La créativité est une affaire de périodes. Selon nos rencontres, nos préoccupations, nos envies, nous sommes plus ou moins enclins à développer de nouvelles idées puis à les mettre en oeuvre. Certains artisans, complètement pris dans leur production quotidienne et dépourvus de toute capacité mentale et physique de s’en détacher, finissent par ne plus innover, ils reproduisent bien plus qu’ils créent. Bien sûr, d’autres n’ont jamais tenté ni envisagé l’expérience, mais je crois que cela ne vaut pas la peine d’en parler ici.

Du côté de l’avenue Gambetta, chez Jean-Paul Mathon, les nouveautés boulangères se sont faites rares ces derniers mois. Depuis le pain Monascus et ses baies de Goji, il n’y avait rien eu de bien remarquable ou durable dans les propositions de l’artisan, lequel étend sa gamme les mercredis et vendredis. Certes, les basiques n’ont jamais cessé d’être réalisés avec talent et attention, à l’image du Pain Préféré, du Campagne, de la Gambette ou encore du Pain aux Pommes et au Cidre… sans oublier le brioché à l’ancienne et ses déclinaisons libres à la pistache ou au sésame noir. Du côté des viennoiseries, les escargots ont vu défiler des saveurs variées, tout comme les tartes.

L'Azuki dans le Pré, La Gambette à Pain (Paris 20è)

Quand j’ai vu ce pain aux tons verdâtres bien marqués, il m’était difficile de repartir sans. Au delà de la couleur, le nom m’avait séduit : L’Azuki dans le Pré. En effet, non contente de nous révéler une partie de la composition du produit, cette dénomination est l’expression d’un trait d’esprit de l’artisan, qui en profite pour partager un peu de son univers si singulier. Très inspiré par l’Asie, ayant appris le Mandarin et épousé une femme originaire de cette région, Jean-Paul Mathon n’est vraiment pas un boulanger comme les autres : il manie aussi bien les pâtes que les mots… et même les images, la poésie.

En effet, si le fameux haricot rouge se retrouve dans un pré, c’est parce qu’il a été ajouté à cette pâte verte, riche en thé vert Matcha. Cette poudre est particulièrement « tendance » en pâtisserie – ou l’a été, tout du moins – mais beaucoup moins en boulangerie. On la retrouve principalement dans des créations chez Aki Boulangerie, rue Saint-Anne, mais il s’agit plus de brioches ou de produits moelleux et sucrés que de pains. Dans le cas présent, le produit proposé mérite bien cette appellation : doté d’une croûte fine, bien craquante, ce pain nous offre une fois tranché une mie très hydratée et gourmande. Autant de caractéristiques qui font la « signature » de la Gambette à Pain.

Vue tranchée, L'Azuki dans le Pré, La Gambette à Pain (Paris 20è)

J’aurais pu craindre une forte amertume, mais pas chez cet artisan : l’ensemble se révèle être d’une grande douceur. A la dégustation, on navigue entre les saveurs herbacées, que certains rapprocheront de celle des épinards, et les notes sucrées, apportées autant par les éclats d’Azuki que par l’essence même de la mie. Après avoir pu apprécier le nez caractéristique de ce thé de cérémonie japonais, c’est une véritable balade dans les champs que l’on réalise, un peu comme si l’on se promenait dans la campagne à l’aube, l’humidité de ce pain nous rappelant la douceur de la rosée. En le laissant vieillir, même si le produit perd de la consistance, l’expérience devient plus ‘intense’ et le parfum plus marqué.

La question pourrait être de savoir comment placer ce pain sur une table, avec quoi le déguster. Pour moi, c’est avant tout une belle gourmandise, qui se suffit à elle-même. Cependant, il pourra aussi constituer de surprenantes mouillettes pour les oeufs, ainsi qu’un délicieux accompagnement pour des mets acidulés (salades de carottes citronnées, par exemple) ou plus simplement viandes blanches et poissons. Bien sûr, des confitures acidulées, aux fruits rouges par exemple, s’accommodent bien de ce pain. Le Matcha est un étonnant révélateur de saveurs.

Encore une fois, Jean-Paul Mathon nous surprend avec une création équilibrée et pleinement à son image, entre douceur et générosité. Il nous transporte directement dans son univers… et on rejoint avec plaisir l’Azuki, perdu dans le pré, pour 2,80€ la pièce de 250g, un prix relativement modéré quand on sait le coût de la fameuse poudre de thé vert.

L’Azuki dans le Pré, La Gambette à Pain – Paris 20è, vendu à la pièce le mercredi, 2,80€ les 250g.

6 réflexions au sujet de « Pain du jour : L’Azuki dans le Pré, La Gambette à Pain (Paris 20è) »

  1. Merci Rémi, voilà un commentaire à la hauteur du boulanger auquel tu rends hommage ! On va prendre les gambettes à notre cou pour se rendre chez lui et déguster non seulement ce pain qui a l’air fameux, mais aussi ses grands classiques

  2. Franchement, ce pain est très étonnant… A déguster avec une confiture aux fruits rouges le matin ou avec un chèvre frais le midi. Je n’ai pas le souvenir d’avoir goûté un tel genre de pain ailleurs. Merci Rémi pour cette découverte !

  3. Quel bel article sur la Gambette, merci Rémi, par contre oui le prix est très raisonnable le prix au Kg du thé Matcha est très élevé, je confirme avoir fait des produits chez moi au thé Matcha c’est très frais et rappel l’herbe fraîche, voir épinard. La Gambette est la boulangerie où il faut aller au moins une fois dans sa vie.

  4. Dans ma nouvelle série « commentons » les articles de Rémi=> je suis encore passé à la gambette, j’ai pu tester en avant première comme pas mal de clients, un pain qui sortira bientôt, je n’en dit pas plus, très sympa. Par contre j’étais passé pour cet OVNI=> l’azuki dans les près et je dois dire que je ne suis pas conquis pour une fois. Peut être par mon manque d’expérience, peut être par apriori. (je suis fan de la galette des rois à l’azuki pourtant). Mais dans le cas présent, même les haricots Azuki tous petits et limite torréfiés (c’est un compliment) qui croustillaient presque et donnaient un petit goût, n’ont pas su m’enlever ce goût très vert, très matcha, et « théié » qui rend le tout fade, je trouve. Après peut être que les fans vont adorer, que ce pain va se vendre et continuer de faire parler de ce magnifique endroit, c’est tout le mal que je souhaite à cette petite gambette qui fait tant mon bonheur d’amoureux de pains.

    je suis open pour un petit débat si quelques-uns ou quelque unes sont prêtes à en découdre. Je pars du principe qu’un pain se suffit à lui même et se doit d’être gouteux sans adjonction de tartina-des, confitures, fromages ou autres. D’un autre côté je ne suis pas réfractaires aux pains créations, où l’on mêle ‘art de la table, les senteurs, goûts et couleurs, chose très réussi la plupart du temps par Mr Mathon (pains aux pommes et cidres, la marguerite, la tourte de seigle, la gambette, j’en passe, ils sont tous exceptionnels, je pèse mes mots).

    A +
    Aurélien.

  5. J’ai goûté ce pain délicat aujourd’hui ! (Enfin…)
    J’apprécie son amertume discrète en fin de bouche, sa texture « plume » réjouissante et l’intense goût de levain qui persiste derrière les saveurs d’épinard. Personnellement, il me ravit tout seul, ou tartiné de beurre très frais et d’un miel doux, légèrement floral.

    Merci Rémi d’avoir dirigé ma curiosité vers lui !

  6. Je me suis rendu hier à la gambette pour la première fois.

    Mes achats :

    Une gambette : J’ai jamais été très baguette, je l’ai trouvé bonne mais je ne vendrais pas père et mère pour elle … très bien cuite etc … mais je ne suis pas objectif avec ce format de pain – manque de répères

    Le fondant au chocolat : mangé froid – rien de rare

    EN REVANCHE

    Etant client assidu du pain des amis j’étais impatient de gouter le pain de  » l’enseignant « après avoir gouté celui de » l’élève » …
    Je dois vous avouer qu’en voyant « Mon pain préféré » et la brioche/gache « Mouna » juste à coté, la hauteur de la marche sur laquelle j’avais installé « Du pain et de idées » a nettement diminuée.
    « Du Pain et des idées » ??? L’idée de reprendre les deux recettes de son tuteur et les reproduire à l’identique ailleurs , dans un quartier plus branché ?
    A mes yeux le pain des amis et la brioche « tunisienne » du pain des amis sont les principales raisons qui me poussent à y aller – ses pains spéciaux et occasionnels sont sympas mais le pain des amis est au dessus du lot.

    Il y a donc match :

    Coté brioche, c ‘est TRES semblable , je ne suis meme pas sur de pouvoir reconnaitre à l’aveugle l’origine …( la brioche gambette est un peu plus orangée)

    Coté pain  » le pain des amis  » versus  » « mon pain préféré »
    Match gagné par KO par « mon pain préféré ».
    La croute est très similaire mais la mie …. que dire, celle du « pain préféré » est incroyable … plus ferme et à la fois rendant ce pain rustique plus doux ….mangé tel quel ou grillé et beurré … c’est l’ultimate pain.

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