Généralement, lorsque l’on parle de boulangers « multipliés », il s’agit d’entrepreneurs gérant trois, quatre ou cinq boulangeries, tout au plus. Rare sont ceux qui sont parvenus, ou même ont souhaité, dépasser ce « cap ». A l’inverse, quand il est dépassé, tout va plus vite, plus grand. Le nom, la marque, prennent alors une importance considérable dans la profession.

Une boulangerie Kayser, dans le 16è arrondissement

C’est le cas pour Eric Kayser. La maison a fêté l’an passé ses 15 ans, en totalisant plus d’une centaine de boulangeries dans le monde (notamment au Japon, en Russie, au Maroc, au Sénégal, en Corée du Sud…), avec un nombre de salariés dépassant les 2000. Des chiffres impressionnants pour cet artisan boulanger alsacien, à l’ambition pour le moins dévorante. Depuis ses 19 ans, âge auquel il rejoint les Compagnons du Tour de France pour se former au métier, en droite ligne de la tradition boulangère familiale, elle ne le quittera pas. S’en suivront des années de transmission et de partage, avant d’aboutir en bas de la rue Monge en 1996, où il ouvre sa première boulangerie. Tout cela ne s’est pas construit avec son seul savoir-faire et talent. Dès le début, l’entrepreneur a su s’entourer, et notamment de Patrick Castagna, avec lequel il développera le « fermentolevain » – cette machine qui permet d’entretenir un levain liquide à température stable. D’autres sont passés à ses côtés avant de prendre leur envol : c’est le cas de Franck Debieu, à présent installé à Sceaux et Meudon, mais aussi de la fameuse famille Hakkam, dont les boutiques peuplent discrètement les rues parisiennes.

A Sceaux, Franck Debieu a pris son indépendance vis à vis d’Eric Kayser depuis bien longtemps.

Cette prise d’indépendance n’est pas le fruit du hasard : derrière son sourire quasi-angélique et cette allure avenante et sympathique se cache un homme prêt à tout pour défendre ses intérêts et son entreprise. J’ai eu l’occasion de le mesurer par moi-même. On peut bien sûr le comprendre, et tout cela revêt un caractère plutôt remarquable : après tout ce temps et ce chemin parcouru, le boulanger d’hier, patron d’aujourd’hui, continue à mener sa barque avec la même énergie. Il disait récemment, dans une interview donnée au magazine L’Hôtellerie Restauration, travailler 15 heures par jour et se lever tôt. Autant je pourrais douter du reste des propos, autant je ne doute pas une seule seconde de cela.

Il ne faudrait pas dresser un portrait trop sombre de cet artisan qui fait partie de ceux qui ont tiré la profession vers « le haut » ces dernières années, en étant l’un des premiers à croire en la « Tradition française » qui était à ses premiers balbutiements lors de son installation. Le travail sur levain naturel fait également partie des concepts « phare » de l’enseigne, imposant un certain niveau d’exigence. En faisant partie des premiers clients du meunier Foricher, il a contribué à son développement au fil de son expansion. Aujourd’hui, la situation a bien changé, puisque seule la boulangerie historique continue à être livrée par ce dernier. Ailleurs, l’approvisionnement est assez varié. A Bercy Village, c’est Baguépi/Soufflet qui fournit la matière première.

Parlons de Bercy, justement. C’est ici qu’Eric Kayser quitte un peu plus le secteur de la boulangerie pour s’approcher de la restauration, en s’entourant d’un chef télévisuel, Jean Imbert. L’expérience avait déjà été tentée boulevard Malesherbes, et plus modestement au travers d’espaces « salon de thé » dans plusieurs de ses boutiques (notamment rue Danielle Casanova, où l’activité de saladerie et sandwicherie est prédominante). L’entreprise diversifie ses activités et dépasse même les frontières légales, grâce à des tours de passe-passe : en effet, le restaurant-boulangerie installé dans ce centre commercial à ciel ouvert est ouvert 7j/7, grâce à son activité mixte…

Cette vitrine marque toujours plus les ambitions de l’entreprise, qui va toujours plus loin géographiquement mais aussi dans le développement de ses processus de production : à Ivry, c’est un laboratoire de 2000m2 qui réalise une bonne partie des gourmandises et plats que l’on retrouvera quelques heures après en boutique. Rationalisation, certes, mais où s’arrête l’artisanat ? Le pain continue, lui, à être fabriqué sur place, ce qui ne manque pas de donner lieu à des disparités entre quartiers… Certains sont mieux servis que d’autres, pour des tarifs identiques. Forcément, il faut bien accepter de ne plus maîtriser la qualité au quotidien, malgré tous les process de contrôle et de formation. Reconnaissons cependant une belle capacité à assurer un service accueillant, compétent et souriant la plupart du temps.

Difficile de savoir quelles seront les prochaines étapes de développement de la marque. Le groupe Eric Kayser s’essaime toujours plus sur la planète, mais reprend aussi d’autres enseignes. Midoré a rejoint la « famille » il y a plusieurs années déjà. Famille, ce mot conviendrait presque pour cette entreprise toujours très centrée sur son fondateur, porteur de certains principes qui influent toujours sur le quotidien. « Spirit of bread », vous disiez…?

Une partie du stand « Spirit of Bread » d’Eric Kayser sur le salon Europain 2012

Une réflexion au sujet de « Eric Kayser, retour sur une ambition… dévorante »

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