouver un nouveau terrain de jeux et de pouvoir joindre l’utile à l’agréable. J’espère que tu donneras de tes nouvelles,
    A bientôt !

  5. Un week-end prolongé entre Ardèche et Cévennes, sans internet dont il faut savoir se sevrer, me fait réagir au sortir de mon TGV. Je comprends ton besoin de faire une pause, après la belle course de fond livrée depuis le début de ton blog. Donc, une fois requinqué, à bientôt pour une suite, et je suis convaincu que nous sommes plusieurs à souhaiter ne pas te perdre de vue. Bel été Rémi !

  6. J’y perds un délassement quotidien mais je comprends bien ‘envie de clore, du moins pour un temps.
    je garde sous le coude toutes ces adresses pour la future parisienne que je vais devenir!
    Bonne continuation

  7. Triste, mais on sentait venir la lassitude depuis quelques temps. Lassitude bien compréhensible quand on connait la contrainte et la difficulté d’écrire un billet par jour. Peut-être qu’un rythme moins soutenu…

    Et puis se frotter au petit monde de la boulangerie avec le franc-parler qui est le vôtre, ce doit être usant aussi: gérer les réactions d’artisans mécontents de vos commentaires, les conflits, les pressions(?) …

    Un immense merci pour le travail accompli, qui m’a fait découvrir tellement d’adresses et de produits intéressants.

    Tous mes vœux de réussite pour la suite.

  8. Bonjour Remi,
    Je suis l’agence de communication en question et sachez qu’encore une fois vos mauvaises sources et votre investigation bien légère vous poussent à dire n’importe quoi. Je tiens donc à rétablir la vérité.
    Hugo&Victor occupe un laboratoire au nord de Paris dans les locaux d’un traiteur parisien. Mais la fabrication est totalement dissociée.
    Toutes les créations d’Hugo&Victor sont élaborées de manière artisanale et avec des produits frais sourcés avec soins.
    Quant à PCB, en effet nous avons le même fond de tarte. Nous avons conçu et dessiné ce moule de forme triangulaire que nous appelons « façon part » en 2009. PCB s’est empressé de le copier… Mais sachez que tous nos fonds de tartes sont fabriqués chez nous avec la même application.
    Même si Hugo&Victor affiche une ambition de marque dans les univers du luxe, c’est une maison engagée tant dans le respect des saisons qu’auprès de ses fournisseurs et de ses clients.
    Je me tiens à votre disposition, Remi mais aussi à celle de tous vos lecteurs, si vous souhaitez en savoir plus.
    pmayot@agencesource.com
    N’hésitez pas aussi à vous renseigner aussi auprès d’Hugues Pouget et Sylvain Blanc les deux fondateurs de la jeune maison. Ils sont souvent en boutique (40 boulevard Raspail) car pour avoir la bonne information mieux vaut aller directement à la source !
    Bonne journée à tous,
    Pauline

  9. M…..ince alors!
    Je suis bien triste.Je veux cependant vous remercier.J’ai suivi un certain nombre de vos adresses,me forgeant ma propre opinion (très souvent identique à la vôtre).Grâce à vous j’ai découvert la nouvelle adresse de dominique saibron (avec 2 ans de retard)et d’autres encore.J’ai rempli un petit cahier ,noté des adresses pas encore visitées.
    Donc merci mille fois et qui sait au bout de quelques mois le painrisien va vous manquer.
    Bonne chance à vous,bon vent
    luc

  10. Quel dommage! Je suis une belge (flamande) qui travaille à Bruxelles; votre site – que j’ai trouvé tout par hasard – me fournissait comme source d’idées pour organiser des rendez-vous autour du petit-déjeuner pour mon patron (français) à Paris. Ne laissez pas briser votre élan par la mauvaise foi.
    Bonne chance!

  11. Bon vent, Rémi. Oui, il est temps que tu penses à toi 😉 Merci pour l’aventure, le partage et ton intégrité salutaire. J’espère que nous aurons de bonnes et belles nouvelles de toi très rapidement.
    Je t’embrasse !

  12. Oh non, quelle triste nouvelle, mais nous comprenons la contrainte d ecrire un billet par jour… pourtant quel plaisir c etait de vous lire régulièrement et de voir la vie parisienne a travers vous. Cela va nous manquer. Allez vous ecrire un livre maintenant ? vous avez du talent pour ca, bonne chance a vous.
    Séverine et Eric

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